samedi 20 avril 2024

Festival Archipel. Genève (divers lieux), Lausanne, Annemasse (74)Du jeudi 17 au dimanche 27 mars 2011.

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Festival Archipel

Genève, Annemasse
Du 17 au 27 mars 2011

Temps fort des musiques d’aujourd’hui en Europe, Archipel choisit en 2011 la thématique des Sons Premiers. Les impressions initiales sont d’une origine plus ancienne que la mémoire « organisée », en recherche de la « régression utérine ». John Cage et son Roaratorio revisité par le plasticien Sarkis, les compositeurs anglais Harvey, Birtwistle et Benjamin, l’Italien Romitelli, le Français Cendo sont guides en cette exploration. Le 10e anniversaire de la mort de Iannis Xenakis est célébré par 9 grandes partitions du musicien Grec. L’Atelier Cosmopolite donne comme chaque année la parole à de nombreux jeunes créateurs, l’activité ludique des Fanfares contribue à rouvrir les espaces de l’enfance. Au total, des dizaines de reprises par installations et performances, et 19 concerts pour ce retour à l’origine….

Pon naquit plusieurs fois

« Pon naquit d’un œuf…puis il naquit d’une feuille de rhubarbe
, en même temps qu’un renard ; le renard et lui se regardèrent un instant puis filèrent chacun de leur côté…puis il naquit d’un trombone et le trombone le nourrit pendant treize mois, puis il fut sevré et confié au sable qui s’étendait partout, car c’était le désert. Puis il naquit d’une femme, et il remarqua que c’était une femme quoique personne ne lui eût jamais fait la moindre allusion à ce sujet… Puis il naquit pour la seconde fois d’une femme, et faisant cela il songeait à l’avenir, car c’est encore les femmes qu’il connaissait le mieux, et avec lesquelles plus tard il serait le plus à l’aise, et déjà maintenant regardait cette poitrine si douce et pleine, en faisant les petites comparaisons que lui permettait son expérience déjà longue. »

Indispensable Henri Michaux

Cher, indispensable Henri Michaux, perpétuellement en amont, qui vous écrivant « d’un pays lointain », ou de Grande Garabagne où « la musique est discrète », a toujours question aux… questions que vous n’osez vous poser, et ainsi de suite….Le Festival Archipel, lui, propose d’année en année des interrogations synthétiques, et se regroupe autour de thèmes qui ne sont pas des porte-manteaux pour accrocher ce qui s’est présenté des propositions d’artistes, de préférence à la mode. En 2011, c’est de « replonger dans l’obscurité des sons premiers » qu’il s’agit, selon « le Patron », Marc Texier. Et cela commence…. avant le commencement, en sondant même ce qui se passait « dans le ventre de maman » pour tout un chacun étant passé par là. Oui, qu’est-ce qu’on entendait alors et là-bas ? Encore Michaux, d’avant la naissance de Pon : « La musique en sons mourants semble toujours venir à travers un matelas : des souffles ténus, partis on ne sait d’où, à chaque instant effacés, des mélodies tremblantes et incertaines, mais qui s’achèvent en grandes surfaces harmoniques, larges nappes soudain déployées, …l’impression que la musique se déplace et vient comme au hasard des échos et des vents ». De notre envoyé spécial en vie utérine, en quelque sorte ? On s’y croirait, tant l’audition mémorielle d’un poète a d’acuité ! Et maintenant que l’imagerie médicale s’est développée de façon vertigineuse, que la science s’est intéressée à la vie prénatale en scrutant la conscience du petit-être-à-naître, les hypothèses vont leur train à grande vitesse, et sont même suivies de recommandations pratiques pour la mère et l’entourage. Alors, faire écouter Mozart « tout de suite » après la voix de la mère et du père ? Pourquoi pas, mais on nous prévient du côté de chez le Professeur Frydman, « ce n’est pas parce que la mère agit comme ci que l’enfant sera forcément comme ça. C’est un peu plus compliqué ». D’ailleurs, nous rappelle aussi une émission de France-5, le fœtus « n’acquiert une bonne audition que vers 35 semaines »…

