mardi 19 mars 2024

Compte rendu, opéra. Tours. Grand Théâtre, le 4 avril 2014. Albéric Magnard : Bérénice. Catherine Hunold, Jean-Sébastien Bou, Nona Javakhidze, Antoine Garcin. Jean-Yves Ossonce, direction musicale. Alain Garichot, mise en scène

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BERENICE Opéra de Tours avril 2014 © François Berthon  6145Pour le centenaire de la disparition d’Albéric Magnard, l’Opéra de Tours a eu le nez fin en programmant pour trois soirées sa rare Bérénice (4,6, 8 avril 2014), ces représentations n’étant que les secondes depuis la création de l’œuvre en décembre 1911. En 2001, l’Opéra de Marseille avait osé redécouvrir cette tragédie lyrique après la lettre, et puis plus rien.
Disciple de Jules Massenet, Théodore Dubois et Vincent d’Indy, échaudé par l’échec de ses ouvrages lyriques précédents, Yolande et Guercœur, et peinant à trouver un nouveau sujet pour la scène, Magnard se voit suggérer en 1904 la figure de Bérénice, qui finit par le hanter tout à fait.
Plutôt que mettre en musique les vers de Racine, geste qu’il considérait comme un affront au génie de l’auteur, le compositeur décide d’écrire son propre livret en s’inspirant de diverses sources, allant jusqu’à puiser dans une Bérénice égyptienne. C’est ainsi que la reine de Judée se trouve rajeunie, que Titus ne monte sur le trône de son père défunt qu’au deuxième acte, et que Bérénice achève l’œuvre en offrant sa chevelure, symbole de sa féminité, à la déesse Vénus, comme un renoncement à ses charmes fermant ainsi pour toujours son cœur à l’amour.

Racine à l’opéra

La partition s’ouvre par une introduction respirant le large et les embruns, résumant à elle seule les thèmes qui seront développés durant le drame, servie par une écriture qui rappelle irrésistiblement Berlioz et son Île inconnue.

 

 

BERENICE Opéra de Tours avril 2014 © François Berthon  6018

         

 

 

