ÉTÉ 2020, sélection cd, dvd, livres. L’été, le soleil, la plage ou tout simplement le temps qui s’offre sans compter pour lire, écouter, découvrir… Chaque été, CLASSIQUENEWS vous offre sa sélection des meilleurs titres cd, dvd livres qui ont marqué la Rédaction, depuis ce début 2020. Avec le confinement imposé, jamais la lecture et l’écoute, n’ont été plus assidues. Chacun pourra savourer encore et encore textes et partitions à l’ombre d’une plage ou face à un somptueux paysage, sous la voûte étoilée, à l’occasion d’un séjour, pendant un festival… Pour nous, c’est l’occasion de revenir sur les réalisations majeures pour mieux en mesurer la portée et le bénéfice le temps de vos vacances… Tous les titres ici réunis ont décroché la récompense suprême, le CLIC de CLASSIQUENEWS, ou méritent amplement d’être connus. Notre choix est subjectif, à torts ou à raisons bien sur, chacun selon son goût, mais de toute évidence, si vous n’en connaissez pas encore la teneur, chaque titre vous fera découvrir tout un monde sensible dont les manifestations ont su toucher nos rédacteurs.
LIVRES : lectures d’été 2020
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BD : ALCINA (Haendel / collection « Si l’opéra m’était dessiné » – éditions Kifadassé) – le coup de crayon est toujours aussi incisif ; la couleur lumineuse comme aquarellée. Voilà un second titre (après l’excellent Thaïs), qui donne vie au mythe d’Alcina, la magicienne impuissante : il est vrai que sa baguette voudrait infléchir l’amour. Or rien ni personne ne peut inféoder Eros. C’est tout l’enseignement de l’opéra baroque, et le drame lyrique de Haendel le dévoile parfaitement, mettant l’accent sur ce qui pilote ici les personnages : leur impuissance solitaire. Guy Delvaux et Antonio Ferrara illustrent et présentent l’action imaginée par le compositeur baroque pour Londres, en 1735. Du roman chevaleresque de l’Arioste (Roland furieux), les auteurs des éditions Kifadassé analysent bien le profil de chaque individu, lui-même tiraillé entre désir et réalité, pris dans les filets d’un inextricable échiquier émotionnel. Le génie de Haendel met en lumière le désir de chacun(e), sujet de la tromperie ou de la manipulation. Alcina aime et envoûte Ruggiero ; celui ci est pourtant épris de Bradamante, laquelle accoste au rivage d’Alcina mais sous un déguisement masculin (Ricciardo) dont s’éprend Morgana, la sœur d’Alcina… Ruggiero reconnaîtra-t-il son ancienne fiancée ? La magie d’Alcina est-elle plus forte que l’amour? En évoquant l’île enchantée d’Alcina, où les hommes changés en animaux sont prisonniers de la magicienne, Haendel traite le thème de l’illusion et de l’échec amoureux. Alcina n’est-elle pas victime de ses propres enchantements ? Grâce à un scénario bien ficelé, un dessin fin et nerveux, et aussi un sens aigu de la couleur, les passions baroques ainsi revivifiées dévoilent leur irrésistible actualité. Après avoir abordé l’amour sensuel puis mystique de la courtisane Thaïs, voici la puissance défaite de l’admirable Alcina, magicienne très fragile… On a déjà hâte de découvrir le prochain titre de la collection « si l’opéra m’était conté« … : Norma.
