vendredi 29 mars 2024

Domenico Mazzocchi: La Catena d’Adone (2010) 2 cd Alpha

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Nicolas Achten et sa « troupe », musiciens et chanteurs de Scherzi Musicali s’intéressent au seul opéra retrouvé à ce jour du prêtre musicien, frère aîné de Virgilio (lui aussi compositeur), Domenico Mazzocchi: la Chaîne d’Adonis, La Catena d’Adone, créé à Rome en 1626 au palais Conti.

En dépit d’une honnête tentative pour caractériser le continuo selon le profil dramatique de chaque personnage, la direction s’amollit en cours d’action: trop de détails et d’application décorative nuit à la cohérence de l’ensemble; les chanteurs son bien fragiles et souvent sans consistance pour ce qui aurait pu être une partition captivante, proche de la liberté des vénitiens à venir, disciples de Monteverdi, Cavalli ou Cesti, heureux créateurs révélés avec combien plus d’autorité expressive et d’invention musclée par René Jacobs, pionnier dans ce domaine: un exemple? Les 3 choeurs conclusifs qui offrent la morale de l’action sont à peine ciselés et même, bien douceâtres, d’une mollesse qui efface toute aspérité à un texte d’une finesse et d’une intelligence captivante (d’après Marino): ici Vénus est une déité qui sublime l’amour éprouvé par Adonis. Amour divin plutôt que charnel et labyrinthique… qu’incarne a contrario la trompeuse enchanteresse Falserina.

Malgré nos réserves sur la présente approche, l’ouvrage mérite absolument d’être ressuscité: son architecture dramatique et l’alternance des épisodes et confrontations égalent l’Orfeo montéverdien: puissance allégorique de la musique; récitatifs, ariosos, lamentos, conduite et écriture libre du chant toujours proche du texte, affirment ici une nouvelle individualisation des protagonistes; le visage en facettes multiples de la Magicienne comme de Vénus (au III) est fascinant, en rien fade ni prévisible; même Adonis a cette inquiétude permanente qui enrichit le rôle à travers les 3 actes: c’est une victime solitaire en quête du vrai sujet de son désir. Domenico brosse 3 portraits musicaux absolument fascinants.

Ce Mazzocchi importe à Rome, l’éloquence linguistique et dramatique du recitar cantando florentin, fixé et perfectionné par Francesca Caccini entre autres : Loreto Vittori, jeune castrat de 26 ans, créateur du personnage troublant de la magicienne Falsirena, a travaillé avec la chanteuse compositrice florentine. Il convient d’être particulièrement attentif au verbe et à sa dramatisation juste…

Hélas, reconnaissons que le niveau des chanteurs réunis autour de Nicolas Achten pêche souvent par manque de justesse et une articulation hasardeuse, sans compter une technique aléatoire (Luciana Mancini ne convainc guère dans le rôle central de la Magicienne amoureuse du bel Adonis: verbe mou, justesse des plus bancales, absence d’incarnation dramatique…: quelle déception). Quant à la Vénus de Merel E. Kriegsman, c’est l’autre erreur du cast: voix petite et linéaire, sans aucune ambivalence ni sensualité triomphatrice en fin d’action (III).

Plus convaincu, donc captivant a contrario l’Adone de Reinoud Van Mechelen: sa très belle entrée en scène, âme errante (fuyant dans la forêt, l’époux de Vénus, Mars), inquiète et effrayée d’une juste hypersensibilité, dialoguant avec Echo dans la caverne mystérieuse, rehausse très nettement ce théâtre édifiant et moral où l’articulation incantatoire du verbe poétique, reste cruciale.


Mazzochi montéverdien…

Au final qu’avons nous? A part Adone (Reinoud Van Mechelen), un collectif d’interprètes qui se cherche encore en cours d’enregistrement; même les choeurs sonnent confus (prise peu scrupuleuse dans l’équilibre des voix entre elles, comme des voix et des instruments?). Même le chef chanteur, Nicolas Achten, en « Arsete » ou « Areste » (les indications de la notice ne tranchent pas) manque de simplicité articulée, paraissant bien maniéré dans la première scène du III: son commentaire hautement moral quant à la folie de la Magicienne Falsirena, perdue par ses sens (récit moral là encore), sonne contorsionné, finalement peu respectueux d’une projection plus claire et naturelle du texte. C’est d’autant plus regrettable que l’interprète possède une belle voix de basse chantante, fluide et colorée. Le style gâche tout. Et pour Pluton, l’interprète n’arrive pas à caractériser différemment le personnage. Plus loin, comme le duo Vénus et Amour (III,3) est mièvre et minaudant. Et l’épreuve finale où Adonis doit discerner Vénus de la trompeuse et usurpatrice Falserina, manque de trouble comme de sensualité … magicienne ! Les vertigineux contrastes émotionnels entre la descente au martyr de Falserina, l’éloquence solaire de Vénus, l’humilité palpitante d’Adonis… sont trop absents. Que l’incarnation de Vénus est dure, serrée, sans aucun souffle, appliquée et sans aucune grâce.

Les instrumentistes sont bien peu inspirés par les nuances et le raffinement musical d’une partition qui morale dans sa construction, mérite plus de caressant sensualisme, d’opulence nuancée, de… poésie (seul se détache le geste plus nettement cohérent de Lambert Colson, flûte et cornet). Le trio Adonis, Vénus, Amour, véritable victoire de l’amour sincère est bien prosaïque, là encore, serré, guère qu’appliqué et méticuleux.


… pour musiciens prosaïques

L’approche aurait mérité plusieurs sessions complémentaires pour nettoyer tout ce qui nous paraît ici indécis, expédié, trop avare en muscle et ardeur sanguine (lenteur laxative de l’introduction du II), en épanchement, langueur, douleur extatique (où excelle effectivement l’écriture de Domenico). Partout, la lecture ignore cette élégance suave du livret: le répertoire choisi exige une maîtrise absolue des accents, des nuances, sans compter l’articulation, et nous ne parlons pas de vision dramatique générale. La lecture reste inaboutie. La qualité de l’oeuvre serait-elle hors de portée pour les interprètes (il est vrai un peu trop jeunes et verts pour un tel ouvrage…)? Au lieu d’un scintillement ciselé d’affects, idéalement articulés et mis en musique, une grisaille pâle et confuse affadit l’éclat d’un opéra romain particulièrement éblouissant. Dommage.

Domenico Mazzocchi: La Catena d’Adone, Rome, 1626. Scherzi Musicali. Nicolas Achten, direction. 2 cd Alpha 3 760014 191848. cd1: 58mn, cd2:1h14mn

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