Trois Anglais

Muni de cet avertissement, Archipel va donc explorer ces territoires- d’avant. Et en ouverture, donner la parole à trois compositeurs d’Albion – splendide isolement de l’île ! -, dont le programme du 1er, Jonathan Harvey (né en 1939), répond pleinement à cette recherche des sons premiers. « Speakings », dit le compositeur, est comme si l’orchestre apprenait à parler, comme un bébé avec sa maman, comme le premier homme. Dans la mythologie bouddhiste d’Inde, il y a une notion de langage originel et pur… Les trois mouvements enchaînés (de cette œuvre créée en 2008) sont incarnation, puis jacasseries primitives, enfin calme, et retour au Paradis du Temple de l’Ecoute ». Pour « un peu plus tard tout de même », voici la musique du Père de la Musique Occidentale, Vater-Bach, qui donne à Harrison Birtwistle (né en 1934) son Bach Measures (1996), d’après chorals et cantates du Kantor dans sa jeunesse.(un autre concert verra la recréation du 1er opéra de Birtwistle, Punch and Judy). George Benjamin, le cadet (né en 1960), qui fut nourri en France au lait maternel messiaenesque, part d’une chanson – d’enfance ? d’avant ? – pour établir ses Palimpsests (2001), dont la définition omni-artistique revient au principe du « regrattage » de la surface du texte initial pour établir nouvelle écriture. L’Ensemble Contrechamps – une institution qui joue dans la vie musicale helvétique un rôle si indispensable, et mène sa propre saison toujours inventive – est ici dirigé en même temps que l’Orchestre de la Haute Ecole de Genève par Alejo Perez.

Finnegan’s Wake

Mythique naissance, également, que celle établie par John Cage (en 1979) sur le commencement et la fin de tout texte, cet insensé Finnegan’s Wake où Joyce mit toute sa science conclusive, pan-symbolique et langage-universel. A « l’entrée du parc où l’on a mis des oranges à vert-rouir depuis que dieublin premier fait l’amour à la vie » (la 1ère page du livre, dans la traduction de P.Lavergne), Cage a mélangé l’oratorio et le roar (en anglais : hurler), « les langages articulés, les pleurs, les bruits du vent ou de l’eau, les cris des bébés, les paroles des enfants » et tant d’autres «sons premiers » pour une symphonie sans âge et peut-être shakespearienne, pleine de fureur et contée par un idiot… « Gigantesque mixage sur 64 pistes des 626 lieux cités par Joyce dans son roman, ou fleuve sonore incarnant le flux mental », l’œuvre de Cage est présentée comme à l’IRCAM-Centre Pompidou pour le Festival Agora de 2010 dans une installation du plasticien turco-arménien Sarkis. « Plongés dans une obscurité absolue percée de quelques éclairs aveuglants nous découvrons le chef d’œuvre de Cage comme le fœtus entend la jungle bruissante et anarchique où bientôt il vivra » : l’inverse du célèbrissime 4’33 que le musicien américain conçut pour faire tout naître du silence… Les installations Galileo, sonore (le compositeur argentin Daniel d’Adamo, né en 1966, et travaillant-enseignant en France) et lumino-cinétique ( le sculpteur français Laurent Bolognini, né en 1959) génèrent « des figures éphémères qui n’existent que pour l a persistance rétinienne » et la mémoire auditive.

Big bang et machine à himalayer

Mais le son premier, « c’est aussi celui que personne n’a entendu, le Big Bang créateur dont nous ne percevons que le rayonnement fossile : cette survivance fantomatique d’une énergie absolue que Raphael Cendo (né en 1975) trouve en son Introduction aux Ténèbres, sortie de l’Apocalypse de Jean, lieu multiple des interprétations religieuses et symboliques, avec des restes de granulation électronique de la voix, comme des décombres d’une langue à tout jamais perdue ». Et encore Michaux, dans ses expériences de « misérable miracle », d’ « infini turbulent » que le poète mena en terre mescalinienne, pour son plus grand péril et notre connaissance éblouie « par les gouffres ». Le compositeur italien Fausto Romitelli ( 1963-2004, une bien courte vie pour traverser « spectralement » – son écriture dominante – une musique à laquelle il sut aussi intégrer « les arts du sonore populaire, rock psychédélique, avant-gardes de l’univers techno »…) proposait avec Professor BadTrip (III) « l’aspect hypnotique et rituel en métissage avec ce que refusait la musique savante »… Et stimulé par les secousses de ce que Michaux-mescaline appelait « la machine à himalayer, et quand est-ce que ça va finir…si ça va jamais finir ? »… En somme l’inverse de la 3e pièce de ce concert terminal Archipel, avec un Ensemble Orchestral Contemporain (conduit par Daniel Kawka) qui donnera parole aux AAA (1996) de Philippe Leroux (né en 1959), et qui sont moins la naissance de tout qu’un hommage à Rameau : mais faut-il voir là « en un commentaire figuraliste qui décrirait le picorement chez les gallinacés, une grande étude de jacasserie » , ou attendre plus loin « ce que devient une chanson enfantine, magnifique de naïveté » (Dominique Druhen) ? Et puis est-ce d’une enfance que reviennent les rêveries post-schumanniennes – un Schumann lui-même en proie aux cauchemars entraperçus dans ses ultimes partitions, en relais de ses lectures poético-romanesques chez Richter ou Hoffmann – écrites par Heinz Holliger (un Romancendres comme Aragon hasarda un Romansonge…) ou Giorgy Kurtag (Hommage à R.Sch.) : « son rêve est plein d’êtres en allés, de revoirs – sa jeunesse et ses amis d’enfance reviennent chaque nuit, et lorsqu’il s’éveille, il est seul jusqu’à l’instant de sa mort », écrivait Richter, mais allons, Robert, tu n’es plus totalement seul si, comme l’aura écrit un poète français de notre époque, « la nuit est gouvernée »….