PHILIPPE MANOURY : ENTRETIENS (Aedam Musicae) – Pensée aiguë, création conceptuelle exclusive voire tonitruante (dans le sillon de son confrère Boulez), Philippe Manoury ne mâche pas ses mots dans cette collection d’entretiens qu’il a lui-même assemblée afin d’organiser des thématiques claires et éviter les redites possibles… En presque deux décennies (de 2003 à 2018), le compositeur français, qui s’est exilé aux States (Californie) puis est revenu en France, travaillant surtout pour l’Allemagne passe au crible la réalité de la vie musicale hexagonale, les éléments d’une spécificité française dont le bilan reste sombre, car la création et la musique savante ont désormais leurs jours comptés… Les pages les plus intéressantes sont celles dédiées à son œuvre : hélas peu de mots sur son (meilleur) opéra à ce jour : « K » d’après Kafka ; mais des précisions utiles sur Ring (la trilogie Köln, pour la ville de Cologne) ; sur le récent et très engagé Kein Licht, texte d’Elfriede Jelinek (entre écologie et nucléaire, inspiré de la catastrophe de Fukushima). A travers les pages et les réponses aux questions posées, se précise une écriture soucieuse de la forme, capable de dépasser le classicisme, de réussir le développement, l’imaginaire, l’anticipation pour produire in fine une musique organique, peut-être capable de suivre des règles magnétiques et naturelles, comme s’il s’agissait de lois nouvelles fixées par des phénomènes d’attraction encore inédits (où le son acoustique, électronique pèse autant que la forme et le geste). Demain, Manoury rêve d’écrire un opéra d’après Joyce (Ulysse). On rêve qu’il mette à exécution ce projet. L’admirateur de Wagner pourrait bien signer là son prochain chef d’oeuvre…
La musique en questions – Entretiens avec Philippe Manoury
Nombre de pages : 216 pages – éditions Aedam Musicae
Coll. Musiques XX-XXIe siècles – Format : 14.5 x 22.5 cm (ép. 1.8 cm) (301 gr)
Dépot légal : Mai 2020
Cotage : AEM-228
ISBN : 978-2-919046-72-0
Disponibilité : en stock, envoi immédiat
LIVRE, événement. Beethoven et après par Élisabeth Brisson, Bernard Fournier, François-Gildas Tual (Fayard / Mirare). Nous ne pouvions pas passé sous silence l’année des 250 ans de la naissance de Ludwig. Une année commémorative mise à mal par la pandémie de la covid 19… Immédiatement, le génie beethovénien a été reconnu, mesuré, analysé à sa juste valeur, créant une onde de choc et d’influence, persistante et durable. Tous ses contemporains (excepté Goethe qui rencontre le musicien sans suite) ont célébré la grandeur de l’artiste, la dimension messianique de son écriture, sa fougue révolutionnaire, en particulier dans ses œuvres symphoniques. A l’époque qui suit la Révolution française dont les valeurs suscitent l’adhésion du compositeur né à Bonn (fraternité, égalité, liberté), quand Bonaparte prend le pouvoir et devient Empereur, Beethoven crée la musique de cette déflagration qui sculpte l’Europe politique. Même à l’époque du Congrès de Vienne (1815), Beethoven est le compositeur majeur reconnu par tous. Transcriptions, partitions conçues dans son influence directe… Lire notre présentation complète
Livre, critique. Marcel Proust et Reynaldo Hahn, Une création à quatre mains (collectif, Classiques GARNIER). Nous vous y trompez pas : le vrai sujet de ce livre passionnant est Reynaldo, moins Marcel. La révélation est totale : celui que l’on considère souvent comme une aventure passagère dans la vie sentimentale de Proust (rencontre vers 1894-1895), gagne un nouveau profil, réestimation nécessaire car Reynaldo Hahn fut une personnalité majeure du Paris de la Belle Epoque, un penseur et un esthète, un théoricien, amateur de peinture et des arts en général, compositeur évidemment et plus que le confident de Marcel, un double, un frère, cultivant la conversation et le dialogue : un ami de longue date qui éblouit par son tempérament aussi sensible, cultivé que sincère et loyal. Ils échangent et créent à quatre mains dans un mouvement et une liberté de pensée continue. Les contributeurs argumentent et expliquent en quoi il y a égalité et respect mutuel entre deux frères habités par l’esprit de création. A l’époque du wagnérisme triomphal et incontournable, Reynaldo ne cesse d’exprimer son admiration pour l’écriture de Massenet dont le « charme » égale celui de Mozart… le compositeur livre avec son opéra « L’île du rêve » son ouvrage le plus exquis…
Les textes n’écartent pas non plus les points de divergence, pierres d’achoppement pour des échanges plus riches encore : si Marcel Proust s’intéresse surtout à la musique pure, instrumentale, présente et questionnée dans son œuvre à travers la Sonate de Vinteuil (compositeur imaginaire qui les synthétise tous), – une matière pure en quelque sorte qui dans le bain des sentiments qu’elle fait surgir, permet la révélation de l’identité propre-, Reynaldo Hahn immergé dans le travail de composition, se définit surtout, essentiellement, dans le rapport de la musique avec le chant (d’où son admiration pour le plus grand compositeur lyrique alors, Massenet)…
Voilà qui éclaire généreusement les coulisses de la création et le goût comme la sensibilité de deux personnalités artistes, deux créateurs français parmi les plus attachants au carrefour des deux siècles. Les 6 textes s’avèrent captivants pour qui souhaite comprendre les affinités électives, la généreuse estime qui ont aimanté l’esprit de Proust et de Hahn, depuis leur première rencontre.
