mardi 19 mars 2024

Francesco Cavalli (1602-1676)

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Cavalli_francescoVENISE, 1637. Non contente d’avoir enfanté l’opéra, genre révolutionnaire dans l’histoire du théâtre musical, l’Italie baroque enchaîne les prodiges et créée à Venise l’opéra public, afin que tout un chacun puisse sans qu’il soit l’intime d’un prince ou d’un roi, tirer le bénéfice de ce drame nouveau. Aucune époque que la première moitié du XVII ème siècle en Europe, ne fut autant occupée à donner une réprésentation de sa propre civilisation.
Foyer du raffinement et de l’art moderne, L’Italie dès la Renaissance au sicèle précédent, donne le ton, indiquant ce qui est neuf et ce qui est obsolète. Ainsi des facteurs convergents, l’intérêt croissant pour la scène et l’art vocal, favorisent en 1637, sur la scène du Teatro San Cassiano, l’avènement du premier opéra public. L’ouvrage révolutionnaire parce qu’il permet à toutle monde de payer sa place sontre paiement d’un ticket, est le fruit de deux musiciens Francesco Mannelli et Benedetto Ferrari. Or Pier Francesco Cavalli ne tarde pas à se faire remarquer au San Cassiano justement pour lequel il collabore à partir de 1639. A 37 ans, né le 14 février 1602, Pier Francesco Caletti rejoint la Cité du Doge en faisant partie de la suite de son protecteur, Federico Cavalli dont il prendra le nom en signe d’hommage et de gratitude.

Chanteur à la Chapelle de la Basilique San Marco, institution parmi les plus prestigieuses de l’heure, d’autant plus à son apogée musicale depuis que Claudio Monteverdi en était devenu le maestro à partir de 1613. A San Marco, Cavalli devient second organiste dès 1639. Cavalli profite de l’aura artistique du maître des lieux, qui est aussi le génie dramaturgique que l’on sait, véritable père et fondateur de l’opéra baroque, dont l’excellence compositionnelle a suscité le groupement de disciples autour de lui. Quand meurt Monteverdi en 1643, Roveretta prend sa succession. Et quand ce dernier s’éteindra à son tour en 1668, Cavalli assumera légitimement la charge convoitée de maestro di capella à San Marco. Mais Cavalli n’attendit pas longtemps l’occasion de briller surla scène théâtrale. Alors que Monteverdi élabore ses deux derniers chefs d’œuvre, Ulisse et Poppea, Cavalli a déjà composé une série de premiers ouvrages indiscutablement aboutis et personnels qui ont fait les beaus soirs des théâtres San Moise et San Cassiano.
Pour ce dernier théâtre, Cavalli est présenté comme compositeur, mais surtout impresario. Il collabore avec le poète et librettiste Orazio Persiani, surtout avec Giovanni Battista Balbi, scénographe et chorégraphe qui lui rester fidèle de nombreuses années. Son premier opéra, Les noces de Thétis et Pellée, ne remprote pas le succès escompté. Mais le compositeur a plus d’une corde à son arc et comme impresario, donne la mesure de ses talents de programmateurs, et d’ogranisteurs de spectacles qui est aussi son métier.
Disciple de Monteverdi, Cavalli profite de sa filiation auprès du maître pour approcher les personnalités du cercle proche du grand compositeur. Il a l’opportunité de rencontrer le poète Busenello, librettiste du Couronnement de poppée de Monteverdi.
Membre de la prestigieuse Accademia degli Incogniti, Busenello concevra pas moins de cinq livrets pour Cavalli, en particulier les opéras, Didone et La Statira.
Avec lui, comme il le fit de Poppea pour Monteverdi, la poésie cynique et sensuelle atteint son âge d’or. Il témoigne en miroir des désillusions d’un société brutale et déshumanisée, ivre aussi de voluptés et de plaisirs corrupteurs. Par la suite, Cavalli apparemment soucieux de la qualité tant poétique que philosophique de ses livets, en cela, fidèle disciple de Monteverdi, travaille avec Giovanni Faustini, qui lui fournira la majorité des textes pour la scène, et ce jusqu’à sa mort en 1651.