L’Alpha et l’Omega de Xenakis

Histoire et musique d’origine(s), celles par lesquelles Iannis Xenakis (disparu il y a dix ans) ne se contenta pas d’être un des compositeurs majeurs de notre époque : l’un des derniers humanistes, sans rupture de l’art à la spéculation mathématique, scientifique et philosophique, tragique discret parce que de corps et d’âme identifié aux combats de ses idées, rêveur en tous domaines y compris dans le monde rigoureux des calculs sonores et architecturaux. Archipel le fait revivre en 7 oeuvres, dont l’ouragan en sextuor percussif des Pléiades, et ce légendaire Nomos Alpha pour violoncelle, pièce de l’origine par excellence… En écho par imaginaire, on écoutera son ultime partition, Omega, fermant ainsi le cycle d’Alphabet pour ce Grec de l’antiquité….la plus moderne. Et encore : Xenakis écrivait, si généreusement : « Le Don est universel, le pouvoir créateur nous est donné à Tous. A l’esclave, au fonctionnaire, au chercheur, à l’artiste. Créer nous déplace vers l’accomplissement unique et privilégié qui n’est pas bien d’aristocrate, mais à tous. La création musicale conduit mieux à lui que les sciences ou les arts à lui. C’est pourquoi il faut qu’elle soit mise entre les mains de tous, dès l’enfance. » Au fait, y-a-t-il naissance ? L’un des philosophes antiques fréquenté par le compositeur, Empédocle, n’affirmait-il pas : « Il n’y a de naissance pour aucune chose dans l’univers créé, il n’existe qu’une fusion et une dissociation des éléments rassemblés, et c’est à ce phénomène que les hommes ont donné le nom de naissance. » Alors ?

Un Gai Percevoir, Delphine, Marinette et le Chat

Les choses seront plus simples pour un des chapitres complémentaires ouverts par Archipel-2011, les Fanfares, elles aussi reliées à l’enfance. On y goûtera particulièrement , sous l’invocation de Charles Ives – enfant, il assista à l’exploit de son papa qui dirigeait quatre fanfares du haut d’un clocher -, un « tintamarre festif en plein air » avec le baBel’s Bands. Et l’opéra rural Chat Perché, d’après le « récit » de Marcel Aymé mettant en scène le Chat, prototype de sagesse inventive et insolente, les parents toujours grognons, Delphine et Marinette, les vaches, les bœufs. Ce microcosme de notre enfance (nous sommes âgés, mais nous espérons que ce livre admirable n’a pas été effacé par les clics de toutes sortes) est remis en musique et chorégraphié par un trio franco-belgo-suisse (Caroline Gautier, Jean-Marc Singier, Dominique Boivin), et c’est « un Jura fantastique où les animaux parlent aussi bien qu’un sous-préfet ». Héritage d’un « Gai Savoir » (ou Percevoir ?), comme dit le compositeur Jacques Demierre à propos des lieder de jeunesse composés par Nietzsche (on rappellera que le père de Zarathoustra ne se contenta pas d’inventer pour le Dictionnaire des Citations Reçues la formule désormais omni-publicitaire : « sans la musique, la vie serait une erreur ») : nous sommes ainsi conviés à la création mondiale de Flash-Songs, « expérience sonore insolite avec lieder nietzschéens d’origine garantie, cuivres de Fanfareduloup , jaillissement du geste et contraintes de l’écriture ».

L’Atelier Cosmopolite permet d’entendre comme à chaque session de jeunes compositeurs sans frontières (19, en 2011), et l’ensemble des concerts ou installations totalise 18 créations mondiales et 14 helvétiques. Ce place aux jeunes n’empêche nullement la présence des « grands aînés du XXe » ainsi qu’on l’a constaté dans ce texte, et il faut ajouter aux noms déjà mentionnées ceux de Scelsi, Ligeti, Reich ou Carter. Allez, in fine, encore Michaux : « Musique, merveille qui sûrement précéda le feu. On en avait autrement besoin. » Et maintenant ?

Genève (divers lieux), Lausanne, Annemasse (74). Festival Archipel. Tous les jours du jeudi 17 au dimanche 27 mars 2011. 19 concerts ; installations et performances, conférences. Information et réservation : T. 041 22 329 42 42 ; www.archipel.org

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