Livre, critique. Marcel Proust et Reynaldo Hahn, Une création à quatre mains (collectif, Classiques GARNIER, collection « Bibliothèque proustienne » n°21). https://classiques-garnier.com/marcel-proust-et-reynaldo-hahn-une-creation-a-quatre-mains.html – 229 pages / prix indicatif : 29 euros. ISBN: 978-2-406-06478-7.
LIVRE événement, critique. Francis Claudon : STENDHAL et la musique (UGA éditions, 2020) – Il n’est pas un écrivain plus mélomane que Henri Beyle dit Stendhal (1783 – 1842). A son époque le journaliste, chroniqueur au Journal de Paris informe ses lecteurs sur l’état et l’évolution de l’opéra italien, une passion manifeste pour l’auteur de Lucien Leuwen. L’esprit de Stendhal, son acuité pénétrante de faux dilettante et de vrai musicographe agace les meilleurs compositeurs (Berlioz), jaloux d’y relever la pertinence d’une pensée aussi élégante qu’intelligible du plus grand nombre. Ainsi Stendhal a ses « moments » ou plutôt ses séquences toutes bien trempées car l’œuvre est celle d’un défricheur et curieux, disparate autant que contrasté : sa scandaleuse biographie Haydn (objet d’un plagiat en règle opéré à l’insu de Giuseppe Carpani), son moment Schubert, évidemment sa vie de Rossini, surtout ses pénétrantes affinités avec Cimarosa et principalement Mozart… affirme l’autorité d’un écrivain qui pense et comprend la musique. Il est assez surprenant que l’auteur de la Chartreuse de Parme mette sur un pied d’égalité admirative le Napolitain et le Salzbourgeois. Mais n’est ce pas là la globalité équilibrée d’un goût sûr comprenant son gemme léger, brillant, virtuose (Cimarosa) aux côtés de son diamant plus sombre et mélancolique voire préromantique : Mozart ? L’auteur de ce livre passionnant distingue ce en quoi Beyle a su expliquer et diffuser un goût, une sensibilité, depuis fondatrice d’une génération d’amateurs mélomanes romantiques. En particulier une passion pour les ficelles et la mécanique du sentiment amoureux, un sujet partagé avec son prédécesseur Wolfgang. Le « goût Stendhal » se précise ici à travers 5 parties aux chapitres denses relevant d’une approche cohérente. On y remarque marqueurs emblématiques, le « Rossiniste de 1815 », le fan de Malibran (en tournée)… Mais le bénéfice le plus musical ici s’affiche clairement dans le rapprochement de certains éléments des opéras de Cimarosa et de Mozart dont les situations, la formule théâtrale influencent directement la trame et les schémas dramatiques des romans de Stendhal (partitions littéraires moins connues à son époque qu’elles ne le sont actuellement) : ainsi dialoguent le littéraire et l’opéra, et se nourrissent à la source musicale et lyrique, Il Viaggio a Reims de Rossini et Le Rouge et le Noir ; Otello de Rossini ou Idomeno et La Clemenza di Tito de Mozart fécondant l’intrigue et la trame psychologique des personnages de La Chartreuse de Parme… Du reste, c’est cette passion de la musique qui confère aux champs et réalisations multiples d’un Beyle protéiforme, leur unité profonde. L’intuition et la justesse du goût de Stendhal se dévoilent encore dans ses commentaires de l’ultime seria de Mozart, La Clemenza di Tito dont il est ainsi le premier auteur à relever, en une intuition visionnaire, le génie sidérant. Magistral. LIVRE événement, critique. Francis Claudon : STENDHAL et la musique (UGA éditions, 2020) – ISBN : 9782377470785.