Un génie de la scène qui écrit principalement pour Naples

 

Lille. Xerse de Cavalli dans sa version françaiseLe style de Cavalli enchante les vénitiens. Ses ouvrages sont montés sur les planches du teatro San Apollinare, Santi Giovanni e Paolo. Après son Egisto, d’après un texte de Faustini (1643), l’année où meurt Monteverdi, Giasone qui met en musique un livret de Cicognini rencontre le plus grand succès lyrique de l’histoire de l’opéra vénitien à partir de sa création en 1649 au San Cassiano. En témoignent les théâtres de la Terre ferme, à Milan (1649), Lucques et Florence (1650), Bologne (1651), Milan (1652), Plaisance et Palerme (1655), Livourne (1656), Vicence (1658), Ferrare (1659), Gênes (1661), Ancône (1665), à Naples, surtout, où Giasone fut représenté à quatre reprises (1651, 1652, 1661 et 1672). L’histoire allait bientôt s’inverser. Et à l’époque future de Vivaldi, l’opéra napolitain allait submerger les scènes vénitiennes, comme les opéras de Cavalli, au siècle précédent, avaient rayonner sur les théâtre napolitains. Naples d’ailleurs accueillent principalement Cavalli dont les opéras La Didone, Giasone et L’Egisto, précèdent la création de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi de 1651.

Dans le sillon tracé par naples, la Sicile accueille avec la même frénésie les œuvres cavaliennes. Giasone reste le premier opéra joué à Palerme (1653, soit quatre ans après sa création vénitienne), puis lui succède avec un égal triomphe local, Il Ciro, Xerse et Artemisia. A Naples, les opéras de Cavalli sont remodelés selon le goût napolitain, en particulier celui du Vice Roi. Toutes les reprises de ses ouvrages, dans les années 1650 sont réadaptées : Veremonda, Le magie amorose (La Rosinda), Il Ciro, Xerse, Artemisia. La collaboration dans cette œuvre de réarrangement, du compositeur Francesco Provenzale semble avoir été déterminante, et ses relations avec Cavalli, étroite.
Les dernières recherches démontrent même que Le compositeur vénitien destinait ses partitions lyriques d’abord pour la Cour du Vice Roi de Naples, où elles vivaient une sorte de premier essai d’agrément, afin d’être ensuite présentées sur les scènes des théâtres de Venise. Il Ciro, composé par Provenzale d’abord à Naples, puis réadapté (modifications du livret original de Sorrentini) par Cavalli pour les scènes Vénitiennes, dévoile l’organisation d’un système compositionnel très complexe mais fonctionnel, comme il soulève dès le XVII ème siècle, le public auquel est destiné un opéra au XVII ème siècle. Importance du goût des audiences, des cultures réceptives, changements musicaux et dramaturgiques qui en découlent… Jamais la notion d’œuvres-laboratoires n’a été aussi aiguë : chaque représentation était unique, dépendant du lieu, de sa destination, des moyens humains et techniques à disposition.

Le séjour parisien (1660-1662)

 

MazarinLa Cour de France qui allait devenir la plus fastueuse d’Europe doit son essor artistique et son goût pour la magnificence, en grande partie grâce à Cavalli qui fit le voyage jusqu’à Paris (1660), à la demande insistante du Cardinal Mazarin, alors Ministre omnipotent pendant la minorité de Louis XIV. La venue du personnalité aussi prestigieuse que Cavalli en France correspond à l’ambition du Cardinal, passionné d’opéra italien depuis les années 1640. Il avait déjà en effet fait la démonstration de son goût ultramontain quand, en 1645, il accueillait le cardinal Barberini et sa cour à Paris, fuyant Rome. Dans les bagages du prélat fastueux, une colonie d’artistes romains paraissent à Paris : la soprano Leonora Baroni, la castrat Atto Melani. Cette présence italienne allait se concrétiser avec la représentation de l’Orfeo de Luigi Rossi, avec décors et machinerie de Giacomo Torelli. Un luxe inuoï rehaussait la féérrie du déploiement scénique et musical, d’autant que, à l’identique de ce qui se passera vingt ans plus tard, l’opéra italien, est ici intercalé de ballets français et précédé d’un prologue en français. La richesse du spectacle représenté au Palais Royal suscita de vives polémiques et les fameuses mazarinades ou satires dénonçant la folie de la dépense du Cardinal plus italien que français.

