vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, opéra. Montpellier, Opéra Berlioz, le 7 février 2016. Puccini : Turandot. Katrin Kapplusch, Rudy Park…

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Après Nancy voilà un peu plus de deux ans, cette superbe production de l’ultime chef-d’œuvre de Puccini fait halte à Montpellier, comme apportée par Valérie Chevalier dans ses bagages. On retrouve ainsi avec bonheur la mise en scène de Yannis Kokkos, qui sert l’œuvre par son dépouillement et son esthétisme. Le rouge et le noir qui colorent tous les tableaux font toujours aussi durement sentir le poids de la fatalité et du destin façonnés par la terrible princesse ; et on demeure toujours aussi attendris par la scène ouvrant le deuxième acte, où les trois Ministres, enivrés par les vapeurs de l’opium, évoquent  chacun la maison où les porte leur fantaisie. Sans parler du silence absolu dans lequel le Prince inconnu dépose ses lèvres sur celles de la Princesse de glace, signant ainsi la fin de sa tyrannie et la naissance de leur amour.

Initialement créée à Nancy, cette Turandot où chaque personnage affirme sa propre intériorité, convainc à Montpellier…

La démesure faite voix

turandot katrin kapplusch montpellier opera critique review classiquenewsLa distribution, quasiment identique à celle de Nancy, appelle toujours les mêmes éloges, jusqu’aux plus petits rôles. Au Mandarin et Jeune Prince de Perse très bien chantant et percutant de Florian Cafiero répond l’Empereur Altoum émouvant et en belle forme vocale d’Eric Huchet, magnifiant un personnage souvent sacrifié sous le poids de l’âge. Aussi virevoltants qu’ambigus et étranges, les trois Ministres incarnés par Chan Hang Lim, Loïc Félix et Avi Klemberg raflent la mise grâce à la complémentarité de leurs voix, parfaitement appariées, et la précision avec laquelle ils exécutent la direction d’acteurs qui leur est dévolue, véritable chorégraphie tricéphale. Le Timur de Gianluca Burratto fait grande impression par son instrument ample et riche, à l’autorité percutante, rappelant comme rarement le souverain que fut le vieil aveugle. Il est accompagné par la délicieuse Liù de la jeune soprano italienne Mariangela Sicilia, saluée à l’issue du spectacle par une ovation si soudaine que la chanteuse en fut émue aux larmes. Si le timbre n’est pas d’une exceptionnelle beauté, la technicienne et surtout la musicienne savent illuminer la ligne de chant d’une façon simple et émouvante, que rehaussent de superbes pianissimi dans l’aigu, pour culminer dans une mort poignante. Endossant à nouveau le terrible rôle-titre, Katrin Kapplusch paraît moins à l’aise dans son entrée. Est-ce l’effectif orchestral, paraissant plus important ici qu’à Nancy, ou la fosse d’orchestre du Corum, plus vaste et plus ouverte que celle du théâtre de la place Stanislas ?  Toujours est-il que la chanteuse semble devoir lutter contre le torrent instrumental qui gronde sous ses pas, et ainsi pousser sa voix, notamment dans les extrêmes aigus, moins souples qu’avant. La soprano allemande excelle néanmoins comme peu d’autres à dévoiler les failles du personnage, moins féroce créature que femme dévorée par la peur. Une incarnation qui fait merveille dans le troisième acte, où se mettent à nu les sentiments contradictoires qui agitent la princesse, jusqu’à son éveil à l’amour, une humanisation rendue possible grâce à de magnifiques nuances, et qui lui permettent d’achever l’œuvre dans une grande émotion.
Face à elle se dresse une fois encore, aussi conquérant qu’inexorable, le Calaf d’airain de Rudy Park. Avouons notre admiration sans cesse renouvelée face à ce chant d’une solidité à toute épreuve, véritablement herculéen, à l’image de sa stature de géant. Si en cet après-midi, les notes situées dans le haut médium apparaissent un rien alourdies et raccourcies – une tentation souvent grande pour les instruments aussi larges, à surveiller de près afin de conserver dans la durée des moyens aussi phénoménaux –, l’aigu éclate admirablement, depuis des appels telluriques au premier acte, jusqu’à un « Nessun Dorma » renversant d’héroïsme, n’excluant pourtant aucune nuance, couronné par un si naturel parmi les plus exceptionnels qu’il nous ait été donné d’entendre. Le public ne s’y trompe pas et éclate de joie avant même la fin de l’air,… pour se lever comme un seul homme au moment des saluts lorsque le ténor coréen vient recueillir sa part d’applaudissements.

On ne manquera pas de féliciter les chœurs, celui de Nancy étant venu prêter main-forte à celui de Montpellier, magnifique préparés et généreusement sonores. A la tête des forces montpelliéraines, Michael Schønwandt, nouveau directeur principal de l’orchestre depuis septembre 2015, dirige cet après-midi son premier opéra in loco. Un véritable coup de maître, tant les musiciens paraissent heureux de jouer sous sa direction. La pâte sonore se déploie lentement, superbe d’unité et pourtant parfaitement définie pour chacun des pupitres, et c’est un vrai régal de se laisser emporter par les lames de fond montant de la fosse, faisant littéralement vibrer le plancher, des vagues savamment conduites et qui achèvent de soulever la salle toute entière. Un public en liesse, debout, heureux d’avoir pu goûter à l’art lyrique dans toute sa démesure, et ainsi perdre la tête. Et nous avec.

Montpellier. Opéra Berlioz-Le Corum, 7 février 2016. Giacomo Puccini : Turandot. Livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni. Avec Turandot : Katrin Kapplusch ; Calaf : Rudy Park ; Liù : Mariangela Sicilia ; Timur : Gianluca Burratto ; Ping : Chan Hang Lim ; Pang : Loïc Félix ; Pong : Avi Klemberg ; Altoum : Eric Huchet ; Un Mandarin, le Jeune Prince de Perse : Florian Cafiero. Chœur d’Opéra Junior – Petit Opéra ; Chef  de chœur : Caroline Comola. Chœurs de l’Opéra National Montpellier Languedoc-Roussillon et de l’Opéra National de Lorraine ; Chefs de chœur : Noëlle Gény et Merion Powell. Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon. Michael Schønwandt, direction musicale. Mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos ; Lumières : Patrice Trottier ; Dramaturgie : Anne Blancard ; Chorégraphie : Natalie Van Parys

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