ENTRETIENS. JS BACH réinventé. Ensemble en résidence au Festival Musique et Mémoire, ALIA MENS explore l’imaginaire et l’esthétique de JS Bach, dévoilant une finesse d’intonation peu commune qui renouvelle notre écoute et notre connaissance des cantates et autres oeuvres instrumentales du Director Musices à Leipzig. Le premier cd, édité par Paraty, éclaire l’inspiration du jeune BACH alors qu’il rejoint Weimar (au cours des années 1710) et livre de nombreuses Cantates… Le cd est un événement, CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2017. A cette occasion, classiquenews a posé 4 questions au responsable artistique d’Alia Mens, Olivier Spilmont. Entretien exclusif
Comment définiriez-vous la sonorité d’Alia Mens ? Qu’est ce qui donne à votre ensemble sa singularité et son identité ?
Un nombre vertigineux de paramètres rentre en ligne de compte dans l’élaboration de l’identité d’un ensemble, de sa sonorité…
Certains peuvent être analysés, d’autres nous échappent.
La personnalité de chaque musicien est bien-sûr primordiale, mais je dois dire que je ne me suis jamais mis en position de « fabriquer une identité » pour l’ensemble. Cette démarche me semble artificielle.
Ce qui fabrique un son et une identité, c’est, à mon sens, la concentration commune sur une idée, sur une image sonore que l’on porte en soi face à la partition. Et dans le cas de Bach, la construction est telle, d’un point de vue formel et spirituel, que la tâche est à la fois simple et difficile.
L’unité de ses œuvres est incroyablement puissante et les détails fourmillent… Il est donc question de hiérarchie. Qu’est ce qui prime dans tel ou tel traitement du texte ? Ici, la force du trait mélodique avec ses intervalles accidentés; là, la puissance rythmique… Et tout cela au service d’un message spirituel, religieux, traité avec une grande acuité dans chacune de ces cantates.
Quand les options sont clairement prises sur les priorités de tel ou tel section ou mouvement, alors un « son d’ensemble » surgit avec sa singularité, son identité. Une fois que le son a surgi, je veille en effet à ce qu’il soit vivant, qu’il ait une courbe qui puisse créer un espace. Cet espace dépend principalement du rythme, c’est à dire de la distance parcourue d’un point vers l’autre. Quand le son habite consciemment cette distance, on entre dans un royaume !…
Quels sont les critères qui ont permis de concevoir le programme du cd « La Cité céleste » qu’édite Paraty en mai 2017 ?
L’œuvre complète de Bach est géniale. Il y a donc l’embarras du choix! Ce qui m’a en premier lieu orienté vers sa période de Weimar est d’ordre pratique. Ces premières cantates sont destinées à de petits effectifs. La chapelle ducale dans laquelle elles furent créées était de dimension modeste. J’ai donc choisi de me diriger vers des cantates qui offraient une corrélation d’un point de vue liturgique, sémantique, mais aussi avec des correspondances sur l’instrumentarium. Les deux flûtes à bec et le hautbois, ces deux instruments au rôle rhétorique précis, tous deux liés à l’évocation de la mort, dans l’angoisse pour le hautbois et plus sereinement pour les flûtes, sont les deux coloristes importants de ce programme et concourent à lui donner une unité.
Le fait que ces cantates aient été entendues pour la première fois dans un court laps de temps (1713, 1714 et 1716) nous permet d’offrir une photographie singulière sur la richesse de l’écriture de Bach dans un moment où naviguent ses inspirations entre le Concert spirituel de sa vieille Allemagne et l’opéra (sacré en ce qui le concerne !) venu d’Italie.
Quel est le parcours spirituel et esthétique qui jalonnent le choix des 3 cantates ?
« Weg zur Himmelsburg », le « chemin vers la cité céleste », me paraît être un symbole très fort au delà d’être une inscription sur le fronton de l’église de Weimar. Bach donne l’impression d’avoir construit toute sa vie sa propre cité céleste… La mort fut, comme bon nombre de ses contemporains, omniprésente toute sa vie durant. Il fut donc certainement nécessaire à cet orphelin de construire un espace hors d’atteinte, et ces trois cantates nous offrent un cheminement poignant sur ce sujet. Le parcours de ce programme est en effet pensé avec une dramaturgie nous menant des turpitudes de l’existence à l’appel de la délivrance : nous commençons par l’angoisse et la volonté de surmonter les difficultés de la vie terrestre avec la première cantate (BWV 12), puis nous suivons l’invitation à féconder notre cœur de la Parole divine avec la parabole du semeur de la seconde cantate (BWV 18) pour terminer enfin avec cette incroyable méditation qui nous mène à l’immortalité bienheureuse de la dernière cantate (BWV 161).
Il me semble qu’au-delà du caractère religieux évidemment primordial pour Bach, cette musique nous parle de ce paradoxe universel existant entre le combat permanent et l’acceptation.
De votre point de vue qu’est-ce qui fait la séduction particulière de la Cantate BWV 161 (notre préférée dans ce disque) ? Qu’est ce qu’elle dévoile de l’écriture et de la pensée de JS Bach ?
Le sentiment de douce acceptation qui plane sur toute cette cantate lui imprime un caractère tout particulier. Le Sterbelied ou chant sur la mort est un des grands thèmes récurrents chez Bach. Souvent, comme ici, l’instrumentarium y est très simple: deux solistes vocaux seulement, rejoints par deux autres pour chanter le chœur et le choral, les cordes, le continuo et deux magnifiques flûtes à bec. La simplicité, horriblement périlleuse à organiser est souvent au cœur des choses les plus belles. Bach commence cette cantate dans la lumière particulière d’Ut Majeur et confie aux deux flûtes à bec un entrelacs en tierces et sixtes parallèles particulièrement émouvant. Cette lumière n’est pas sans nous rappeler la Sonatina de l’Actus tragicus (BWV 106). La simplicité n’empêche pas cette cantate d’être d’une grande richesse dans son écriture polyphonique (parfois 10 parties réelles dans son chœur!… ).
La présence du choral « Herzlich tut mich verlangen » ( « De tout mon cœur, j’aspire à une fin sereine ») cité à l’orgue dès le premier numéro enveloppe le tissu contrapuntique et apporte une force incroyable. Ce cantus firmus instrumental, bien connu des auditeurs de l’époque mais dont les paroles ne sont pas prononcées, permet à Bach de commenter lui-même le texte du livret écrit par Salomo Franck. C’est donc pour moi la simplicité et la concentration des moyens utilisés qui donnent l’intensité extraordinaire de cette cantate et dévoilent sa véritable dimension, qui est d’être avant tout l’amplification de la parole, dont la moindre inflexion est exaltée par la musique.
Propos recueillis par Alexandre Pham, en mai 2017.