samedi 20 avril 2024

dossier Wagner 2013 La maturité munichoise: Tristan und Isolde, le Ring (1865-1876)

A lire aussi

dossier Wagner 2013
La maturité munichoise:
Tristan und Isolde, le Ring (1865-1876)

Tristan à Venise (1859), Tannhäuser à Paris (1861)

A partir de 1857, Wagner met de côté la composition du Ring pour se consacrer totalement à Tristan und Isolde, composé de 1857 à 1859: il est alors l’hôte de ses protecteurs Otto et Mathilde Wesendonck qui lui ont alloué généreusement une maison à Zurich. Tristan recueille l’expérience finalement douloureuse de son attirance pour Mathilde dont les poèmes offrent le prétexte des Wesendonck lieder (1857). Wagner reçoit de plus le choc de la pensée de Shopenhauer qui modifie en profondeur sa conception musicale et lyrique. Le désir enchaîne l’homme à son destin de soufrance…
Pour se remettre d’une idylle impossible et douloureuse, Wagner quitte la Suisse pour Venise (1858-1859: où il écrit le sommet de Tristan: l’effusion amoureuse de l’acte II, nouvelle épreuve expiatoire de ses tourments sentimentaux; puis il rejoint Lucerne (1859), enfin Paris (1860-1861), qui après avoir écarté Rienzi en 1841, accepte de monter Tannhäuser à l’Opéra. Objet de scandale, l’ouvrage est retiré dès mars 1861 mais il marque profondément les esprits artistiques les plus pertinents, depuis ambassadeurs d’un wagnérisme fervent à la française qui ira croissant (Reyer, Gounod, Gautier, Fantin-Latour et surtout Baudelaire).


Louis II de Bavière, l’ange protecteur

Sans poste fixe ni situation assurée, Wagner paraît seul (Minna s’est éteinte en 1860). Le salut vient de Bavière: Louis II, devenu roi en 1864, se passionne pour l’oeuvre wagnérienne : le jeune souverain accueille et protège matiérellement son protégé. Conforté et soutenu, Wagner reprend alors la poursuite du grand œuvre: le Ring.
En outre, le compositeur écrit la musique des Maîtres Chanteurs, hymne à l’art et au génie allemand, entre 1866 et 1867.
Wagner fait surtout la connaissance de Cosima, fille de son ami Liszt; Richard et Cosima vivent très vite ensemble: un premier enfant naît (Isolde) en 1865 quand est créé l’opéra majeur Tristan und Isolde (Munich). La partition repousse au delà de l’imaginable les limites harmoniques et tonales; l’orchestre et son flux continu devient prépondérant et son chant, le langage immédiat de la psyché; en outre, Wagner se montre influencé par Shopenhauer (lu dès 1852) et son pessimisme vénéneux: les deux amants aspirent à la délivrance en une union qui se réalise par leur anéantissement respectif (en fait, successif dans le déroulement de l’action: d’abord Tristan puis Isolde). Jamais un opéra n’avait exprimé le souffle de l’amour avec une telle force: la maîtrise parfaite des leitmotive, leur combinaison tout au long de la partition, marque un sommet dans l’écriture de Wagner. Il y a bien dans l’histoire de la musique européenne un avant et surtout un après Tristan.