PLUS D’INFOS, achat du titre numérique / papier sur le site de l’éditeur UGA – Université Grenoble Alpes :
Notre sélection CD : écoutes enchantées
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L’intégrale BEETHOVEN 2020
CD, coffret événement. The New Complete Edition BEETHOVEN 2020 (118 cd, 2 dvd, 3 bluray, DG Deutsche Grammophon). Pour les 250 ans de la naissance de Beethoven, la firme Deutsche Grammophon renoue avec l’époque des somptueuses intégrales discographiques et crée l’événement en cette fin d’année 2019, en éditant un coffret remarqable à tout point de vue : autant pour la qualité des versions choisies que la présentation et le soin éditorial réalisé pour cette édition saluée par un CLIC de CLASSIQUENEWS. Difficile de trouver sur le marché intégrale mieux conçue : en partenariat avec la Beethoven Haus Bonn et la fondation officielle Beethoven 2020. En découlent dans cette boîte magique 175 heures de musique en 118 cd, 2 dvd (Fidelio par Bernstein / Symphonies 4 et 7 par C Kleiber) et 3 blu-ray audios (Symphonies Karajan / Sonates pour piano par W Kempff / Quatuors par le Quatuor Amadeus). Ainsi Deutsche Grammophon présente l’intégrale la plus complète et remarquablement éditée. La richesse du contenu musical a éé possible grâce au travail en partenariat entre DG et 10 autres labels. LIRE notre présentation complète de l’intégrale BEETHOVEN 2020 édité par Deustche Grammophon pour les 250 ans de Ludwig van Beethoven
CD événement, critique. VERDI : OTELLO. Kaufmann, Lombardi; Pappano (2 cd SONY classical, 2019). D’emblée c’est le sens du détail et le souffle cinématographique instillés par la direction d’Antonio Pappano qui s’avèrent prenants et exaltants, d’un bout à l’autre. Le chef, directeur musical de la ROH à Londres et aussi des troupes romaines de Santa Cecilia, emporte toute l’équipe, dès l’amorce de la tempête initiale, les premiers dialogues viriles : Otello, Cassio, Iago, comprenant aussi l’excellent choeur dont « Fuoco di gioà » souligne le mordant dramatique, le sens du verbe, l’énergie collective. Avant Pappano, Rome avait déjà accueilli une somptueuse version, à juste titre légendaire, réunissant il y a 60 ans, Jon Vickers, Leonie Rysanek, Tito Gobbi, sous la baguette éruptive, expressionniste de Tullio Serafin.
La complicité des interprètes réunis à Rome en 2019 explose dans cette arène vive où Verdi évoque la folie shakespearienne dont Otello est la victime le plus effrayante et bouleversante. Celui pour lequel la culpabilité de Desdémone ne fait aucun doute, qui la tue même en toute bonne foi, découvre ensuite, l’irréparable et la faute abjecte qu’il a commise. Cette emprise du guerrier, manipulé par Iago, mais pas seulement, car il y avait en lui, un terreau propice au doute et au soupçon, est la clé du personnage ; l’éclairage souterrain en est ainsi explicité par l’implication magistrale qu’en donne ici Jonas Kaufmann pour lequel il était primordial d’enregistrer au studio le rôle des rôles pour les ténors, après l’avoir abordé sur scène (à Londres avec Pappano à l’été 2017 dont un dvd garde la trace ; à Munich avec Petrenko). Le ténor bavarois cisèle chaque mesure comme la tirade d’un rôle doué de multiples nuances (du désir amoureux à la rancoeur jalouse, de la douceur enivrée à la rage vengeresse). L’intranquillité et la sincérité, tout autant, habitent le personnage du Maure ; une force sauvage et une délicatesse susceptible qui fondent un défi expressif pour tout interprète. Kaufmann prolonge ici le chemin incarné par le légendaire et halluciné Vickers dont on retrouve la déchirure primordiale malgré la différence de timbre. Jonas Kaufmann électrise le drame verdien : son ténor barytonant, aux raucités félines dont les couleurs changent selon le sentiment et la situation, rétablit le théâtre et la vérité, quitte à chanter « laid » comme Callas. En lui s’écoule un être instable, déchiré par le doute, un vaillant faible, rattrapé par ses démons intérieurs. D’autant que le timbre du ténor s‘est assombri, élargi. La folie shakespearienne hantée par la mort et l’abandon s’incarne ici avec une vérité théâtrale superlative. La cuirasse d’Otello se brise sous la pression du soupçon devenu obsession. Le chant parle, susurre, s’irradie, s’éclaire de mille nuances de la folie (jusqu’au contre-ut, le seul de la partie, quand l’époux injurie sa femme en la traitant de « pute » / quella vil cortigiana…). Autant de contrastes rauques et félins s’entendent aussi à l’orchestre, comme un double amplifié.
