vendredi 19 avril 2024

Entretien avec le compositeur Richard DubugnonVerbier, juillet 2011

A lire aussi
Entretien avec le compositeur
Richard Dubugnon
Festival de Verbier
juillet 2011


Richard Dubugnon est un compositeur sinon prophète, du moins connu en son pays natal, et bien sûr ailleurs. Le Festival de Verbier lui a commandé (en partenariat avec le Concertgebouw d’Amsterdam) une pièce pour quintette à cordes, Pentalog. La création a eu lieu le 25 juillet, et nous en avons rendu compte. Entretien sur le parcours, l’inspiration et l’esthétique de ce jeune auteur (37 ans) très présent dans la création européenne.


Salon et officine


Dominique Dubreuil: Votre histoire personnelle compte pour votre parcours de compositeur, et cela semble s’être accompli par voyages, sinon exils…

Richard Dubugnon: C’est vrai que je suis né « ici », à Lausanne, et qu’il m’a fallu attendre – l’installation en France méridionale, à Montpellier, j’avais une dizaine d’années – pour penser à bifurquer entre les Lettres que j’avais choisies et la musique qui a fini par me « prendre », l’instrument d’abord (la contrebasse), puis la composition.


D.D. Votre histoire familiale est bien liée à la littérature et aussi aux sciences, à une forme d’humanisme….

R.D. Oui, ma mère est romancière. Mon grand père, pharmacien et « bellétrien », vivait entre protestantisme, Lumières rationalistes et catholicisme. Son salon accueillait d’autres lettrés, et aussi des musiciens – un organiste comme mon oncle Marc Dubugnon, des compositeurs célèbres… La « pharmacie » m’a permis d’herboriser très tôt et avec passion, de voir aussi comment dans ces fioles qu’il affectionnait, il y avait tout un monde virtuel, et beau.

D.D. La voie souveraine de Jean-Jacques Rousseau, en somme… Méfiez-vous quand même de l’épitaphe ironique de Valéry pour son Monsieur Teste : « Transiit classificando, il mourut en classifiant ».

R.D. J’en prends bonne note…mais je continue à tenir à la chimie, justement parce que je l’ai découverte pendant l’enfance suisse et dans le « laboratoire » mythique de mon grand père qui accomplissait découvertes et de préparations… et tout cela me faisait sans doute aussi songer à tant d’alchimies instrumentales qui seraient les miennes plus tard. En 1988, à Montpellier, alors que j’avais eu une expérience décevante avec le piano, j’ai découvert la contrebasse, qui est devenue mon instrument. J’ai appris à bien aimer aussi les instruments longtemps dédaignés par une partie de la musique « savante », comme l’accordéon de concert, découvert quand j’étudiais la composition en Angleterre, et pour lequel j’ai composé plusieurs partitions… Et il y avait aussi la musicologie, puis l’écriture…

D.D. …que vous avez souvent placée sous le signe de la littérature ?

R.D. Aussi bien en effet les auteurs classiques comme Tchekhov, qui m’a inspiré mon premier opéra, « la demande en mariage » -,ou chez Victor Hugo, des textes moins fréquentés – le recueil « Toute la lyre » -, dont j’ai tiré Les Chants de Guernesey, où le poète exilé regarde d’un œil très moderne la nature et la solitude , que les auteurs vivants comme par exemple Stéphane Héaume, dont j’ai mis en musique plusieurs textes merveilleux comme le Songe Salinas.

Pentalog et la Grèce

D.D. Et le théâtre, il vous est arrivé d’en faire la substance un peu cryptée de l’inspiration, ainsi pour la pièce créée à Verbier, Pentalog ?

R.D. C’est vrai, on pourrait dire que c’est là un opéra de chambre avec personnages instrumentaux. En fait, c’est un Quintette à cordes, mais j’ai trouvé amusant de lui donner un titre un peu sophistiqué, quoique fantaisiste, d’après le grec ancien, « cinq paroles »….Mes études universitaires – l’Antiquité, entre autres – m’ont fait me passionner pour le monde grec, qui a inventé un lieu d’équilibre… Dans Pentalog, on a un violon principal qui dialogue avec les autres instruments à tour de rôle, de manière concertante. La pièce se découpe ainsi : Prolog, Dialog I, II et III, Monolog et finalement Epilog…

D.D. Il y a aussi le jeu, que vous aimez pratiquer sous de très nombreuses formes. ?

