mardi 16 avril 2024

Compte rendu, récital lyrique. Marseille, Théâtre Toursky, le 6 décembre 2016. Récital Patricia Petibon, soprano. La Belle Excentrique… Susan Manoff, piano.  

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Compte rendu, récital lyrique. Marseille, Théâtre Toursky, le 6 décembre 2016. Récital Patricia Petibon, soprano. La Belle Excentrique… Susan Manoff, piano. Ce récital de Patricia Petibon, belle réellement et excentrique délicieuse et délictueuse des formes académiques du concert, tourne et fait tourner les têtes, sinon les tables, même celle de La Bonne cuisine de Bernstein, qui tourne rond malgré des recettes qui tournent mal pour poulet, lapin (heureusement de fantaisie) et… spectateurs sceptiques mais pas susceptibles du premier rang, aux premières loges, qui dégustent, littéralement, recevant avec les saveurs, les couleurs, en pleine figure, les reliefs du repas lancés à la volée comme défis et détritus ; menu concocté par la coquine, cocottante et caquetante cuisinière cordon bleu, on n’ose dire maître queuxmalgré la queue de bœuf jetée aussi avec une désinvolture survoltée par la follette diva en tablier attablée au piano d’où elle extrait des cordes (à son arc), les ingrédients incongrus pour ses plats sans en faire tout un  : on s’en lèche les doigts sans en croire ses oreilles tant tout est à saison, assaisonné juste dans le tempo, même du « Civet à toute vitesse », de la musique, de la voix, du geste et déplacement. Un régal. Une intelligence qui se joue d’elle-même.

 

 

 

Petibon en vocaliste coloriste

 

 

1 La-Belle-Excentrique-de-Patricia-Petibon_cdc_bigJ’ai commencé par où elle finit ce savoureux récital, vertigineux d’équilibre dans un déséquilibre apparent, conclus, après un brillant solo de la pianiste complice marmitonne Susann Manoff (l’andante con moto du Prélude N° 2 de Gershwin) sur un fougueux et allègre Granada d’Agustín Lara. Petibon le chante avec un parfait accent espagnol, comme elle l’aura donné aux pyrotechniques Cantares de Turina, où sa voix se coule avec aisance dans les diaboliques mélismes stylisés du flamenco, comme, piquante, pimpante, dans le Vito, danse populaire espagnole harmonisée par Obradors, qu’elle colore d’accent andalou. Elle couronnera le concert par deux bis, la fameuse berceuse popularisée par les cantatrices espagnoles, « Canción de cuna para dormir a un negrito », quatrième chanson des Cinco canciones negras de Xavier Montsalvatje, qu’elle interprète en intime et déchirante douceur, cette fois avec l’accent cubain, justesse de situation post-esclavagiste sinon autoriale car le texte est de l’Uruguayen Ildefonso Pereda Valdés (1899-1996). Le deuxième bis sera un inénarrable tango, Léon, qu’elle détaille avec un charme canaille à un spectateur ébahi et ravi qu’elle fait monter sur scène.

ART DE LA COULEUR… J’ai retenu symboliquement ces morceaux comme représentatifs de l’éventail immense de Petibon, qui passe de l’air le plus émouvant ou le plus drôle à la chanson drolatique avec le même bonheur et la même justesse dans l’expression du sentiment et, ce qui me frappe, avec, me semble-t-il une adéquation de la couleur : couleur exacte des langues —et je témoigne de l’hispanique— dans des nuances de régions et de pays, Castille, Andalousie, Galice pour l’Espagne et Cuba, que même les grandes chanteuses espagnoles ne font pas toujours, du moins pour cette dernière, l’adorable berceuse.
Si jamais la qualification de colorature pour son type de soprano est juste pour la virtuosité qu’elle déploie dans le baroque et dans ce chant espagnol vertigineusement orné, c’est encore plus juste par l’étymologie du mot : l’art de colorer le son. Patricia Petibon a une palette personnelle très riche en nuances, la couleur dont elle pare chaque mélodie paraît à chaque fois unique et l’éclaire affectivement : Spleen vaporeux de Fauré, indécise lumière argentine de Pêcheur de lune de Rosenthal, et je n’oublie pas cette Asturiana de Falla, nimbée de brume et mouillée de pleurs, une discrète confidence arrachée au silence douloureux. Il faudrait tout réentendre pour en goûter les exquises finesses sans finasseries grossières et je ne cite, pour donner la mesure de cette sensibilité, de Satie, que le défraîchi Daphénéo, affadi de tant de fadaises interprétatives, qui retrouve, avec elle, une neuve naïveté. Quant à « La delaïssado », ‘la délaissée’ de Canteloube, extrait de ses Chants d’Auvergne, c’est le chant résigné puis révolté de la femme, de toute femme, où l’on retrouve les accents de son Alcina d’Aix. Même sens dramatique dans « A vida dos arreiros » », ‘La vie des muletiers’, texte en galicien, extrait du Poema de un día du rare Henri Collet, musicien hispaniste qu’elle nous offre comme un cadeau, dans cet air semé de mélismes à la tenue de souffle admirable. Bref, on n’en finirait pas de détailler la variété de tons, de couleurs qu’elle déploie, passant des larmes retenues, de la mélancolie à la fantaisie avec force accessoires, fausses oreilles, faux nez, carottes, etc, du fantasque au cocasse, au loufoque, peut-être comme une pudeur, une défense de l’âme par une ironie, une dérision où, entraînant son extraordinaire partenaire de pianiste, elle s’inclut elle-même : suprême élégance de l’humour. Un charme fou, foufou.

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Compte rendu, récital lyrique. Marseille, Théâtre Toursky, le 6 décembre 2016. Récital Patricia Petibon, soprano. La Belle Excentrique… Susan Manoff, piano. Programme : Leonard Berstein, Henri Collet, Joseph Canteloube, Manuel de Falla, Gabriel Fauré, George Gershwin, Reynaldo Hahn, Agustín Lara, Xavier Montsalvatje, Fernando Obradors, Francis Poulenc, Éric Satie, Joaquín Turina.

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