jeudi 28 mars 2024

Entretien avec Nathalie Stutzmann: chanter, diriger, enchanter !Festival de Verbier 2012. Le 23 juillet 2012

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Entretien avec Nathalie Stutzman
Festival de Verbier (Suisse), le 23 juillet 2012

Situation vocale relativement rare : Nathalie Stutzmann est contralto, interprète d’opéra comme de mélodies, et après avoir été formée instrumentalement au piano et au basson, chef d’orchestre à la tête d’un ensemble qu’elle a fondé il y a trois ans, Orfeo 55, qui joue tous répertoires sur instruments anciens ou modernes. C’est ce groupe instrumental qu’elle a emmené sur les hauteurs valaisanes, pour faire écouter concerti, cantates, arias vivaldiens…. Quelques questions-réponses, parfois peu orthodoxes et sur un ton libre, entre répétitions, et concerts des autres que N.Stutzmann aime à suivre.


« Ma voix est rare »

Dominique Dubreuil : Votre « situation vocale » de contralto vous a peut-être parfois paru difficile à vivre dans le milieu musical, mais vous a poussée à rechercher hors des sentiers battus…
Nathalie Stutzmann : Oui, « ma » voix est rare, son répertoire original spécifique très exigu. Mais il y a vis-à-vis des spectateurs un clivage très fort : cette vocalité est peu connue du grand public, alors que les spécialistes connaissent, apprécient, voire adorent cela…. En tout cas, j’ai vite su ce qu’était une voix féminine grave, à quoi cela entraînait, et qu’il me faudrait dépasser les limites d’un répertoire lyrique modeste, une fois dépassé le temps du baroque, où il y a les plus grands rôles, notamment chez Haendel ou Vivaldi ! Car ensuite, dans l’histoire de la musique, il n’y a plus grand-chose, en tout cas en matière de rôles déterminants.

D.D.: Mais à l’inverse, il y a un répertoire important dans le domaine du lied et de la mélodie.
N.S.: Oui, et c’est d’ailleurs ce répertoire-là qui m’importe essentiellement. Mais il faut savoir qu’on est parfois là dans la nécessité d’une transposition, d’une adaptation permanentes. Certes, vers la fin du romantisme, nous possédons quelques partitions qui correspondent vraiment à cette tessiture, ainsi les Quatre Chants Sérieux de Brahms ou la 3e de Mahler. Mais l’essentiel de ce que j’ai chanté et enregistré demeure dans la transposition, chez Schubert – le Winterreise -, Schumann ou Fauré.

D.D.: Vous mettez-vous, vous-même « la main à la pâte » de la réécriture, ou de l’écriture-composition ?
N.S. : Non, je laisse agir de plus compétents que moi !

Vrais et faux modèles

D.D.: Au-delà du début XXe, vous avez pu travailler sur des partitions plus spécifiques par rapport à votre voix ?
N.S.: Oui, par exemple pour le courant des années 1950, un compositeur très intéressant comme Jacques Leguerney. J’ai aussi chanté des partitions de la Russe Sofia Gubaidulina. Mais vous avouerai-je n’avoir pas grand goût en direction de la musique contemporaine … ? En tout cas, il faudrait que des compositeurs viennent à moi, fassent des propositions, et ce n’est pas toujours facile à réaliser, voire à imaginer, ce dialogue entre les interprètes et les auteurs ! J’aimerais toutefois pouvoir un jour commander une œuvre à des gens que j’admire comme Eric Tanguy ou Georges Aperghis.

D.D.: Seriez-vous donc plus à l’aide dans le monde des baroqueux ? Vous devez avoir gardé quelques « modèles » parmi les (re)fondateurs de l’interprétation ?
N.S.: Ah non, pas dut out ! Je déteste le côté donneur de leçons, le dogmatisme méprisant, le « on a tout réinventé ». Et d’abord où ont-ils tout trouvé ce qui fait leur fond de commerce, leur petit son étriqué et systématiquement sans-vibrato, dans quels documents, dans quels traités, dans quels souvenirs ? En tout cas, il ne faut pas que l’interprétation de ces musiques-là –et celles d’autres époques, d’ailleurs, devienne une affaire d’intellectuels, de spécialistes. Il faut y aller à l’instinct !

Diriger dans mon coeur

D.D.: Et maintenant que vous avez pris en mains la direction d’orchestre, ce sont les mêmes principes que vous appliquez ?
N.S.: On pourrait, le dire, oui. Et même si je n’ai commencé ce travail qu’il y a trois ans avec Orfeo, depuis mon enfance j’ai toujours dit que je voulais « diriger dans mon cœur »…

D.D.: Pourtant vous vous reconnaissez des maîtres ?
N.S.: Je dois beaucoup à trois d’entre eux : Seiji Ozawa, Simon Rattle, Jorma Panula. Et ces trois sont d’extraordinaires instinctifs, dont le charisme passe beaucoup par le corps. Bien sûr, comme disait Mahler, « il faut lire ce qui est derrière les notes ». Et qu’est-ce qui vous y aide le mieux que ce langage du corps, ce don de faire passer par le geste, une sorte de danse de tout l’être , ? Les données de base une fois intégrées, tout commence. Là encore, est-ce qu’il ne faut pas admettre ce que disait Georges Prêtre : « être chef, ça ne s’apprend pas , on a le don, ou pas. » Le don, c’est surtout de faire passer en direction des autres le pouvoir mystérieux qui ne s’analyse pas trop. Pour ma part, en dirigeant, je veux surtout redonner aux instrumentistes le plaisir de jouer. Je voudrais « enchanter »…

Eurydice est-elle restée en arrière ?

D.D.: Comme Orphée-Orfeo ?
N.S.: Eh oui ! Le pouvoir du dieu, qui charme même les enfers et les gardiens de la mort ! Monteverdi ou Gluck, mes saints patrons… Je mets mon orchestre sous leur protection…

D.D.: Mais vous ne vous retournez pas pour être sûre qu’Eurydice est bien avec vous ?
N.S.: Oui, il fait faire attention de ne pas abandonner la Beauté aux Enfers . En tout cas j’aime ce monde où nous sommes, la Nature sous toutes ses formes…

D.D.: Donc à Verbier…
N.S.: Oui, bien sûr, la montagne comme ici ! mais j’aime autant la mer , les saisons partout, même aussi le paysage des villes. C’est le Paradis tout cela, et je veux continuer à m’y investir de tout mon être, avec ceux qui acceptent de me suivre dans l’aventure musicienne !

Festival de Verbier (Suisse), 23 juillet 2012. Propos de Nathalie Stutzmann recueillis par Dominique Dubreuil

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