vendredi 19 avril 2024

Entretien avec Jacques Henry à propos de la dernière année de Mozart

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Comment expliquer que pendant les derniers mois de sa vie Mozart compose autant d’œuvres en relation avec la Franc-Maçonnerie?

En fait on peut relever des œuvres influencées par la franc-maçonnerie bien avant sa dernière année, soit avant 1791. Cependant il est incontestable que pendant les six derniers mois de sa vie, il semble se rebeller contre certaines mesures prises par l’Empereur Leopold II en prenant fait et cause dans son œuvre pour les valeurs maçonniques.
L’Empereur décide en effet de dissoudre plusieurs loges à Vienne en raison des événements qui marquent l’Europe d’alors : la révolution française a éclaté depuis deux ans, Marie-Antoinette n’est pas heureuse à Paris. Il souffle dans les états de l’Empire et hors de ses frontières, un courant d’idées dangereux pour les monarchies en place.
Ainsi, du 15 juin au 4 décembre 1791 qui est la date de sa mort, Mozart compose un nombre invraisemblable d’œuvres manifestement influencées par les valeurs de la franc-maçonnerie. La Flûte Enchantée peut être considérée de ce point de vue comme la mise en scène d’une initiation, ni plus ni moins. De façon très claire, le premier acte et la première partie de l’ouverture sont marqués en leur début par une série de battements soient trois fois deux coups, scansion qui n’est pas maçonnique. Mozart nous indique alors que nous sommes encore dans le monde profane. Avec le deuxième acte, et son battement différent, de trois fois trois battements, il nous indique que nous avons basculé dans le rituel initiatique.
Dans le cas de la Clémence de Titus, nous ne pouvons pas dire précisément que nous sommes dans le cas d’une partition ouvertement maçonnique. Pas de battements manifestement reliés au rituel de la loge comme il en va de la Flûte.
Certes les valeurs mises à l’honneur dans le livret en faisant l’apologie de la générosité, de la fraternité sont dans le sillon des valeurs maçonniques mais il s’agit aussi de thèmes élevés, d’une parfaite grandeur morale, bien en adéquation avec la commande d’un opéra seria, commande officiel pour le couronnement de l’Empereur.
Mozart ajoute encore la composition du Requiem … et surtout le concerto pour clarinette destiné à son frère maçonnique, Stadler. Toute
la conception de l’œuvre jusqu’à l’harmonie musicale sont empruntes des idéaux de la loge à laquelle les deux hommes appartenaient. Un initié, un maçon y reconnaît sans aucun doute les références aux valeurs de fraternité et d’harmonie.
Mais ce n’est pas tout : Mozart reçoit la commande d’une musique spécifiquement maçonnique pour l’inauguration d’un nouveau temple à Vienne en novembre 1791 ! Quelques semaines avant de mourir. La composition (K 623) comprend en son milieu un cantique maçonnique dont le texte est un dialogue entre deux voix qui est un appel à la fraternité. Or le texte et l’esprit de ce cantique reprend précisément le dialogue qu’il avait composé dans la Flûte Enchantée entre Sarastro et Tamino. On peut penser qu’il réutilise un matériau déjà abouti, ce avec d’autant plus de conviction qu’il correspond musicalement aux idées qu’il souhaite exprimer.
Je crois que d’une façon générale, il faut bien distinguer les œuvres qui sont inspirées par le symbolisme franc-maçon et celles qui sont des compositions maçonniques, écrites à destination d’une loge et conforme de ce fait au rituel. La partition K623 appartient à la dernière catégorie.


Vous parliez de compositions plus anciennes manifestement inspirées par le symbolisme franc-maçon. A quelles œuvres pensez-vous précisément ?

Prenez par exemple le quatuor des dissonances. Surtout les trois dernières symphonies qui ont été composées comme un triptyque d’une même totalité, en quelques mois. La 39 ème est écrite en mi bémol c’est à dire avec les trois bémol à la clé or ce sont les trois points maçonniques. Les trois symphonies composent comme une ode maçonnique, elles découlent d’une pensée unique qui dessine un mouvement éloquent de l’ombre à la lumière.

Que pensez alors de sa fin si rapide ? Comment considérez cette ultime année dans la perspective de toute la carrière et de l’évolution de l’écriture ?

Il est clair que les derniers mois de sa vie sont les plus féconds et les plus aboutis sur le plan des idées et de la pensée musicale. .Son élévation morale correspond aussi à une amélioration de son statut et de ses conditions de vie. Et là, il convient de balayer les idées reçues sur sa mort. Il est incorrect de déclarer que parce qu’il était franc-maçon, il ne pouvait pas être enterré normalement. C’est une aberration.
De plus, il était loin d’être mort aussi misérable qu’on le dit trop souvent. Son poste d’organiste à la Cathédrale Saint-Etienne obtenu à l’été 1791, lui assure des revenus réguliers. Comme les premières représentations de la Flûte qui suscitent un succès immédiat lui permettent d’obtenir de nouvelles rentrées d’argent ; il y a aussi la commande impériale de la Clémence de Titus pour laquelle il a été très honnêtement payé.
L’inventaire de ses biens après le décès indique qu’il possédait des meubles dont un billard et de nombreux habits précieux car il avait le goût de beaux costumes.


Puisque nous évoquons les derniers mois de sa vie et que nous relevons le voile sur certains aspects de la légende, qu’en est-il réellement de ses rapports avec Salieri ?

Ils n’ont pas été ces ennemis qu’on aime décrire ; ou du moins Salieri n’a pas obstinément intriguer pour la chute irrémédiable de Mozart. La réalité c’est que le goût des Viennois a célébré Salieri plus que Mozart. Salieri occupait une position très enviable à la Cour Impériale. Il serait plus juste de dire que Salieri respectait son confrère, qu’ils se sont même fréquentés. Dans l’une des dernières lettres adressées à son épouse Constanze, Mozart précise qu’il a assisté à l’une des représentations de la Flûte avec leur fils aîné et … Salieri accompagné de sa maîtresse de l’heure. Ajoutons aussi que Salieri fut le professeur de Beethoven et de Schubert : il s’agit donc d’un musicien de premier rang, tout à fait estimable.

Si vous deviez aujourd’hui préparer un nouveau livre sur Mozart, sur quel aspect de sa vie ou de son œuvre vous pencheriez-vous ?

Il ne s’agirait pas d’un grand livre mais d’un essai peut-être sur la constitution de son orchestre pour trouver au plus juste cette notion d’harmonie. Prenez par exemple le concerto pour clarinette : il s’agit de toute évidence d’une œuvre remarquable par le sentiment d’absolue sérénité qui s’en dégage. Ce pourrait être aussi un regard particulier sur la lumière ; oui, le génie de Mozart et son rapport à la lumière. J’imagine très bien que chaque jour de sa vie devait être un matin plein de promesses ; chaque jour, un lever de soleil quand bien même il connut de nombreux malheurs.

Propos recueillis par Alexandre Pham.


Les oeuvres favorites de Jacques Henry

La Flûte Enchantée
Le messe de l’orphelinat

Bibliographie
Jacques Henry, « Mozart, frère maçon, éditions du rocher, 1991.

Illustrations
Réunion dans la loge que Mozart fréquentait à Vienne (DR)
Décor pour la Flûte enchantée : l’apparition de la Reine de la nuit (DR)

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