jeudi 28 mars 2024

Dominique Jameux: Radio Editions Fayard

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Le micro, du don à l’expérience…

« Le micro : un objet ? Vite dit, commente Dominique Jameux. Un être vivant, extrêmement sensible à la façon dont on lui parle. » Avis aux amateurs, on ne devient pas un pro du micro sans une longue expérience qui s’en vient conforter le don initial. Et bien sûr pas en émettant n’importe quelle banalité, car avec « Radio » nous sommes sur la fréquence de France-Musique, « dévouée à la musique essentiellement classique, et fonctionnant avec sa filiale nocturne Vivace 24h sur 24h. » A ne pas confondre, donc, avec un robinet de niaiserie roublarde qui tinte en tiroir-caisse, comme Radio-Classique (ndlr) .
Le parcours-Radio de D.J (ameux) (des initiales prédestinées mais prononcer à la française : pas pour faire scratch) aura commencé dans l’ombre portée de mai 68. L’adieu – 36 ans plus tard -aura eu lieu en 2008, pour cause de… quoi au fait ? Faute grave ? Y aurait-il eu soupçon de toucher des dessous de table (d»’harmonie), de taper dans la caisse (de résonance) , voire de séduire la fille d’un Directeur ? Que non point. L’auteur du livre est parti la tête haute, son activité a été « stoppée » comme il le dit sobrement, et son « Radio » n’a pas le genre « souvenirs d’ancien combattant ». On peut imaginer que dans les archives F.M. (ouvrables en 2059 ?) figurera le carnet de notes du trop-ancien-élève-maître D.J., et que commencé en « élément doué, forte culture musicale, travailleur, mais tendance à trop parler » cela s’achève en « producteur cultivé, expérimenté, mais exigeant trop de l’auditeur ».

Entrons donc dans le kaléidoscope de séquences d qui constamment instruisent, parfois amusent et intriguent. C’est avec une très agréable sensation d’urbanité un rien moqueuse qu’on est conduit à visiter le « bel édifice et sans les ressentiments », en 12 chapitres dont le 1er zoome sur le fameux « ça parle trop à F.Mu » en établissant distinguo entre Parleurs et Bavards, le 2nd sur « l’exception française ». Si en tout cas il y a « deux ou trois choses que je sais d’elle », cela tient à la solidité d’un « Trépied »au demeurant féminisable : Technicien, intouchable en sa science, Réalisateur(plus souvent : trice) et pleinement co-inventeur, Producteur qu’il faut savant mais accessible, compétent sans arrogance, pro et pas prétentieux, convivial sans familiarité, détendu sans vulgarité. Et puis on passe aux «travaux de D.J. », à cette « Musique prend la parole », témoignage initial et jamais démenti de « dévotion envers l’œuvre » (hommage à Guy Erismann, hébergeur pendant 10 ans et organisateur de la Musique sur France-Culture). En somme, il faut rester à sa place : « Aux côtés de l’immense musicien qu’on fait entendre, être un peu musicien, un tout petit musicien ». Et assumer la légitimité de cette « Parole qu’on s’ingénie à chasser de F.Mu, en la reliant aussi dans notre socité qui isole à la demande de lien, plus forte que celle de flux sonore ». On passera facilement à l’éloge d’un « gai savoir », ennemi (nietzschéen) de l’ennui, politesse à l’égard de l’auditeur, ami du récit pourvu qu’il soit signifiant (Alkan écrasé, dit la légende, par sa bibliothèque, Brahms s’endormant en « écoutant » la Sonate de Liszt, Ravel finissant au bout de la nuit par énoncer son tragique « j’attends »…). On goûtera les subtilités introspectives sur « le grain de la voix » rapporté à Barthes et projeté sur le couple producteur-auditeur : « Nos manies les exaspèrent, leurs lubies nous agacent. Ils nous surprennent dans l’amour, nous déçoivent au petit déjeuner, nous ennuient souvent, et nous enchantent d’une réplique : on s’aime. » Malgré tout !

