vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Angers, Le Quai, mardi 16 juin 2015. Tchaikovski : Eugène Onéguine. Gelena Gaskarova (Titiana), Charles Rice (Onéguine), Suren Maksutov (Lenski), Claudia Huckle (Olga)… Orchestre national des Pays de la Loire. Chœur d’Angers Nantes Opéra. Lukasz Borowicz, direction. Alain Garichot, mise en scène.

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Compte rendu, opéra. Angers, Le Quai, mardi 16 juin 2015. Tchaikovski : Eugène Onéguine. Gelena Gaskarova (Titiana), Charles Rice (Onéguine), Suren Maksutov (Lenski), Claudia Huckle  (Olga)… Orchestre national des Pays de la Loire. Chœur d’Angers Nantes Opéra. Lukasz Borowicz, direction. Alain Garichot, mise en scène. Fin de saison pleinement réussie pour Angers Nantes Opéra en cette mi juin 2015… preuve est encore offerte sur les planches du mariage réjouissant entre théâtre et musique.

 

 

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La production de cet Eugène Oneguine n’est pas seulement cohérente sur le plan vocal mais mais elle est aussi somptueusement dirigée  (effet « dernière » probablement devant une salle du Quai  à Angers, comble et résolument enthousiaste votre trépignante pour les saluts). C’est aussi confirmant le talent reconnu et récompensé du metteur en scène Alain Garichot, un moment de théâtre épuré et clair qui s’avère en cours d’action très efficace : des scènes sans accessoires inutiles, des tableaux sobres et visuellement forts dont certaines transitions véritablement « cinématographiques » nous ont parues subtilement dosée, comme l’enchaînement de l’air de la lettre de Tatiana et celle du choeur de femmes qui suit dans la continuité est assurée / résolue par l’ample drapé blanc d’abord suspendu, puis tombant des cintres (très élégamment), qui devient ample pièce à repriser pour la foule des lavandières ou des servantes soudainement sur scène. C’est aussi la dernière scène, fastueuse et sociale, plus solennelle aussi, chez le prince et la princesse Grémine (Tatiana devenue femme de pouvoir et épouse admirable) avec en fond de scène un immense globe terrestre phosphorescent, comme une lune irradiante qui exprime le recul qui se fait vertige dans l’esprit d’Oneguine ; le séducteur célibataire, amer et désabusé avant l’âge, jette un regard amer voire panique sur une vie passée / gâchée, il n’a que 26 ans ; il prend conscience qu’il n’a jamais cessé d’aimer Tatiana, celle là-même qu’il a, quelques années auparavant, humiliée en repoussant ses avances. La dernière scène Tatiana / Oneguine est à cet égard saisissante dans sa sobriété calculée, où le duo terrassé par ce retournement, se détache parfaitement dans une chambre noire, lieu dénudé, sublimateur de leur ultime confrontation.

 

 

 

Angers Nantes Opéra reprend la mise en scène d’Alain Garichot créée en 1997 à Nancy

Théâtre de l’épure et du drame intérieur

 

Du reste, ce jeu d’acteurs, dépouillé, cite continûment par la place qu’il préserve à la vérité des gestes, des regards aussi, sous un éclairage souvent éblouissant et froid, le théâtre de Tchekov, auquel la mélancolie d’un Tchaikovski lui-même terrassé (au moment de la composition de son opéra) par une catastrophe intime, apporte un écho fraternel. De l’un à l’autre s’écoule une même sensibilité inouïe pour la vie intérieure de chaque personnage : une vision pudique et tragique qu’Alain Garichot respecte à la lettre dans une réalisation millimétrée … La tragédie amoureuse qui se noue devant nous, entre deux coeurs sacrifiés, décalés, gagne une puissance et une grandeur romantique intensifiées par l’intelligence dans le traitement des situations.

