vendredi 19 avril 2024

Dubois, Fauré, Caplet… Bernard Tétu, direction Lyon, Auditorium Ravel. Mardi 10 janvier 2012 à 20h

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Dubois, Fauré, Caplet…

Bernard Tétu
, direction


Lyon, Auditorium Ravel
Mardi 10 janvier 2012 à 20h

Dubois, Fauré, Caplet, Duruflé, Escaich. Solistes et Chœur d’Oratorio de Lyon, Musiciens ONL. Bernard Tétu, direction


Dans le cadre d’une 2e année de Festival « Musique Française », l’ouverture se fait par choeur et orgue, et selon une thématique en recherche à la fois austère et intime. Bernard Tétu y dirige ses excellents Solistes et Chœur d’oratorio de Lyon, des instrumentistes de l’ONL et l’organiste Vincent Wargnier. Au très connu Requiem de Maurice Duruflé répondent Théodore Dubois, Gabriel Fauré, André Caplet et Thierry Escaich.


La bonne, la mauvaise et celle de Théodore Dubois ?

« Qui trop embrasse mal étreint », le proverbe ne convient sans doute pas aux programmes de l’O.N.L., fussent-ils placés sous le signe-logo au demeurant un rien consternant de « Festival French Kiss » (tiens, un oxymore d’intention, en ces temps d’ « écoutons et parlons français »)…Mais enfin, comme chantait la poétesse lyonnaise du XVIe, Louise Labé : « Donne m’en un de tes plus savoureux… Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux, Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.» Donc, pour inaugurer à l’Auditorium Ravel le versant 2012 de la saison, l’on sera attentif à un concert-mélange, chœur, orchestre et orgue, et réunion programmatique d’auteurs du sacré français, XIXe à XXIe. Non sans sourire d’y voir figurer en tête de chronologie un certain Théodore Dubois (1837-1924), longtemps demeuré mémorable auprès des spécialistes-de-la-souffrance-d’écriture par un Traité d’Harmonie, symbole de fixation des valeurs en quoi il ne se résumait d’ailleurs pas : on s’en aperçoit aujourd’hui où son œuvre est réévaluée par le concert et le disque. Par ailleurs ne pas confondre avec Ambroise Thomas (« il y a trois sortes de musiques , disait Chabrier, la bonne, la mauvaise, et celle d’Ambroise Thomas »), son prédécesseur à la Direction du Conservatoire : un poste que Théodore céda à Gabriel Fauré, dix ans plus tard, quand en 1905 eut lieu le scandale Ravel, non autorisé à concourir de nouveau pour le Prix de Rome -…

« De la paisible nuit nous rompons le silence »

Il semble qu’on puisse plutôt regarder Dubois comme un conservateur éclairé, compositeur fort prolixe – « plus de 500 œuvres répertoriées »-, auteur d’opéras où la relation occident-orient se lit dans les titres ( « La guzla de l’émir, la Korrigane, Aben Hamed »), de musique de chambre ou concertante. Et d’œuvres religieuses qui le situent dans la tradition d’un romantisme tempéré (encore un oxymore !), le rattachant, notamment par l’orgue, au monde franckiste et à toute cette nébuleuse d’organistes, dans un monde catholique, qui marquèrent la France de la fin du XIXe et du début XXe : Gigout, le « Trio Vierne, Tournemire, Widor » (tous les trois disparus en 1937- 1939), et leurs « successeurs en esprit », Langlais, Litaize, Dupré, Duruflé, sans oublier ensuite, la part « tribunicienne » de Messiaen. C’est en tout cas une œuvre « de l’intime », comme le dit Bernard Tétu, qui a été choisie au si vaste catalogue de Théodore pour figurer dans la partie moins spectaculaire du concert. Cette « Petite messe des morts », d’une « écriture discrète », rejoint en esprit la vision qu’avait de la mort celui auquel Dubois laissa son poste de « maître de chapelle à la Madeleine », Gabriel Fauré. Et qui traduisit une foi sans crainte et tremblement par le Requiem le moins effrayé qui soit, si loin des trémulations héroïques alla Berlioz ou Verdi. Déjà en 1864 – l’Ariégeois tôt devenu Parisien avait 19 ans -, Fauré s’était essayé à la composition chorale, en un Cantique-paraphrase des « Hymnes traduites du bréviaire romain », puisant au « semainier » des matines du Mardi trois de ses quatre strophes : la poésie de celui qu’on peut nommer ici « le tendre Racine » – bien que, notent les « dix-septièmistes », l’ expression « feu de ta grâce invincible » sente furieusement son jansénisme de combat – incline vers cette harmonie mauve et calme qui inspire deux siècles plus tard le très jeune musicien. « Verbe égal au Très-Haut, notre unique espérance, Jour éternel de la terre et des cieux, De la paisible nuit nous rompons le silence… », tout ce « Cantique de Jean Racine » respire déjà une part de l’idéal fauréen, si attentif à la transparence des mots et au climat de fervente imagination. Bernard Tétu avait donné au disque (emi) la 1ère mondiale du Cantique dans sa 2e version (1866, il y en eut encore une en 1905, avec orchestre), signe de l’importance que ce spécialiste de la musique chorale et instrumentale – notamment du XIXe, et engagé dans les travaux et les jours du Palazzetto Bru Zane à Venise – accorde si justement à une partition d’apparence aussi modeste, pourtant grandiose berceuse de vie spirituelle.

