vendredi 19 avril 2024

COMPTE-RENDU, OPERA, création. Paris, Salle Favart, Opéra Comique, le 1er férier 2018 « Et in Arcadia… » / Léa Desandre, Les Talens Lyriques / Phia Ménard, création d’après Rameau

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Et in arcadia ego opera comique lea desandreCOMPTE-RENDU, OPERA, création. Paris, Salle Favart, Opéra Comique, le 1er férier 2018 « Et in Arcadia… » / Léa Desandre, Les Talens Lyriques / Phia Ménard, création d’après Rameau. L’Opéra-Comique confirme sa vocation à rétablir des partitions anciennes méconnues (comme c’est souvent le cas, combien d’opéras et ouvrages romantiques par exemple connaissent une heureuse résurrection grâce à la 2è scène lyrique de France ?) ; le directeur Olivier Mantei « ose » aussi, autre facette d’une direction passionnante, les prises de risques et les créations parfois aux vertiges hasardeux… C’est assurément le cas ici, où c’est Rameau que l’on détourne, pas toujours à son avantage.
Dans Et in Arcadia ego, la salle Favart poursuit une expérience inédite, celle du collage avec habillage spécifique : toutes les musiques sont tirées de JP Rameau, génie du XVIIIè baroque français, mais ici réagencées pour construire un drame propre qui croise fantasmes (organiques, visuels, philosophiques) et visions pluridisciplinaires de la plasticienne « visionnaire », – à la fois chorégraphe et performeuse-, égérie inclassable, frappée d’un nouveau kitsh postmoderniste, Phia Ménard. Reconnaissons qu’ailleurs, l’univers déjanté, « organique » de la plasticienne tout azimuts peut fabriquer du nouveau décalé, avec un regard très juste sur le corps détourné, éprouvée, et l’identité niée (en raison de sa vie personnelle),… mais ce cheminement sincère devient sur la scène lyrique, sur une musique préexistante et dans une rédaction réactualisée, « décorum » qui sonne ici « gadget » et ne rencontre jamais la musique de Rameau qui est poésie et magie pures.

 

 

Sans poésie, un Rameau kisth et abscons

 

 

DECALAGE ET CONFUSION… Sur scène, une femme âgée, mais qui a conservé son apparence juvénile (fantasme on vous a dit) erre et chante un nouveau texte sur les musiques de Rameau : Aïe ! que vaut cette prosodie XXIè sur un canevas (si précis et… génial) du dit Rameau?Avouons que le résultat est souvent terne, ennuyeux, voire …affligeant, réalisant des distorsions voire des contre sens navrants sur les mots hier sublimes de Dardanus ou de Castor et Pollux, pour ne citer que ceux là. Pourquoi défaire ce qui fut parfait ? Certes pour défendre une action nouvelle ; mais alors il faudrait écrire et rédiger dans la même veine poétique et avec la même sensibilité. C’est alors que l’on mesure combien les livrets du XVIIIè n’étaient pas aussi ridicules que cela : au moins le spectacle actuel aura permis cette réestimation.

Pour s’accorder (plus ou moins) avec le rythme de la langue ramélienne, le texte contemporain finit par agacer par ses formules absconses, d’un ésotérisme ridicule, d’une complexité finalement banale.
desandre-lea-mezzo-sublime-classiquenews-portraitHeureusement sur les planches, – mais est ce suffisant ?, la jeune mezzo française Lea Desandre, ex chanteuse chez Opera Fuoco de David Stern, puis auréolée d’une Victoire de la musique 2017 « Révélation lyrique », combine habilement qualités de danseuse et surtout présence vocale intense et expressive (son vrai métier quand même). Vite, revenons aux fondamentaux de cette voix promise à de belles réalisations sur la scène lyrique : LIRE notre critique de son récent cd BERENICE CHE FAI, ou revoyons la en Ruggiero dans Alcina de Haendel (Shanghai, 2016 / reportage vidéo « OPERA FUOCO, la compagnie lyrique de David Stern, de Paris à Shanghai, décembre 2016). L’ambition philosophique du spectacle reste à distance du spectateur dans une série de tableaux assez ambigus ou carrément … graveleux. Les puristes apprécierons ce détournement à la Koons ou mieux à la Paul McCarthy : l’air initial « Que tout gémisse » (choeur de déploration de Castor et Pollux) devient ici « que tu gémisses », d’un prosaïsme sexuel et orgasmique… facile. Et consternant. Rameau qui a dû entendre l’oeuvre depuis sa tombe aura pour le moins apprécié cette nouvelle verve verbale (ou verbeuse), lui qui a tant reproché à ses librettistes l’indignité de leurs mots. Qu’aurait-il dit devant tant de poésie rafistolée bien emblématique de notre temps ?

DEsandre-lea-opera-comique-spectacle-opera-comique-la-critique-et-in-arcadia-ego-critique-par-classiquenews-photo-portrait-2Musicalement, Les Talens Lyriques offrent un Rameau canalisé, ciselé au cordeau, d’une précision millimétrique, vraie mécanique des sentiments. On cherche souvent la pure et simple émotion qui font les spectacle les plus réussis. L’ovni théâtral et musical dont il s’agit n’en finira pas de heurter les plus coutumiers de l’oeuvre de Rameau. Pour tous ceux qui connaissent moins le monde si passionnant du Dijonais, pas sûr qu’ils aient l’envie de pousser plus loin l’écoute… C’est donc Rameau que l’on assassine par un détournement du sens parfois très maladroit et souvent malheureux, plus provocateur que réellement poétique. Or le titre même du spectacle promettait un parfum nostalgique: « Et in arcadia ego sum » (telle est la phrase complète : « Moi aussi j’ai été en Arcadie…. »). Rien de tel dans ce décalage souvent artificiel qui n’exploite pas assez, tout en le respectant pour l’avoir compris, tout le délire magicien de l’opéra baroque sublimé par Rameau. Dommage. « Et in Arcadia… », Paris, Salle Favart, Opéra Comique, le 1er férier 2018 / Léa Desandre, Les Talens Lyriques / Phia Ménard, création d’après Rameau, jusqu’au 11 février 2018.

 

 

LIRE aussi notre présentation du nouveau spectacle « Et in Arcadia ego »…
http://www.classiquenews.com/paris-reouverture-de-lopera-comique-et-in-arcadia-ego-sum/

 

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Illustrations : photos de la production Et in Arcadia ego… / © Opéra Comique 2018

 

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