R.D. Oui, le ludique – comme on dit beaucoup aujourd’hui -, c’est mon domaine ! Trace de l’esprit d’enfance, peut-être ? Mais je suis fasciné par la complexité– mathématique, abstraite – des jeux comme les échecs, que je pratique un peu, et je trouve que « les grands » ont une virtuosité abyssale. J’ai en tout cas essayé de m’inspirer de certains principes pour quelques unes de mes œuvres, par exemple avec la notion de « Blitz » (éclair, comme le blitzkrieg, la partie rapideaux échecs, ou Blitzkrieg , la guerre-éclair ), qui m’ont donné la clé de modes d’écriture : les cases noires et blanches évoquant les notes d’un clavier ou encore les lettres de l’échiquier de A à H analogues à la notation musicale allemande). Je dois dire que plus modestement j’aime aussi les Legos, avec lesquels j’ai construit des schémas formalistes. Mon opus magnum Les Arcanes Symphoniques est un Tarot musical géant pour orchestre, chaque arcane majeur du Tarot de Marseille étant illustré par un mouvement symphonique.

Bach et l’héritage

D.D. On rejoint ainsi en tout cas l’admiration que vous avez pour J.S.Bach.

R.D. Bach est en effet un sommet de création, cela concilie la rigueur architecturale de la pensée mathématique avec l’harmonique, et l’expressivité mélodique. Œuvre première et ultime d’une certaine façon : on peut s’y référer sans penser forcément que c’est un âge d’or perdu qui invaliderait les notions d’évolution ultérieure.

D.D. … Un peu plus comme plus tard dans l’histoire de la musique, le « progrès continu » et l’aboutissement absolu vers Schoenberg et l’héritage compositionnel ont pu « bloquer » l’invention de la 2nde moitié du XXe ?

R.D. Oui, je me situe à la fois après (et contre) la dictature ultra-rigoureuse des années 50-70, et en dehors de certaines facilités d’écriture qui ont surgi en réaction, une écriture prétendument romantique ou néo-médiévale qui a envahi le marché de la culture musicale, sous prétexte de se rapprocher du grand public. Ce n’est pas à mes yeux (encore moins à mes oreilles) des musiques qui fonctionnent au concert.


Néo-romantisme ? Humour et b.d….


D.D. Ainsi votre concerto de violon, en 2008, qui a été qualifié de romantique, ne l’est pas du tout pour des raisons « néo »…

R.D. Il ne l’est que par l’ampleur du geste, la « longue durée » de la partition, «dans le cadre traditionnel en 3 mouvements», et du rapport soliste-orchestre, et ne court pas derrière une quelconque esthétique de retour en arrière. Bref, d’une façon générale, tout en étant parfois considéré comme « suspecté » d’écriture néo-tonale, je n’appartiens pas au club des modernistes absolus et parisiens, ni à celui des « new-age »…. Il faut prendre cela avec de l’humour, et d’ ailleurs je trouve que l’humour n’est pas assez répandu dans la profession de compositeur, comme autrefois ce fut le cas chez Mozart ou Satie…. Pourtant on peut très bien s’en inspirer, à travers les textes littéraires, de cet humour qui est aussi une forme d’insolence vis-à-vis de toute société figée dans son académisme. J’aime ainsi beaucoup Boulgakov, et- tous ceux qui ont écrit et vécu un discours « sur le peu de réalité du réel », Cortazar, Buzzati, Borges…, et la bande dessinée, notamment Fred (Philémon) et Gotlib.

D.D. Il paraît que vous aimez bien Hergé ?

R.D. Oui, j’en ai beaucoup pratiqué la lecture. J’avais même envisagé un spectacle d’opéra d’après les aventures de Tintin, mais je ne suis pas encore passé à l’acte !

Entretien du 25 juillet 2011, propos recueillis par notre envoyé spécial à Verbier, Dominique Dubreuil

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

OPÉRA GRAND AVIGNON. VERDI : Luisa Miller, les 17 et 19 mai 2024. Axelle Fanyo, Azer Zada, Evez Abdulla… Frédéric Roels / Franck Chastrusse...

Malentendu, quiproquos, contretemps… Luisa Miller puise sa force dramatique dans son action sombre et amère ; la tragédie aurait...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img