Entrons aussi dans le jeu d’un « dialogue de Dominique avec Jameux », ou plutôt entre E(usebius) et F(lorestan) sur la piteuse contingence parolière succédant à la transcendance musicale, puis explorons « la syntaxe de l’inouï », qui « sans recettes ni programmes emmène du côté de chez les auteurs trop sollicités, les œuvres-rengaines ou alibis et les interprètes encartés, paysage à la frontière du manque de culture ou d’initiative et surtout des préoccupations mercantiles. Ou, plus sophistiqué, « l’œil de l’oreille » nous murmure qu’il y a « une radio secrète, magique, où le méticuleux presque, quand il conte ses expériences de travail sur « Quai des Orfèvres », et fort « impie » en musique de film – il en excepte Senso de Visconti et la comédie musicale américaine de haute époque -, croyant surtout aux vertus de la bande-son, exaltant les anciens, rigoureux et décisifs travaux de Michel Fano. Il préfère installer la musique de Mozart en situation parallèle de sa chère Règle du Jeu renoirienne (Les Noces) ou d’Indiscrétions, de Cukor (Cosi Fan Tutte). Mais n’oublions pas de revenir à la source absolue, le concert. D.J. en fait un éloge appuyé, du moins quand cela se passe dans les salles à l’italienne, contre les modernes « à visibilité totale, et totalitaires : le concert verrouille le spectateur dans l’obligation d’écoute, en un des derniers lieux au monde où on ne fait qu’une chose à la fois, hors zapping et mixage d’activités. Gare cependant à « l’obscénité des tousseurs », à ce qui peut se révéler l’enfer des autres (certains) ! Et la coda sera « Vous », c’est-à-dire « nous », « hypocrite auditeur, mon semblable, mon frère » à qui D.J. tend un miroir intelligent et pédagogique, avec 5 questions : Who ? What ? When ? Where ? Why ? Et ne nous quitte cependant pas sans un brin d’émotion que par auto-dérision il nomme « note de démagogie » mais que nous ne saurions sans mauvaise foi assimiler à un côté people de France-Musique et d’un Producteur dont ce n’est pas le genre : « Le don aura été réciproque. Les auditeurs m’auront donné tout ce que je leur ai apporté. Je ne vous connais toujours pas, mais ma plus belle histoire d’amour, c’est vous ! »

Ainsi va ce texte d’impressions – mais aussi de rigueur distanciée, comme les « canons sous les fleurs » -, de riche mémoire mais sans autosatisfaction (caractéristique, la brièveté d’allusion, via Barthes, à la revue fondée par … D.J. en 1973, ce Musique en Jeu qui a tant marqué le paysage des arts contemporains…et manque tant désormais), de vivacité tonique. De clins d’œil aussi, y compris dans une écriture qui « Comme à la radio » (tiens, un titre-culte de Brigitte Fontaine…autrefois : D.J. cite plutôt ses amours en chansons du côté de Barbara, Juliette Greco, Trénet, et ses chers Comedian Harmonists ») virevolte d’un familier « la publicité sur le cul des bus » à de « bourdivines allusions » (à Bourdieu), et en dialogue incite le lecteur à parfois « donner sa langue au chat » (« le chat Murr », évidemment, histoire d’aller caresser dans le texte le sympathique félin d’Hoffmann). Et à propos d’Hoffmann, n’hésitons pas à contester ce que D.J. dit d’un Trio allemand (avec Nietzsche et Thomas Mann) qui fit de la musique un « paramètre essentiel de la pensée » si c’est pour lui opposer une sorte d’insignifiance française où personne dans la littérature ne serait « mangé de musique », et Proust, ce ne serait pas ici exception ? Elémentaire, mon cher D.J ?

Avant de refermer ce livre dont le lecteur ne doit attendre ni « boulevard à ragots », ni pseudo-roman à clés, mais un carrefour d’idées, d’enthousiasmes et de critique, un souvenir ravivé par le hasard des récentes rediffusions. On tombe à France-Musique sur un extrait d’entretien avec Vladimir Jankelevitch, où le philosophe à la parole virevoltante dit de la danse qui est « lévitation, le virtuose y affirme son indépendance par rapport à ce qui le rive au sol, à la terre… » L’interlocuteur, respectueux, justement distancié, vraiment existant, c’est le futur (lointain) auteur de « Radio ». Il y a 30 ans (juillet 1979), et déjà une « Jameux Touch »…

Dominique Jameux: Radio. Editions Fayard

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