vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, opéra. Montpellier. Opéra Berlioz, le 5 mai 2015. Wagner / Bartok : Wesendonck Lieder / Le Château de Barbe-Bleue. Angela Denoke, Jukka Rasilainen. Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon. Pavel Baleff, direction. Jean-Paul Scarpitta, conception et mise en scène.

A lire aussi

A Montpellier, Jean-Paul Scarpitta met en scène les Wesendonck Lieder de Wagner ainsi que le seul opéra de Bartók, le Château de Barbe-Bleue pour clôturer la saison lyrique à l’Opéra Orchestre National de Montpellier. Les spectateurs se retrouvent à l’Opéra Berlioz / Le Corum pour cette conception que, même si nous n’en comprenons pas la logique artistique, attise notre curiosité. Les deux chanteurs engagés ainsi que l’Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon sont dirigés par le chef Pavel Baleff avec une étonnante précision.

 

 

Wagner et Bartók chic-choc

 

Le seul opéra du compositeur hongrois Belá Bartók (1881 – 1945) est aussi le premier opéra en langue hongroise dans l’histoire de la musique. Le livret de Béla Balázs est inspiré du conte de Charles Perrault « La Barbe Bleue » paru dans Les Contes de Ma Mère l’Oye, mais aussi de l’Ariane et Barbe-Bleue de Maeterlinck et du théâtre symboliste en général. Ici sont mis en musique Barbe-Bleue et Judith, sa nouvelle épouse, pour une durée approximative d’une heure. Le couple arrive à peine au Château de Barbe-Bleue, et déjà Judith désire ouvrir toutes les portes du château « pour faire rentrer la lumière », dit-elle. Le duc cède par amour mais contre son gré ; la septième porte reste défendue mais Judith manipule Barbe-Bleue pour qu’il l’ouvre et découvre ainsi ses femmes disparues mais toujours en vie. Elle sera la dernière à rentrer dans cette porte interdite, sans sortie. Riche en strates, l’opéra se prête à plusieurs lectures ; la musique très dramatique toujours accompagne, augmente, colore et sublime la prosodie très expressive du chant.

Mais comme un prélude mis en espace, nous avons les Wesendonck Lieder de Wagner. Ce cycle de lieder orchestraux sur lses poèmes de Mathilde Wesendonck, qui fut probablement amante du compositeur, lui-même ami intime de son mari, est surtout notoire puisque deux des morceaux sont en vérité des études pour Tristan und Isolde, l’opéra qui révolutionnera l’harmonie au XIXe siècle et qui verra le jour uniquement grâce au soutien miraculeux de Louis II de Bavière (Munich, 1865) ; le jeune souverain éprouvant lui-aussi les plus forts sentiments pour le compositeur.

Le spectacle commence dans l’économie absolue, plateau noir avec lumière « douche » qui baigne un coin de la scène gargantuesque et limpide. Apparaît la soprano allemande Angela Denoke, qui sort de l’ombre, toute habillée en noir aussi. Elle commence le premier morceaux du cycle des lieder « L’Ange » : sa voix puissante s’accorde merveilleusement avec l’orchestre et remplit la salle sans difficulté. Comme un ange tombé sur terre et qui apparaît dans un rêve, la silhouette incarnée se promène subtilement sur scène. Elle le fera jusqu’à la fin du cycle. Les lumières changeront, elles aussi subtilement après chaque lied. L’économie scénique ne fait donc que magnifier l’impact de la musique. Si parfois le chromatisme des morceaux peut perturber les oreilles les plus fines, nous sommes ici devant une performance extraordinaire. Un Wagner à la française, presque, où la limpidité de la mise en espace permet à l’auditoire de vivre très intensément l’expérience lyrique traitée comme une épure.

 

 

Bartók l’incompris

 

bartok montpellier chateau de barbe bleue wagner wesendonck lieder angela denokeLe baryton-basse allemand Jukka Rasilainen rejoins le plateau après l’entracte pour l’opéra de Bartók, jouant le rôle de Barbe-Bleue. Denoke revient sur scène en tant que Judith, femme de Barbe-Bleue. Nous sommes encore dans un espace épuré, où seulement des néons et les chanteurs sont sur scène. Le jeu des fabuleuses lumières d’Urs Schönebaum est savant et intellectuel, parfois carrément d’une frappante beauté, mais touchant aussi un certain expressionnisme kitsch. Comme la mise en scène d’ailleurs. Si au niveau vocal, la partition représente plus un défi pour la soprano, elle réussit à incarner brillamment le rôle de Judith, femme vengeresse et manipulatrice. L’expressionnisme un peu primaire et facile de ses gestes s’accorde pourtant bien à sa musique intense et riche. Le Barbe-Bleue de Rasilainen dépasse plus facilement la fosse, sa projection est plus que juste, le chant incarné, expressif. Il a tous les moyens de faire de Barbe-Bleue bien autre chose qu’une caricature. Or, comme c’est très souvent le cas (fait insupportable !), le metteur en scène souhaite un Barbe-Bleue rustique, macho brutal sans profondeur, habité par un expressionnisme que, s’il ne s’agissait pas de l’incroyable musique de Bartók, serait vulgaire. Comme tous les opéras symbolistes celui-ci, aussi, est un opéra incompris. Soit c’est une incompréhension soit un manque d’inspiration. Le Barbe-Bleue de Bartók et de Balázs est très loin de celui de Perrault. Il s’agît d’un homme solitaire et mystérieux mais complètement amoureux. séduit, envoûté. Son regard sur Judith le rend à l’humanité… Un Duc qui craint les déceptions, qu’il a tant vécu. Pourquoi doit-il violenter Judith sur scène ? Pourquoi se pourchassent-ils de droite à gauche, dans l’espace vide illuminé par des néons ? C’est l’absence de dramaturgie ou le choc … à quatre sous.

Cruel divorce entre le visuel et la musique. Car la performance purement musicale, ce soir à Montpellier est d’une richesse et d’une grandeur inattendues ! Pavel Baleff dirige l’Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon dans la meilleure des formes. Nous l’entendons comme nous ne l’avons jamais entendu ! Dans le Wagner tout est bien dosé, bien nuancé, le chromatisme enivrant des morceaux demeure interprété parfaitement. Dans Bartók se révèlent mille couleurs, si l’équilibre se perd parfois, notamment en ce qui concerne la soprano, le traitement de la partition et la performance restent incroyables. Sous la baguette de Baleff, l’orchestre montre une précision et une clarté étonnantes, mais aussi une force expressive riche en nuances, avec brillance et langueur. Irréprochable dans les cris et chuchotements, dans les mélodies et dissonances. Une révélation ! Un spectacle pas comme les autres que, malgré nos réserves, clôt la saison lyrique à Montpellier en grandeur.

 

 

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img