Louis II soutient Wagner dans son projet de construire un opéra dont le dispositif scénique et les conditions de représentation sont directement adaptés à ses opéras, en particulier les quatres volets du Ring. Un premier théâtre est envisagé à Munich, mais le projet avorte. Wagner doit quitter Munich pour Tribschen (Suisse) où il reste pendant 5 ans. Siegfried puis Le Crépuscule des dieux sont ainsi achevés; avec le dernier volet de la Tétralogie, Wagner compose l’une de ses partitions les plus inspirées, au symphonisme subtil qui triomphe et éblouit grâce à la maîtrise d’une écriture qui excelle à combiner les leitmotive. La trame orchestrale s’assimile à un langage psychique d’une complexité mouvante exceptionnelle: au-délà de la légende et des sujets mythiques, Wagner exprime de façon inédite la psychologie des héros, en particulier les personnages de Wotan (qui a renoncé au pouvoir et à la maîtrise en devenant le Wanderer), Siegfried, guerrier trop naïf et manipulable, Brünnhilde, femme de l’avenir, amoureuse loyale d’une sincérité admirable… la plus humaine conclue tout le cycle en une extase enivrée qui rappelle évidemment la mort d’Isolde à la fin de Tristan. Cosima s’installe définitivement à Tribschen (1868) où Nietzsche mutliplie alors ses visites. Wagner fait créer à Munich Les Maîtres Chanteurs en 1868 affirmant sa maîtrise du contrepoint à mille lieux du climat envoûtant jusqu’à l’hypnose de Tristan. Puis, se sont les opéras du Ring: L’or du Rhin (1869), La Walkyrie (1870, l’année où Cosima divorcée de Hans von Bulow peut enfin épouser Richard), qui témoignent d’une pensée musicale accomplie dont la cohérence et la perfection structurelle à l’échelle du cycle entier ne laissent pas de fasciner.


1876: 1er Ring à Bayreuth

En 1871, comme les dieux de l’Or du Rhin se font construire leur palais (le Walhala), Wagner et son épouse se fixe à Bayreuth: c’est là que le théâtre dont il rêve, sortira de terre… grâce à l’aide de Louis II de Bavière là encore. Le souverain fidèle offre même au compositeur une maison nouvelle appelée « Wahnfried ». Le chantier s’achève enfin en 1876 quand est inauguré le premier festival complet du Ring.

Musique de réitération où la mémoire, le souvenir et l’évocation du passé pèsent de tous leurs poids dans le fil de la narration, la Tétralogie, dans sa conception structurelle suit le mode de composition: Wagner a d’abord songé à un opéra sur Siegfried (à partir d’un premier motif musical sur sa mort: Siegfried’s tod); puis, à travers une réflexion plus profonde, le compositeur a décidé d’écrire à rebours et de remonter jusqu’au commencement du mythe… ainsi en découlent l’architecture du cycle en quatre volet (le prologue puis les 3 journées); chaque situation dramatique a sa couleur et son motif mélodique; ainsi naît le principe structurel du leitmotiv, en fait un terme inventé par Hans von Wolzogen, quand Wagner préférait plutôt celui de thèmes fondamentaux (grundthemen).


Le sens du cycle souligne à travers mythes et légendes imbriqués qui permettent la représentation d’une féerie légendaire, la malédiction de l’humanité quand elle s’écarte de l’amour, de la loyauté, de toute intégrité morale. Wagner raconte la vaine et tragique convoitise de l’or et du pouvoir; en cela, l’échec de Wotan, dépassé par son rêve de grandeur; la fragilité d’un héros parfait trop candide: Siegfried (assassiné par manque de clairvoyance)… comme dans Le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, Tristan, une figure féminine se détache ici: Brünnhilde, la 9è Walkyrie devenue femme et épouse de Siegfried; c’est la seule qui recueille avec sagesse et renoncement les enseignements de l’épopée: dans la scène finale du Crépuscule des dieux, l’amoureuse loyale et fidèle (pourtant trahie) efface tout ce qui a été perpétré et commis au nom de l’orgueil et de la cupidité individuelle ; elle restitue l’or aux filles du Rhin et espère l’avènement d’une humanité nouvelle…


