vendredi 19 avril 2024

DVD, critique. WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg – Kosky / Jordan, Bayreuth 2017 (2 dvd DG Deutsche Gramophon).

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DVD, critique. WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg – Kosky / Jordan, Bayreuth 2017 (2 dvd DG Deutsche Gramophon).

dvd meistersinger nürnberg jordan bayreuth 2017 kosky critique review dvd by classiquenewsUN RETOUR AU SUJET CENTRAL DES MAITRES CHANTEURS EST-IL SI DIFFICILE A RESTITUER SUR SCENE ? Voici la nouvelle production des Maîtres Chanteurs de Wagner, au Festival de Bayreuth été 2017 (signée du metteur en scène juif Barrie Kosky), hélas « dénaturée » (même si le résultat comme spectacle est cohérent) par tout ce qui a suivi et s’est réalisé après Wagner. La question que pose le spectacle est : peut-on encore jouer Wagner, sans tirer la réalisation vers son instrumentalisation par les nazis, sans aussi ses propos antisémites ? Car enfin, l’opéra, la seule comédie (géniale) de Wagner (créée à Munich en 1868), est un manifeste démontrant la nature sacrée de l’art et la vocation prophétique de l’artiste à transmettre cette vision aux spectateurs : « l’art conserve les valeurs les plus hautes de l’humanité, célèbre l’amour, la fraternité, la concorde et la paix des peuples, au delà et a contrario des toutes les idéologies politiques et des religions qui tendent à opposer et affronter les hommes entre eux ». L’art réunit, renforce le sentiment de fraternité et d’entente. Si l’on s’en tient à ce seul sujet (central) à travers le personnage clé du cordonnier et maître de la guilde des chanteurs, Hans Sachs, l’opéra de Wagner est une sublime manifestation qui sacralise et la poésie et le chant, et le statut de l’artiste (lui-même donc) comme apôtre de cette seule religion valable : l’humanisme (et la culture).
Dans les faits, Sachs tout en célébrant l’amour d’Eva pour Walther, renonce à tout désir, et préfère se dédier à la transmission de son art pour l’avènement d’une société radieuse, éduquée, sublimée par son culte de la beauté et de la poésie. Un idéal suprême qui reste le but et le grand dessein de toute civilisation au sens le plus noble de ce terme. Noble idéal et pour nous, triste constat : on voit bien que notre société en est très éloignée.

Les références dont est truffé ce spectacle, en 3 époques différentes semblent donc encombrer et polluer l’action, comme c’est le cas de nombreuses productions, dont la précédente production à Bayreuth, signée Katarina Wagner… trop distancée, trop transposée, … elle aussi trop modernisée ; comme bien souvent, malgré quelques idées habiles mais anecdotiques, l’action s’épaissit (un comble pour une comédie) car l’intrigue au lieu d’être clarifiée, en sort confuse, sous l’accumulation des références et des allusions en tout genre.

Nous rêvons donc de voir une version des Maîtres Chanteurs dépoussiérée et neuve, à l’époque médiévale, célébrant les vertus d’un art ouvert à l’étranger pour être régénéré : car c’est bien le sujet ici, que défend Wagner ; le jeune « perturbateur » Walther – sujet de la passion naissante d’Eva, « ose » transgresser l’art vénéré par Hans Sachs mais avec un génie inédit, capable de l’enrichir plutôt que de le menacer. Cette vision promue par Wagner devrait en faire réfléchir plus d’un (sur sa tolérance) et recentrer la mise en scène sur les vrais questions que soulèvent l’opéra : le sens et la valeur morale, citoyenne, éthique de l’art, l’apport de l’étranger, la relation aux autres, la compassion et la transcendance…

On ne regrettera pas le travail d’acteurs très fouillé de Barrie Kosky (directeur du Komische Oper de Berlin) ici, mais l’idée d’inscrire toute l’action des Maîtres, à travers la relation ambiguë de Wagner vis à vis des juifs, réduit de beaucoup la portée et le sens d’une action lyrique dont le sujet principal est la sacralisation de l’art poétique et lyrique.

dvd meistersinger nürnberg jordan bayreuth 2017 kosky volle et vogt deux visages de wagner par classiquenewsAutour de l’excellent Sachs de Michael VOLLE, humain, tendre, profond (qui chantait à Bayreuth jusque là, Beckmesser, mais fut déjà Sachs à Salzbourg en 2013), brillent avec plus ou moins d’éclat certains habitués aussi de Bayreuth dont l’angélique et candide ténor Klaus Florian VOGT, ici même salué pour ses Lohengrin éthérés, adolescents (un peu lisses ont dit les plus difficiles), qui incarne en 2017, un Walther innocent, un rien trop fragile. D’autant que sa partenaire, amoureuse transie, Anne Schwanewilms, Maréchale du Chevalier à la rose à Salzbourg il y a quelques années, n’a pas la pureté ni la candeur juvénile que requiert le rôle de celle dont l’amour est mis en jeu.
Dans la vision de Barrie Kosky, certes, – lectures à triples voire quadruples sens, Eva c’est Cosima en 1875, à l’époque de Wagner… (comme ici Hans Sachs est Wagner lui-même… ce qui enrichit considérablement la relation – amoureuse?- du vénérable et de la jeune beauté, trophée du Concours-, mais un timbre plus jeune et clair pour incarner Eva, eût été plus convaincant : celle dont les sentiments se montrent tout aussi intenses et palpitants à l’égard du vénérable et si proche Hans Sachs, exige un angélisme incandescent, une féminité plus trouble, comme instable, surtout intranquille.
Saluons néanmoins le très bon David de Daniel BEHLE, le non moins convaincant Beckmesser de Martin Johannes KRÄNZLE : précis, proche du texte, dont l’aplomb et la justesse vocale épaississent le rôle de celui dans lequel beaucoup voient le méchant juif et aussi le chef Hermann Levi, qui dirigea le premier Parsifal à Bayreuth.

En fosse, Philippe Jordan qui a dirigé l’ouvrage à Paris, déploie précision et fluidité dans une partition plus raffinée et subtile qu’il n’y paraît, éclairant aussi la dimension psychologique trouble et profonde (le duo Sachs / Eva, vaut bien celui de Wotan / Brünnhilde) ; on aurait néanmoins souhaité davantage de débridé comme de liberté du geste qui ne voit ici que le manifeste sacralisant l’art et la place de l’artiste dans la société, oubliant quand même la part comique, facétieuse et parodique de l’ouvrage serti par Wagner. La direction reste scrupuleuse et sérieuse.
Nonobstant nos réserves (l’Eva bien peu crédible, Walther, un rien trop sage…), le spectacle est riche et élaboré, – contestable dans son positionnement sémantique, mais cohérent visuellement, grâce aux décor et aux costumes, comme à la participation épatante du chœur du Festival, lequel semble trouver ses marques naturelles dans ce spectacle, moins abscons que ceux qui l’ont précédé. A voir indiscutablement.

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DVD, critique. WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg – Kosky / Jordan, Bayreuth 2017 (2 dvd DG Deutsche Gramophon).

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