Aux côtés de ce funambule halluciné, jaloux, blessé, le Iago de Carlos Alvarez sait lui aussi cultiver la nuance dans la noirceur la plus serpentine (excellent duo final du II) ; la Desdémone de Frederica Lombardi ne démérite pas, mais ne maîtrise pas la palette des teintes mordorées dont est capable le magicien Kaufmann : quel dommage car la jeunesse de la soprano s’en ressent dans son Ave Maria puis l’air du saule. Trop poli et lisse, trop joli, comparé au réalisme filigrané de son partenaire. Même implication, plus prenante cependant concernant le Cassio de Liparit Avetisyan : un rôle qu’a chanté Kaufmann à ses débuts verdiens : Avetisyan réussit entre autres « Miracolo vago dell’aspo e dell’ago » avec un bel aplomb qui donne épaisseur à celui que Iago a désigné comme l’amant de Desdémone… L’édition de ce coffret indispensable est comme la cohérence de l’interprétation : plus que convaincante, superlative. A mettre dans le rayon des incontournables avec son Radamès, précédemment enregistré pour Sony en 2015.
CD, événement. VERDI : OTELLO. Kaufmann, Lombardi, Pappano (2 cd SONY classical, 2019)
Otello: Jonas Kaufmann
Desdemona: Federica Lombardi
Iago: Carlos Alvarez
Emilia: Virginie Verrez
Cassio: Liparit Avetisyan
Roderigo: Carlo Bosi
Lodovico: Riccardo Fassi
Montano: Fabrizio Beggi
Araldo: Gian Paolo Fiocchi
Orchestre, Choeur de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Antonio Pappano, direction musicale / Enregistré dans les studios de la Santa Cecilia à Rome juin juillet 2019.
CD, critique. CAGE MEETS SATIE (1 cd PARATY)… étrange autant qu’improbable mise en dialogue. Certes l’Américain du XXè ne cachait pas son admiration pour la facétie délirante, poétique, séditieuse du Français. Ainsi, comme portée par cette filiation que peu ont su exploiter, l’équation pétille ici, s’électrise même grâce au jeu mordant, inventif des deux pianistes défricheurs : Anne de Fornel et Jay Gottlieb. Cage a favorisé la diffusion du Socrate de Satie aux States ; bel hommage et bel engagement pour le compositeur français qui fit imploser conventions et usages. Même irrévérence créative dans Three Dances (1945) qui semble prolonger l’esprit subversif du Français. Le tryptique (utilisé par Merce Cuningham dans son ballet Dromenon en 1947) affirme les vertus des pianos préparés dont la palette sonore, décalée, percussive, envisage un tout autre langage pour l’instrument. Un chant libéré qui sait s’immiscer dans les racines et l’essence du son, hors des codes convenus, hors de tout développement narratif. La démarche aurait été validée par Satie lui-même.
A l’inverse de ce jaillissement rythmique premier, Expériences n°1, également utilisé aussi par Cuningham, fait valoir son essence transparente, aérienne où les touches blanches dialoguent avec le silence. Une méditation qui revisite l’introspection suspendue du Satie des Gnossiennes et des Gymnopédies.