Par la suite, le langage utilisé par le compositeur est celui de la déclamation mélodique, couvrant un large ambitus mais toujours au service du texte, sous lequel se tisse une harmonie qui rappelle aussi bien Wagner que Debussy, et préfigurant par instants déjà Poulenc. Racine est bien entendu présent, par la majesté des personnages, en particulier le rôle-titre, à la fierté impériale, alors que Titus ploie sous les doutes et les tourments. Un ouvrage qui se noue comme un dialogue, les répliques des autres personnages ne venant que conforter les deux protagonistes dans leurs choix et leurs résolutions.
La richesse de l’orchestration met en valeur le travail effectué par Jean-Yves Ossonce et son Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, débordant de la fosse jusqu’à occuper les loges supérieures de l’avant-scène. La cohésion des musiciens se révèle remarquable, sans faiblesse du début à la fin malgré la densité de l’écriture musicale et les difficultés qui en découlent. Tout au plus pourrait-on souhaiter encore davantage de subtilité et de liquidité dans les accents des cordes, mais la performance de l’ensemble est à saluer bien bas.
Invisibles, les chœurs servent avec bonheur leurs parties, chansons calomniant Bérénice autant que voix des marins manœuvrant les rames du navire emportant la jeune femme loin de Rome.
Tenant les rênes de cette soirée, le chef confirme ses affinités avec ce répertoire, dont il souligne autant les filiations que les particularités et qu’il sert avec un bonheur communicatif.
Grâce à douze années passées à la Comédie Française, Alain Garichot connaît bien ce sujet célèbre entre tous, et sert son illustration lyrique avec un immense respect. Il imagine une scénographie dépouillée et intemporelle, offrant à voir tantôt une colonne dorique, tantôt une statue, l’ouvrage culminant sur une proue de bateau couronné de sa voile, représentation simple et efficace du départ de Bérénice sur les flots. Des images dont la majesté conviennent admirablement à l’œuvre et qui permettent à la musique de se déployer pleinement.
La direction d’acteurs est à l’avenant, centrée sur les deux amants déchirés par le devoir. Bérénice demeure toujours altière, mesurée dans ses mouvements, retenue jusque dans la colère, les sentiments la dévorant de l’intérieur sans qu’elle laisse paraître son trouble autrement que par ses mots ; contrairement à Titus qui ne cesse de se mouvoir, agité par son trouble, implorant, à genoux, étendu aux pieds de sa maîtresse, sans parvenir à trouver la paix. Une opposition saisissante, qui fait écho à la partition, d’une grande justesse.
Entourant le couple central, les seconds rôles remplissent parfaitement leur rôle.
Nona Javakhidze incarne une Lia aussi bien maternelle que sévère, faisant admirer son beau mezzo rond et ample, mais que davantage de luminosité aurait aidé à servir ce répertoire dans toute sa clarté. Mucien au cœur sec, Antoine Garcin met à profit la profondeur de sa voix de basse pour incarner le devoir, rude et inflexible.
L’ouvrage trouvant sa palpitation au cœur de la passion qui anime les deux amants, il fallait trouver deux interprètes à même de rendre justice à cette musique. Aussi dissemblables que complémentaires, Jean-Sébastien Bou et Catherine Hunold délivrent une prestation d’une qualité exceptionnelle.
Lui confirme la place qu’il occupe actuellement dans le paysage lyrique français, grâce à sa voix de baryton claire et puissante, jamais grossie mais toujours percutante, à l’aise dans l’aigu, ciselant son texte avec la précision de ses grands aînés. Il se donne tout entier dans ce Titus torturé par le devoir, abhorrant le pouvoir avant d’avoir régné, d’une grande vérité dramatique dans sa vulnérabilité.
Elle démontre une fois encore qu’elle est bien ce soprano dramatique à la française qu’il nous manquait depuis longtemps. L’instrument se déploie peu à peu, paraissant grandir au fur et à mesure que le drame se joue, mais jamais au détriment des mots, énoncés à fleur de lèvres. Si le bas-médium et le grave surprennent par leur peu d’appui – sécurité pour permettre au registre supérieur de durer tant en vaillance qu’en longévité ? – l’aigu éclate, solide et puissant, d’un impact tétanisant. Parfois un rien tendu dans les sauts d’intervalles, il trouve sa plénitude dans les longues tenues lorsqu’il est préparé et détendu, ainsi que l’exigent les grandes voix. L’abandon devenant inéluctable, la fureur s’apaise, laissant place à d’ineffables nuances, faisant irradier un « je t’aimerai toujours » suspendu, comme arrêtant le temps, à la sincérité bouleversante.
Dotée d’un port de reine et d’un magnétisme scénique évident, elle occupe le plateau par sa seule présence, stature d’airain et noblesse jusque dans le sacrifice. Tant de qualités qui nous font rêver à une Reine de Saba de Gounod et, dans un tout autre répertoire, à une Norma qui augure du meilleur.
Une redécouverte majeure, un pari risqué de la part de l’Opéra de Tours mais remporté haut la main, qui réhabilite l’originalité d’Albéric Magnard. A quand Guercœur ?

Tours. Grand Théâtre, 4 avril 2014. Albéric Magnard : Bérénice. Livret du compositeur d’après Racine. Avec Bérénice : Catherine Hunold ; Titus : Jean-Sébastien Bou ; Lia : Nona Javakhidze ; Mucien : Antoine Garcin. Chœurs de l’Opéra de Tours et Chœurs Supplémentaires ; Chef de chœur : Emmanuel Trenque. Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Direction musicale : Jean-Yves Ossonce. Mise en scène : Alain Garichot ; Décors : Nathalie Holt ; Costumes : Claude Masson ; Lumières : Marc Delamézière

Illustrations : © François Berthon 2014

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