samedi 20 avril 2024

Feuersnot de Richard Strauss à Dresde

A lire aussi

150 ème anniversaire de Richard StraussDresde. Semperoper. R. Strauss: Feuersnot. 7,9,10 juin 2014. Munich, à une époque indéterminée. L’histoire pourrait être une anecdote : Kunrad, l’héritier du magicien Reichart, profite de la nuit de la Saint-Jean où les enfants recueillent le bois du grand feu, de maison en maison, pour déclarer sa flamme à la jeune Diemut, qu’il embrasse en public. Pour se venger d’une telle audace, la jeune fille le piège et le fait suspendre depuis le balcon de sa chambre, où le jeune homme espérait bien la conquérir.
Usant de ses pouvoirs, Kunrad plonge la ville (Munich) dans l’obscurité, disposé à rétablir l’ordre que si Diemut lui ouvre son cœur … ce qui advient en fin d’action. Strauss poursuit musicalement la leçon de Wagner, exploite toutes les ressources dramatiques du livret pour enflammer son orchestre et profite ici des situations pour épingler la pensée étroite des munichois bien conformes (n’avaient-ils pas chassé Wagner et Cosima ?) De sorte que l’on voit en général une allusion et défense de Wagner dans le personnage du maître de Kunrad, Reichart.

Kunrad, le double vengeur de Richard Strauss …
Comme dans son (premier) opéra antérieur, Guntram, le héros de Feuersnot (créé à Munich en novembre 1895), Kunrad, apprenti magicien, exprime sa relation aux forces sublimes et supérieures de la nature en un chant admiratif célébrant le miracle du printemps – comme d’ailleurs Wagner dans ses Maîtres Chanteurs, faisait chanter son propre héros Walter, initié par Hans Sachs – le détenteur du savoir et de l’art-, «  la loi du printemps ». De fait, proche de l’esprit nietzschéen de Till l’Espiègle (ample et savoureux poème symphonique), Kunrad, véritable double du compositeur, comme investi d’une mission remarquable, épingle aussi sans les ménager, l’imbécilité crasse des « honnêtes » et bourgeoises gens du bourg de Munich. Comme Verdi dans La Traviata et Wagner dans ses mêmes Maîtres-Chanteurs, Strauss réussit un portrait satirique et vitriolé de la bêtise collective humaine à son époque ou de toutes les époques : Strauss y règle ses comptes avec les Munichois qui avaient si mal accueilli Guntram… ; une dénonciation sociale qu’exacerbe la construction de l’ouvrage qui confronte le héros et le reste de la société.
Strauss s’est déclaré très proche de ce deuxième ouvrage lyrique dont il a aimé souligné la part autobiographique. D’autant que Kunrad serait la face comique sarcastique de la tragique silhouette de Guntram. En somme au début de l’oeuvre lyrique de Strauss, déjà un portrait ambivalent et complet de lui-même. Comme Guntram, Kunrad oppose le destin de l’individu contre la société des hommes, et même s’il réussit en fin d’action son intégration supposée, elle relève plus d’un effet propre au canevas comique que d’un accomplissement psychologique naturel et longuement muri.
Après l’échec de Guntram, Strauss espérait se refaire une réputation comme auteur lyrique… grâce à Feuersnot. Rien n’y fait : le second opéra est taxé de wagnérisme excessif, trop parsifalien, trop lourd et pompeux, maladroit même dans son schéma dramatique. Un nouvel échec.
Feuersnot est une farce certes, habilement tissée dont le climat nocturne (acte unique le temps de la Saint-Jean) ressuscite l’acte II des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner (qui se déroule la nuit). En fait le propos drôlatique est l’écrin d’un hymne très sérieux voire acerbe pour l’art comme moteur de dépassement de la société. La malédiction que le jeune Kunrad réalise contre les Munichois (superbe et ample air dramatique, l’épine dorsal de l’opéra) est la vengeance de Strauss – et de son librettiste, Wolzogen-, à l’endroit d’un auditoire sourd à ses conceptions lyriques et dramatiques. Kunrad/Strauss y défend le principe d’un art libre et moralement exigeant qui élève la fange collective vers un destin et une conscience supérieure. Les références du modèle Wagner y sont à peine masquées. Feuersnot est donc plus qu’une simple comédie : la partition d’un compositeur qui y transmet sa connaissance profonde de Wagner, en particulier du sens philosophique et esthétique des Maîtres Chanteurs…

Dresde. Semperoper
R. Strauss: Feuersnot
Les 7,9,10 juin 2014

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img