wagnérisme et humanisme

Précurseur de Freud et de la psychanalyse, le théâtre de Wagner n’est pas une scène d’action mais d’introspection régressive: chercher dans le passé ce qui cause l’enchaînement de l’homme et son aliénation à son propre destin: un destin de souffrance où le désir et la cupidité jalouse voire barbare donc inhumaine scellent la malédiction de l’espèce humaine. C’est Wotan qui perd le seul être qu’il aime, sa fille Walkyrie, Brünnhilde; c’est Amfortas condammé à célébrer toujours un rituel qui cause sa mort lente; c’est Lohengrin, l’élu venu sauvé Elsa qui le trahit par fragilité morale; ce sont surtout Tristan et Yseult dont l’union éprouvée, souligne l’impossibilité de vivre heureux sur cette terre sinon dans le renoncement et la mort.
En revanche combien de pages admirables qui fondent l’humanisme fraternel de Wagner, à contre courant des tentatives de récupération de son œuvre: le compositeur sait façonner des individualités marquantes et déterminées qui bravent l’aveuglement collectif: et la perte des valeurs collectives et spirituelles; ses personnages clés, remarquables se nomment Senta (elle sauve le Hollandais et le libère de son cycle maudit), Brünnhilde et Kundry: (Parsifal, 1882) toutes deux se métamorphosent et deviennent par compassion, salvatrices et rédemptrices; la première pour le couple incestueux magnifique Siegmund/Sieglinde (La Walkyrie); la seconde pour Amfortas dont elle permet la finale délivrance. Un autre personnage irradie au contact de l’amour: Parsifal. Car lui aussi éprouve ce basculement psychologique qui lui fait voir l’enchaînement d’Amfortas à son destin de douleur. Compassion, fraternité, amour… telles sont les valeurs sublimées et portées par toute l’œuvre wagnérienne. En dépit de son profond pessimisme, Wagner continue de croire en l’homme.
De ce point de vue, son théâtre s’apparente à un rituel et une initiation qui peut chez certains spectateurs susciter une prise de conscience sur le plan moral et spirituel. Nous sommes bien à l’opposé du spectacle bourgeois, essentiellement mercantile et divertissant.

En France, l’impact du wagnérisme prend racine et se manifeste dans l’admiration que lui portent de nombreux compositeurs: Joncières, Chausson, d’Indy, Franck, Debussy (interludes orchestraux de Pelléas et Mélisande)… dont les écritures respectives interrogent, prolongent ou commentent la source wagnérienne…
Illustrations: Richard Wagner, Louis II de Bavière, Shopenhauer (DR)

calendrier Wagner 2013

les productions et événements à ne pas manquer en 2013

Paris, Opéra Bastille
Le Ring 2013 par
Philippe Jordan (direction) et Günter Krämer (mise en scène): reprise
contestée et pourtant pour nous attendue, la production du Ring à
Bastille reste l’une des réalisations de l’ère Joel, parmi les plus
réussies, en particulier pour L’Or du Rhin puis La Walkyrie.
L’Or du Rhin, à partir 29 janvier 2013
Le festival Wagner: Der Ring 2013, l’intégralité de la Tétralogie en continu (ou presque): les 18, 19 puis 23 et 26 juin 2013

Monte Carlo, Opéra
récital lyrique Wagner
Auditorium Rainier III
les 8 et 10 février 2013
Jonas Alber, direction
Acte I de La Walkyrie
Acte II de Tristan und Isolde
Robert Dean Smith, Ann Petersen


Opéra du Rhin
Mulhouse et Strasbourg

Tannhäuser
Du 24 mars au 8 avril 2013

Constantin Trinks, direction
Keith Warner, mise en scène
Scott MacAllister (Tannhäuser)



coup de coeur classiquenews
Dijon, Opéra
Le Ring 2013 par l’excellent Daniel Kawka. On le savait wagnérien convaincu; son Tristan und Isolde (Oliver Py, mise en scène, juin 2009)
présenté sur la scène du Théâtre Dijonais avait été salué par la
rédaction de classiquenews: aucun doute Daniel Kawka qui est aussi
fondateur et chef principal de l’Ensemble Orchestral Contemporain reste
le champion de cette année Wagner à venir en France: ne manquez chaque
volet de sa Tétralogie: une réalisation d’ores et déjà passionnante
voire historique si le plateau vocal est à la hauteur de l’exigence du
maestro. A partir d’octobre 2013. Infos à venir. Visiter le site de l’Opéra de Dijon.

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img