La pièce maîtresse du programme demeure Socrate de Satie (1918), drame en 3 parties, évoquant l’illustre destin du Philosophe, ici réalisé dans la version pour 2 pianos de Cage de 1968 (sans la voix). A travers les 3 épisodes, l’Américain retrouve la liberté d’un geste révolutionnaire, celui de Satie l’inventeur de formes inédites. Le dernier mouvement étire sa temporalité intériorisée jusqu’au silence. Un retour au mystère et à la poésie pure de la musique. Réjouissante rencontre.
CD, critique. CAGE MEETS SATIE : works for 2 pianos. John CAGE (1912-1992) : Three Dances pour deux pianos préparés (1944-1945) ; Expériences n° 1 pour deux pianos (1945). Erik SATIE (1866-1925) : Socrate pour deux pianos (1917-1918 / 1968). Anne de Fornel et Jay Gottlieb, pianos. 1 CD Paraty. Enregistré en mars 2019 à Paris. Durée : 56mn.
CD, critique. Alexandra KURZAK : DESIRE – Soprano lyrique et dramatique, la mezzo soprano polonaise Alexandra Kurzak (madame Alagna à la ville), nous livre ici un (premier) récital discographique solo (chez Sony) de première qualité mettant en avant la chaleur de son timbre cuivré, son tempérament tragique, son style économe, sobre, d’une justesse rare, soit du lirico au spinto. C’est d’abord la prière de l’humble servante (« Io son ancella ») qu’est Adriana Lecouvreur, « Fedelta », âme ardente aux aigus filés en une extase idéale. Le grain corsé du timbre affiche sa raucité de mezzo dans Ernani, aux accents callasiens, car en plus de la puissance et de l’intensité, la diva sait aussi filer une belle ligne coloratoure… à fort caractère, dans l’aria et la cabalette d’Elvira, d’une agilité, brillante, pleine de panache (« Surta è la notte. Ernani, involami »)… Même vocalises précises et percutantes, d’une claire flexibilité dans le « Boléro » d’Elena (« Mercè, dilette amiche ») des Vespri Siciliani de Verdi. La combinaison brillance et couleurs est exemplaire. Voilà comme Anna Netrebko une verdienne attachante qui prolonge sa Luisa (Miller) écoutée en 2018 à Monte-Carlo. Caressante, implorante, sa Tosca dans sa fameuse prière à la Madone (« Vissi d’arte… »), émeut par la sincérité de sa blessure et un souffle / legato parfaitement maîtrisés.
Le chant à la lune de Russalka, l’air de la lettre de Tatiana dans Eugène Onéguine de Tchaikovski imposent un sens dramatique et une intelligence de ligne comme de la couleur et des respirations, envoûtants. Sur les traces de Mirella Freni, sa Micaela (« Je dis que rien ne m’épouvante », extrait de Carmen) saisit par sa tendresse sobre ; quand sa Cio Cio San (Madama Butterfly) bouleverse tout autant dans l’ivresse tragique d’ « un beldí vedremo » . Leonora du Trouvère atteint une autre ivresse éperdue car le timbre et l’instinct de la diva inspirée lui permettent d’incarner idéalement l’angélisme amoureux de celle qui est prête à mourir pour son cher Manrico : l’air « D’amor sull ali rose » exprime les espoirs jusqu’au vertige d’une âme loyale, enivrée par l’amour qui la submerge et la porte.
Les couleurs fauves du timbre, l’intelligence du style, l’opulence des aigus confirment le tempérament d’une diva admirable qui chante, exprime, bouleverse en quatre langues. Dommage que le chef ne suive pas l’exquise diseuse, la belcantiste enivrée sur ce niveau d’excellence.
CD, critique. DESIRE : Alexandra KURZAK, mezzo soprano Airs d’opéras de Verdi, Puccini, Bizet, Cilea, Leoncavallo, Tchaikovsky, Dvorak. Morphing Chamber Orchestra. Frédéric Chaslin, direction — (1 cd SONY classical – Enregistré en avril 2019).
