vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, opéra. Peralada, festival (Catalogne espagnole). 4Carmen, création. Mardi 5 août 2015. Avec Marta GARCÍA CADENA, Néstor PINDADO, Toni VIÑALS, chant. Alfredo ARMERO, piano. Àlex RODRÍGUEZ FLAQUÉ, violoncelle. Marc Rosich, mise en scène. Mischa Tangian et Helena Tornero (Carmen 1), Carles Pedragosa et Jordi Oriol (Carmen 2), Clara Peya et Marc Angelet (Carmen 3), Lucas Peire et Marc Artigau (Carmen 4)

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peralada 2015Le château casino de Peralada en Catalogne espagnole (à deux pas de la frontière française par le Perthus), est certes une destination rêvée par le charme végétalisé de son superbe domaine privé ; il s’est surtout taillé depuis des décennies, une très solide et légitime réputation comme temple lyrique incontournable, accueillant chaque été, en août, les solistes en vogue qui pratiquent ici (entre autres) l’exercice intimiste du récital chambriste ; ainsi avant notre présence, les grandes voix masculines s’y sont illustrées  : les Lohengrin contrastés / opposés (complémentaires?) tels Jonas Kaufmann et Klaus Florian Vogt (rien de moins), sans omettre le péruvien rossinien Juan Diego Florez ou encore la soprano vedette, Diana Damrau. … l’opéra n’est pas en reste sur la vaste scène aménagée dans le parc (cette année, pour sa 29ème édition, c’était l’Otello de Verdi avec le trio Gregory Kunde, Eva Maria Wetbroeck et Carlos Alvarez) ;  ni comme ce soir les nouvelles oeuvres, telle cette création, commande du festival très habilement conçue malgré la disparité des mains qui y ont participé : pas moins de quatre compositeurs, -tous inspirés et réunis autour du thème de Carmen. Il en découle une soirée atypique sous la voûte étoilée et par une chaleur quasi caniculaire : » 4Carmen Opera contemporaine » selon le titre (en catalan) affiché.

 

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Création lyrique au festival catalan de Peralada

Performances d’acteurs : Carmen forever

Qui est Carmen? On serait tenté de reformuler la question au regard du spectacle de 1h30 : quelles chances l’opéra a-t-il offert  à la cigarière pour être réellement comprise comme femme? Force est de constater que l’icône de la liberté féminine se heurte à une incompréhension masculine à répétition.
Ailleurs (à Paris), en février 2014, le dramaturge et écrivain Eric Emmanuel  Schmitt s’était posé la question à son tour non sans pertinence (lire notre compte rendu du spectacle « le mystère Bizet », Paris, Salle Gaveau, le 14 février 2015), et lui aussi par le biais d’un spectacle inédit dont il avait écrit le scénario mais qui utilisait alors les airs originaux de Bizet.

 

peralada 4carmen festival peralada compte rendu review presentation 2015 CLASSIQUENEWSA Peralada, l’enjeu est tout autre … C’est d’abord une réalisation théâtrale qui s’appuie sur les capacités de trois talents plutôt convaincants ; un spectacle au cours duquel Carmen traverse des situations diverses structurées en 4 épisodes (Passion, mort et douleur ; Carmen aux enfers ; Restaurant Carmen ; Autopsie)… Elle semble d’abord condamnée à être tuée par un Don José plus machiste et possessif que jamais et qui d’ailleurs a troqué sa tessiture originelle de ténor pour un baryton sombre et tourmenté;  ainsi Carmen y éprouve la mort, comme une scène primitive, répétitive et inéluctable, face à un José prêt à la violenter sans ménagement (dénonciation des violences faites aux femmes) : Carmen ne serait-elle pas justement ce corps destiné à la barbarie et la torture puis la mort ? La vision mérite réflexion ;  puis la lolita sensuelle accueille sur le piano central et avec délices, les assauts d’un Escamillo excité en serveur dominateur d’opérette, dans une scène  de cabaret déjanté où le délire impose la principale qualité de la production : le sens de la performance partagée par les 3 chanteurs/acteurs, lesquels savent être parfaitement complices selon le caractère de chaque séquence : saluons en particulier la figure passionnante du ténor Toni Viñals (né à Barcelone en 1978)  : expressivité affûtée, voix mordante et tranchante, profile fluide et vivace, vraie nature scénique à la Monty Python.
Enfin,  selon nous le meilleur tableau par sa profondeur  et sa justesse tragique : le corps  de Carmen morte dans une salle d’autopsie. Inerte mais consciente, la pauvre victime chante sa profonde solitude, une incompréhension fondamentale aussi qui la rend définitivement étrangère aux deux hommes que l’opéra lui inflige. .. José et Escamillo. Que cette héroïne souffre d’être ainsi tourmentée, incomprise, manipulée. Depuis Bizet, aucun partenaire qui la connaisse réellement …. sauf le spectateur finalement touché par cette figure de femme amoureuse insatisfaite qui souffre beaucoup mais rit trop peu. Comme un lieto final des plus réjouissants, Carmen prend finalement sa revanche et finit par tuer sur la table d’opération, celui qui n’avait cessé de la brutaliser, José en professeur en blouse blanche.

Malgré l’absence dommageable de surtitres qui auraient grandement aidé à la compréhension de toutes les nuances des quatre  livrets  (combinant l’anglais,  l’espagnol et, localité oblige : le catalan évidemment), on suit pas à pas cette ré appropriation satirique / comique de la Carmen de Bizet.
Les amateurs ont peut être été déçus car ils chercheront en vain un air de l’ouvrage originel de Bizet. Mais les amoureux d’un théâtre musical porté par le jeu captivant des trois acteurs chanteurs auront été saisis par la liberté de ton, les défis d’une relecture riche en péripéties parodiques, d’autant mieux exploités dans l’écrin du magnifique cloître de Peralada dont la sobriété du cadre laisse toute visibilité aux mouvements des solistes, parfois finement chorégraphiés  (dans les joutes où s’affrontent les deux hommes en particulier).

Aux côtés des solistes deux seuls instrumentistes assurent la tension musicale des quatre épisodes fondamentaux: le formidable violoncelliste Alex Rodriguez Flaqué et le pianiste Alfredo Armero, heureux partenaires et tout autant acteurs, d’une création qui a pleinement défendu sa place dans la très riche programmation du festival catalan de Peralada. Ré écrire la tragédie comédie de Carmen, mythe andalou mis en opéra par le français Bizet ici au coeur de la Catalogne espagnole est un défi inédit qui ne peut que susciter la curiosité. Le résultat est loin de démériter : la prestation coproduite avec le concours des équipes techniques et artistiques d’Opera de Butxaca i Nova Creació (OBNC),  rappelle à ceux qui l’oublient souvent que l’opéra c’est du chant et aussi du théâtre ; il ouvre même une brèche fertile pour l’équilibre artistique du plus lyrique des festivals estivaux de Catalogne.

 

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Compte rendu critique, opéra. Peralada, festival (Catalogne espagnole). 4Carmen, création. Mardi 5 août 2015. Avec Marta GARCÍA CADENA, Néstor PINDADO, Toni VIÑALS, chant. Alfredo ARMERO, piano. Àlex RODRÍGUEZ FLAQUÉ, violoncelle. Marc Rosich, mise en scène. Mischa Tangian et Helena Tornero (Carmen 1), Carles Pedragosa et Jordi Oriol (Carmen 2), Clara Peya et Marc Angelet (Carmen 3),  Lucas Peire et Marc Artigau (Carmen 4).

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