Opéra incontournable du Noël outre-Rhin, l’opéra féerique Hansel et Gretel d’Engelbert Humperdinck, sur le livret d’Adelheid Wette d’après le célèbre conte des frères Grimm, revient à l’Opéra National de Paris un an après son entrée au répertoire de l’illustre maison. En 2013, soit 120 ans après la création de l’œuvre, Mariame Clément signe la mise en scène qui est reprise cette saison. Le chef Yves Abel assure la direction musicale de l’orchestre et d’une distribution des chanteurs-acteurs d’une qualité remarquable.
délectable et joyeux mélange de lourdeur et de légèreté
Engelbert Humperdinck (1854 – 1921) a composé plusieurs œuvres lyriques, la première et la plus célèbre aujourd’hui est Hänsel und Gretel, « festival sacré pour les enfants ». Sa composition est plutôt accidentelle au début. En fait, Humperdinck commence des études d’architecture à l’université de Cologne quand le compositeur Ferdinand Hiller le convainc de se consacrer à la composition. En 1879, il gagne le Prix Mendelssohn qui lui permet de séjourner en Italie où il rencontre Richard Wagner ; ce dernier, par la suite l’invite à Bayreuth pour l’assister à la préparation de Parsifal (NDLR: créé en 1882). Humperdinck avait composé des œuvres chorales et orchestrales, mais tient en fait un poste de professeur de musique quand sa sœur Adelheid Wette lui demande d’écrire 4 chansons pour la pièce pour enfants qu’elle a écrit d’après le conte de Hansel et Gretel des frères Grimm. Au début réticent, le compositeur finit par être si fasciné par l’histoire qu’il crée une partition lyrique intégrale qu’il envoie à Richard Strauss pour recueillir son avis. Strauss répond à Humperdinck : « Ton opéra m’a enchanté. C’est véritablement un chef d’oeuvre ; il y a longtemps que je n’avais pas vu un ouvrage d’une telle importance. J’admire la profusion mélodique, la finesse, la richesse polyphonique de l’orchestration (…) tout cela est neuf, original, vraiment allemand. ».
En effet, Humperdinck se sert de l’orchestre romantique wagnérien et des procédés musicaux que Wagner a popularisé, pour mettre en musique le conte fantastique du frère et de la soeur perdus dans la forêt et séquestrés par une sorcière qui veux les manger. Pour se faire, il se sert des sources folkloriques, des rythmes dansants et des thèmes de contines. Le succès incontestable repose sur l’écriture savante, complexe, sans aucune concession, mais qui demeure accessible par la riche inspiration mélodique issue des musiques populaires. Une façon d’équilibrer les extrêmes, d’un côté l’aspect sombre et psychologique du conte, qui gagne en puissance dramatique grâce à l’orchestre ; de l’autre, la naïveté, la magie, les jeux de l’enfance imaginée, évoqués continûment par le chant.
Impossible qu’une telle œuvre laisse le public parisien indifférent, si attiré par la psychanalyse et si wagnérien, mais aussi tellement amateur de clarté et de légèreté. Dans ce sens, l’œuvre de Mariame Clément s’accorde savamment à l’opus, ma non troppo. Avec sa scénographe fétiche Julia Hansen, elle présente l’action du point de vue des enfants. Le décors unique de la maison scindée représente très directement l’idée omniprésente du dédoublement. Nous avons droit alors à la « réalité » et à la vérité des enfants, au même plan, mais en parallèle, séparé par les arbres anonymes de la forêt légèrement évoquée. Une idée qui a le bizarre potentiel de faire couler des litres d’ancre ou absolument rien du tout, puisque qui pourra faire un jugement de valeur de l’enfance, d’une enfance, de la période la plus fantasmée et idéalisée de l’imaginaire collectif ? Comme souvent chez la jeune metteure en scène, le travail d’acteur est remarquable, et le parti pris esthétique, souvent très intellectuel, est tout à fait réussi.