CD, critique. Sweet dreams. Varduhi Yeritsyan, piano (1 cd Paraty). La sensibilité de la pianiste arménienne VARDUHI YERITSYAN se déploie sans artifices ni affectation; dans la richesse attrayante d’une sincérité qui réveille les souvenirs et vivifie la pudeur. Son piano mystérieux et insouciant ne manque pas de qualités suggestives : les séquences ou seynettes du Katchatouriam sont saisies avec une acuité expressive bien articulée dont on loue aussi la séduction poétique et le sens d’une divagation onirique. Pour Prokofiev, le jeu se fait plus précis, serré, rythmique, d’un panache tout aussi badin que racé (Walk, Tarentella). Pour nous, l’enchantement de l’enfance s’exprime librement à travers les 24 épisodes de l’Album de Tchaikovski, condensé de charme et d’ivresse mélodique et rythmique qui approche l’activité fabuleuse du ballet Casse Noisette.
CD, critique. Transcriptions lyriques. Alissa Zoubritski, piano (1 cd Paraty, 2018). Comme sa consœur arménienne Varduhi Yeritsyan qui sort également un album personnel chez Paraty, la pianiste franco-moldave Alissa Zoubritski réussit ce premier programme sous l’étiquette fondée par Bruno Procopio : elle y fusionne un récital dont la diversité dévoile des capacités volubiles et contrastées, comme il se distingue aussi par des choix personnels qui produisent des filiations et correspondances bienvenues. Le titre déjà vaut note d’intention « Transcriptions lyriques » : il entend démontrer la vocalité du piano, le clavier étant cette « voix » spécifique apte à exprimer sentiments et situations à l’égal de la scène opératique. La pianiste ajoute aux standards bien connus (Le Rossignol d’Alabiev, Kaddish de Ravel…), quelques perles inédites, manifestement séduisantes tels Les irrésistibles Chemins de l’amour de Poulenc, Le Rêve de Rachmaninov dont on reconnaît une nouvelle force expressive dans l’exercice de transcription. Inusables, gagnant même un surcroît d’expressivité dans leur forme exclusivement pianistique, La Maja de Granados comme le Pétrarque de Liszt se distinguent par la justesse engagée de la pianiste. Alissa Zoubritski inscrit aussi son cycle au XXIè avec la « transcription création » Tic Tac de Jean-Baptiste Robin (2018), heureux délire rythmique et swingué sur le thème d’une horloge déréglée.
DVD : découvertes et ivresses totales
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DVD, Blu ray, critique. TURANDOT : Wilson / Luisotti (BelAir classiques). Gestuelle statique et frontale, pas mesurés et saccadés, lumière diffuse (lunaire pour le premier acte) : l’imaginaire visuel et cette apologie de mouvements épurés à l’économie, défendus depuis des lustres (souvent de façon systématique) par Bob Wilson fonctionnent indiscutablement ici : l’univers d’une Chine terrorisée par la princesse sanguinaire, où la foule malmenée par les guerriers impériaux s’ébranle au diapason de la meule qui aiguise la lame du bourreau… tout est magnifiquement dit dès le premier tableau : les êtres sont réduits à des mouvements d’automates, précisément muselés par un régime tyrannique.
Dans ce tableau létal et glaçant, morbide totalement déshumanisé, les 3 ministres des rites agissent comme des bouffons qui détendent singulièrement la tension ambiante : les 3 masques réalisent l’incursion de la commedia dell’arte dans cette barbarie collective où flotte comme une ombre la figure tutélaire de Turandot princesse hallucinante qui peut n’avoir jamais existé ! Ils tentent de déchirer la possession qui s’est saisie du cœur du prince Calaf après avoir vu la princesse inaccessible. Ainsi l’univers du conte de Goldoni, est il visuellement bien restitué, subtile équation entre exotisme, cruauté, onirisme. LIRE notre critique dvd opéra : Turandot par Bob Wilson et Luisotti (Madrid, 2018 – BelAir classiques)
Sélection classiquenews 2020, opérée par Lucas Irom et Alban Deags, avec tous les rédacteurs cd, dvd, livres de classiquenews.com