Un ami de Debussy

C’est aussi au disque (Accord) que B.Tétu avait confié la réalisation, après (re)création en concert, de pièces d’André Caplet. Cet ami de Debussy – et non son disciple – a en tout cas été « longtemps considéré comme son épigone » : chef réputé (formé par F.Mottl et A.Nikisch) , excellent orchestrateur (il travailla pour Debussy sur le Martyre de Saint Sébastien, dont il dirigea la création, et aussi en « réduction piano » pour les Images ou La Mer), celui qui avait été Prix de Rome était surtout ouvert à la modernité (il dirige l’op.16 de Schoenberg), et compositeur modeste, très novateur , infiniment exigeant. La guerre l’éprouva cruellement, puisqu’il y fut blessé et victime des gaz – les séquelles pulmonaires entraînèrent sa mort à 46 ans, en 1925 -, l’empêchant de se consacrer pleinement à sa carrière internationale de direction d’orchestre. Les épreuves subies renforcèrent aussi des sentiments de mysticisme catholique, dont des partitions ultimes comme Le Miroir de Jésus témoignent par une écriture très originale. Ici, B.Tétu dirige quatre partitions « du temps de guerre » : « Quand reverrai-je hélas de mon petit village Fumer la cheminée… », d’après Joachim du Bellay, qui au XVIe posait la question de façon gracieusement poétique, non selon l’angoisse du combattant, et trois prières « de base » pour le croyant, dont l’indispensable et doux « Je vous salue, Marie »… Il y adjoint la contribution de Caplet, en 1924, pour un Tombeau de Ronsard, aux côtés de Roussel, Aubert, Roland-Manuel, Delage et Ravel.

Une intertextualité affective

Si Caplet demeure un relatif méconnu, dont aucune œuvre ne semble vraiment familière au grand public, il n’en va pas ainsi pour Maurice Duruflé (1902-1986), dont en tout cas le Requiem serait désormais « aussi célèbre que celui de Fauré et aurait fait le tour du monde ». En cette oeuvre de 1947, une musique pleinement française assume le recours à la tradition – conformément au peu de goût que le compositeur avait pour les écritures d’un bel aujourd’hui trop sensible aux sons « nouveaux de l’après-guerre »-. Notamment grâce à la mélodie grégorienne qui fascine le compositeur, ce Requiem s’inscrit dans la continuité de son « antérieur» fauréen. Comme Fauré l’avait fait à la mort de son père, Duruflé dédie cette partition à la mémoire paternelle, et comme son aîné 60 ans plus tôt, il en bannit le Dies Irae, pour souligner la confiance en une survie spirituelle que ne menace pas la colère divine.

Cinq ans plus tôt, M.Duruflé avait écrit pour l’orgue un Prélude et Fugue qui rendait hommage au compositeur de 29 ans, Jehan Alain, mort glorieusement en juin 1940, et qui eut seulement le temps d’écrire des pièces pour l’orgue (sa sœur, Marie-Claire, célèbre interprète de J.S.Bach, les a enregistrées). Tous ces liens d’ « intertextualité affective » vont trouver leurs échos dans une pièce récente de Thierry Escaich, l’organiste-compositeur (en résidence à l’O.N.L. de 2007 à 2010), qui a succédé à Maurice Duruflé à la tribune de Saint-Etienne-du-Mont, et qui pour son In Memoriam reprend, selon la musicologue Claire Delamarche, « l’effectif du Requiem de Duruflé – chœur, mezzo-soprano solo et orgue- , avec des citations du Prélude et fugue sur le nom d’Alain. T.Escaich dégage ici une dramaturgie très personnelle : la musique sourd du néant, s’intensifie dans une montée inexorable, avant que le solo d’orgue ramène un calme que l’on entendra comme les derniers soubresauts d’une musique exsangue ou la douceur de l’espérance retrouvée. »

Lyon, Auditorium Ravel, mardi 10 janvier 2012, 20h. Chœur et orgue, Solistes et Oratorio de Lyon, musiciens de l’ONL, Vincent Warnier, direction Bernard Tétu. T.Dubois, Petite messe des morts ; G.Fauré, Cantique de Racine ; M.Duruiflé, Requiem, Prélude et fugue ; T.Escaich, In memoriam Duruflé.
Information et réservation : T. 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

Illustrations: Théodore Dubois, Maurice Duruflé (DR)
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