La Fronde passée, Mazarin comprend l’importance de produire en français un spectacle digne de la grandeur monarchique à reconstruire. Pierre Corneille et Charles Dassoucy créent Andromède en 1650 au théâtre du Marais : tragédie avec machine et non pas opéra en français. Mais le rôle du spectacle occupe l’office qu’on lui a désigné : louer la grandeur du Roi Soleil. Le Prologue permet d’implorer le Soleil d’arrêter sa course pour célébrer la gloire du jeune souverain. Tout un symbole.
Dès 1652, Mazarin rétablit les artistes italiens et au sein de son cabinet italien commande de nouvelles œuvres. Si le Roi s’approprie de plus en plus explicitement le symbolisme solaire, un nouvel âge d’or se précise avec son règne, si déjà Isaac de Benserade et l’amuseur, danseur, compositeur et chorégraphe Lulli réinventent le ballet de Cour auquel participe le Souverain, Mazarin poursuit son œuvre italianisante à Paris. En 1652, il commande au compositeur Caproli, Les Noces de Thétis et Pelée d’après un texte de Buti, opéra-comique, intercalé de ballets : des entrées spectaculaires au symbolisme politique explicite dans lesquelles Louis XIV participe en personne, acteur de sa propre glorification. Cet ouvrage somptueux, élément de la propagande monarchique, fut représenté neuf fois au Petit-Bourbon. Certes Mazarin aimait le luxe, mais son sens de l’état, et la volonté d’affirmer la toute puissance de l’autorité royale, mise à mal pendant la Fronde, devait être sceller par une politique fastueuse où les arts de la scène et de la représentation répondaient idéalement à une stratégie de l’image parfaitement élaborée. La présence de Cavalli répond aux vœux du cardinal. Il s’agit de faire de Paris, une nouvelle Rome, l’astre nouveau du goût le plus raffiné et le plus novateur de l’Europe. Il aura tout fait pour introduire l’opéra italien en France.

louis_XIV_alexandre_Versailles_baroque_musiqueCavalli pour les cérémonies du mariage du jeune Louis de France avec l’Infante d’Espagne, compose Ercole Amante, qui sera créée finalement après la reprise de son Serse. Les machineries du théâtre construit pour l’occasion du mariage n’étant pas prêtes à la date convenue. Pour Ercole Amante, Cavalli collabore avec Lulli qui conçoit les ballets, là encore rien de plus naturel pour Cavalli, personnalité européenne : il s’agit d’adapter son opéra, au goût local, en particulier répondre à l’attente du public français, féru de danses et de ballets. Mazarin n’assistera jamais à l’opéra qu’il avait commandé : il meurt avant sa représentation en 1661. Comme beaucoup de compositeurs baroques, la redécouverte de Cavalli est passée par le disque. La scène a suivi, comme en témoigne une récente produciton à la Monnaie d’Eliogabale sous la direction de René Jacobs.

Que dire aussi de La Calisto, dirigée par le même chef, avec Maria Bayo dans le rôle titre et qui marqua l’imagination des spectateurs de la Monnaie, du festival baroque de Salzbourg, de l’Opéra de Lyon. Qu’Ambronay programme la recréation d’Ercole Amante, l’un des opéras les plus fastueux de l’opéra italien annoncerait-il le grand retour de Cavalli sur les scènes européennes ? Nous ne pouvons que le souhaiter.

 

discographie

Raymond Leppard, pionnier et visionnaire de la résurrection des opéras de Cavalli, a réalisé une œuvre fondatrice avec la production d’Ormindo à Glyndebourne (1967), puis de La Calisto (1970).

Après Leppard, René Jacobs réactive la renaissance des œuvres de Cavalli avec une apporche des partitions renouvellée, grâce à la recherche affûtée et l’esprit d’un retour aux sources, défendu apr les baroqueux. Le chef flamand, ancien chanteur, et son Concerto Vocale, redonnent vie à Xerse (1985), Giasone (1988), La Calisto (1995).

Les amateurs de Cavalli se réjouiront d’écouter de plus récentes réalisations discographiques (La Didone dirigée par Thomas Engelbrock pour Deutsches harmonia mundi), et aussi des enregistrements complémentaires dont le visionnaire Ercole Amante dirigé par Michel Corboz pour Erato (1980), partition emblématique de l’opéra italien à la cour de France et recréé sous la direction de Gabriel Garrido pour le Festival d’Ambronay 2006.
Spécialiste du répertoire napolitain contemporain des opéras de Provenzale qui travailla étroitement avec Cavalli, Antonio Florio devait s’intéresser à l’oeuvre du Vénitien : en témoigne La Statira principessa di Persia, interprétée avec la Cappella della Pietà de’Turchini, enregistré pour Opus 111/Naïve.

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