La chevauchée humoristique de la Sorcière au 3ème acte, avec ces clones dansant le cabaret, est d’une justesse non négligeable, en ce qui concerne la musique et le texte, et surtout très divertissant. Les jeux des perspectives est parfois utilisé de façon humoristique également, comme lorsque la Sorcière nourrit le petit Hansel prisonnier dans une chambre à faire friser les arachnophobes (clin d’œil aux araignées de l’artiste Louise Bourgeois). Si le propos si sympathique de Clément se distingue par son inscription évidente dans l’époque actuelle (grâce à l’approche cinématographique et à la différence des mises en scènes passéistes et néo-avant-gardistes si courantes), sa réalisation laisse parfois perplexe.
Au point qu’il existe presque parfois un décalage trop flagrant entre les deux réalités présentées … C’est comme si un effet miroir (et donc d’imitation précise) était recherché, et pourtant jamais réussi ; ailleurs les différences sont si clairement explicitées, souvent par le décor seul, que cela doit être fait exprès. Par moment, il se passe beaucoup de choses sur le plateau, ceci n’enlève rien à la musique ni au texte, bien heureusement… mais qu’apporte concrètement cette agitation ?
Néanmoins, globalement, il s’agit d’une production de grande valeur, dont l’appréciation peu être mitigée, mais ne justifiant absolument pas les quelques huées vers l’équipe artistique pendant les saluts, des cris vulgaires qui ne font qu’enlaidir un palais de beauté.
La musique, véritable protagoniste de l’œuvre, a sans doute eu l’effet à la fois apaisant et enchanteur qu’on attendait. Hansel et Gretel sont interprétés par les jeunes Andrea Hill et Bernarda Bobro respectivement. Leur prestation est remarquable tous points de vue confondus. Leurs voix s’accordent d’une très belle façon, avec une facilité et un naturel qui rehaussent la fraîcheur de l’œuvre.
Leurs nombreux duos repartis tout au long des trois actes sont un mélange de douceur champêtre, de vivacité, d’humour, de tendresse, mais pas que. Les parents, quoi que moins présents, sont tout aussi investis. Jochen Schmeckenbecher et Irmgard Vilsmaier sont très crédibles, le premier a un timbre presque solaire qui sied parfaitement à l’image d’un père aimant ; la seconde, une allure et une couleur imposante d’humanité. La Sorcière de Doris Lamprecht a un je ne sais quoi typique des vilaines charmantes, un parti-pris qui ne plaît pas à tout le monde, mais que nous trouvons tout à fait délicieux ! Dans ce sens sa performance est plus magnétique qu’électrisante, et tant mieux, puisque sa musique, en dépit de la pesanteur wagnérienne, est de nature folklorique et populaire.
Remarquons également le Petit Bonhomme Rosée d’Olga Seliverstova, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, pétillant, ou encore les petits chanteurs de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et du Choeur d’enfants de l’Opéra National de Paris qui réalisent un sommet de tendresse à la fin du troisième et dernier acte. Le chef Yves Abel, quant à lui, trouve un équilibre idéal entre le plateau et l’orchestre. Un fait pas du tout anodin tenant en compte les spécificités de la partition. Dès l’ouverture, la beauté somptueuse et mystérieuse des cuivres et des bois, sous le fond des cordes modulantes très wagnérien, captive. S’enchaîne ensuite une série des chansons populaires allemandes plus ou moins transfigurées par Humperdinck. L’orchestre arrive à établir l’atmosphère du conte, sombre et pesante, sans pour autant perdre en brio et en vivacité ! Les instrumentistes font preuve d’une complicité superbe qui se traduit par une performance pleine d’éclat et des nuances.
Un spectacle formidable, souvent savoureux, toujours tendre ; un plat de Noël gourmand et raffiné, à consommer sans modération au Palais Garnier, encore les 25 et 28 novembre ainsi que les 1er, 4, 9, 11, 14, 16, 18 décembre 2014.