tchaikovski-eugene-oneguine-angers-nantes-opera-premiere-scene-Larina-Olga-Tatiana-Philppievna-juin-2016D’une succession de scènes parfaitement exposées,  on retient les plus réussies esthétiquement et dramatiquement : le quatuor des femmes au lever de rideau : superbe exposé des solitudes / générations juxtaposées mais néanmoins  exceptionnellement exprimée où  jaillit aussi la force tendre / amère de la nostalgie. Sur ce point les seconds rôles sont tout autant admirables de profondeur, de gravité, de sincérité  (la nourrice Philippievna : très juste Stefania Tocczyska-, la mère de Tatiana : admirable Larina de Diana Montague …), sans omettre le choeur maison qui réussit ici comme souvent un très beau travail dans l’expression de la foule si sollicitée pourtant, comme un contrepoint au drame intimiste (le premier choeur des serfs célébrant la maîtresse du domaine agricole et qui vient aussi toucher salaire;  le bal ou paraît le français vieux style de Monsieur Triquet et dont Garichot  fait avec beaucoup de justesse l’anniversaire de Tatiana. …) : ici et là le tissu humain, la résonance émotionnelle de chaque situation est parfaitement restituée. On y retrouve à la fois épuré et très expressif le dévoilement des passions les plus intimes soudainement affleurantes comme les signes d’un cataclysme intérieure qui transfigurent les êtres. Une même approche avait déjà frappé les spectateurs de Titus et Bérénice de Magnard, présenté à l’Opéra de Tours la saison dernière, production événement récompensée par le Prix du syndicat de la critique 2014, et surtout sujet d’un reportage vidéo complet par les équipes de CLASSIQUENEWS.COM.

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Dans ce théâtre opéra, le jeu tout en pudeur et en intériorité féline de la soprano russe Gelena Gaskarova fait merveille ; on peut regretter ici et là certains aigus tenus sans être projetés comme a su le faire une Freni en son temps, métal incandescent qui s’embrasait au moment du duo final, mais l’intensité du style, le souci du texte (qui rétablit évidemment le théâtre), la sincérité pleine et continue du personnage éblouissent littéralement, rendant ce portrait de femme, adolescente romantique… devenue femme de loyauté malgré sa passion ancienne, totalement convaincante. Hélas, l’Onéguine de Charles Rice nous paraît moins abouti, moins subtilement poli ; le baryton franco-britannique n’est réellement juste et naturel … qu’à la fin de la soirée, en cynique terrassé par l’amour et pourtant d’une impuissance bouleversante. A leurs côtés, tout en nuances et précision, le ténor Suren Maksutov imprime au caractère généreux mais trahi de Lenski, une force tendre non moins troublante ; enfin renforçant davantage l’attrait du quatuor vocal, l’Olga de la britannique Claudia Huckle enchante par la caresse de son timbre grave somptueux, superbe incarnation de la soeur de Tatiana, elle aussi frappée par le destin. Créée à Nancy en avril 1997, la production conserve toujours sa force allusive, sa vérité épurée. Une relecture théâtralement ciselée d’autant mieux servie ce soir par une distribution particulièrement convaincante et un orchestre capable sous la direction de Lukasz Borowicz, de finesse sans pathos.

 

 

angers nantes operaAinsi s’achève superbement, la saison lyrique d’Angers Nantes Opéra 2014-2015. La prochaine saison promet d’être riche voire tout autant saisissante, accordant comme rarement ailleurs, théâtre et musique. C’est aussi une nouvelle programmation particulièrement engagée, fidèle au souci moral et humaniste défendu depuis ses débuts dans la place par le directeur des lieux, Jean-Paul Davois. Découvrez la nouvelle saison lyrique 2015-2016 d’Angers Nantes Opéra. VOIR notre dernier reportage vidéo ANGERS NANTES OPERA dédié à la sensibilisation à l’opéra des collégiens et lycéens, autour de La Ville Morte de Korngold (mars 2015).

 

 

 

D’autres reportages opéra dédiés à ANGERS NANTES OPERA ? Les voici :

La Ville Morte de Korngold, mise en scène par Philippe Himmelmann

Pelléas et Mélisande, mise en scène d’Emmanuelle Bastet

Prochain spectacle présenté par ANGERS NANTES OPERA à partir de la rentrée 2015 : L’Heure espagnole de Ravel, à partir du 9 septembre 2015 au Théâtre Graslin de Nantes. 

Compte rendu, opéra. Angers, Le Quai, mardi 16 juin 2015. Tchaikovski : Eugène Onéguine. Gelena Gaskarova (Titiana), Charles Rice (Onéguine), Suren Maksutov (Lenski), Claudia Huckle  (Olga)… Orchestre national des Pays de la Loire. Chœur d’Angers Nantes Opéra. Lukasz Borowicz, direction. Alain Garichot, mise en scène.

 

 

Illustrations : © Jeff Rabillon 2015 / Angers Nantes Opéra, juin 2015 :
– Onéguine et Tatiana dans le duo final,
– la première scène (quatuor vocal féminin)
– Tatiana écrivant sa déclaration à Onéguine

 

 

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