jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, opéra. Angers, Grand Théâtre, le 7 avril 2017. MOZART : LES NOCES DE FIGARO. Guillemette, Schuen… Caurier & Leiser

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figaro-noces-angers-nantes-opera-caurier-leiser-critique-classiquenews-avril-2017Compte-rendu, opéra. Angers, Grand Théâtre, le 7 avril 2017. MOZART : LES NOCES DE FIGARO. Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène. Voilà une vision de la nature humaine plutôt mordante, brûlée qui tout en rétablissant le jeu théâtral dans la continuité de la musique souligne combien l’invention de Mozart sait exprimer la vérité des sentiments et au-delà même, dévoile le propre de la nature humaine : son déraisonnable attachement au désir, sa maladive posture de séduction, sa propension naturelle, instinctive à la possession et à la domination. Et quand Eros possède les êtres avec autant de force, c’est toute la société qui se désagrège (tableau final où chacun semble errer, plus déconstruit encore qu’il n’était en début de soirée), libérant une violence sociale particulièrement terrifiante ici : est-ce pour cela que le décor lambrissé du palais où se passe cette « Folle journée », est envahi par une forêt de végétaux de plus en plus envahissants ? La forêt bientôt s’inscrit avec véhémence dans cet espace déréglé : annonce du jardin final où les masques tombent au IV, et aussi indice que les esprits pourtant civilisés s’écroulent un à un, basculent dans cet état de nature, cette sauvagerie peu à peu manifeste, où le désir et le sexe rendent esclaves.

 

 

 

Après leur Don Giovanni, précédent mozartien pour Angers Nantes Opéra, Patrice Caurier et Moshe Leiser analysent au scapel Les Noces, soulignant chez chaque protagoniste combien l’âpre et irrépressible désir est l’agent du dérèglement social…

OPÉRA DE FOLIE

 

 

 

figaro-noces-mozart-angers-nantes-opera-susanna-figaro-critique-classiquenews-avril-2017-caurier-leiserOn ne s’étonne plus de voir sur la scène lyrique un comte Almaviva sérieusement entamé par la cabriole au point d’en être sérieusement dépendant : l’abolition du droit de cuissage occupe une bonne partie des dialogues de l’opéra, mais dans les faits rien n’est concrètement changé et le comte peut exercer un droit de viol sur chaque élément féminin de sa maisonnée (Barbarina, Susanna…). Or la mise en scène va plus loin encore en osant égratigner aussi la figure même de la comtesse que les lectures traditionnelles font paraître plutôt en victime, épouse délaissée par son trop volage mari, – démunie, nostalgique, frustrée. Voire dépressive (son air Porgi amor ouvrant le II)… RIEN DE TEL ICI. Rosina a conservé un tempérament de feu qui s’éveille goulument, en vraie cougar imprévue, à chaque fois qu’elle est en présence du jeune page de la maison, Cherubino… voilà qui casse bien des habitudes à l’opéra s’agissant des Noces.

En rien décorative, n’empruntant finalement aucune référence visuelle à ce XVIIIè emperruqué et viennois de l’époque Mozartienne, mais au contraire réaliste et moderne, essentiellement théâtrale, l’approche de Patrice Caurier et Moshe Leiser trouve des idées souvent très convaincantes assurant le passage d’une scène à l’autre, d’un récitatif à une aria… en une continuité dramatique idéalement fluide ; leur réflexion poursuit un travail psychologique affûté, parfois glaçant … par ce qu’il révèle de facto de la nature humaine et des passions affrontées,- nouvelle étape d’une complicité désormais emblématique qu’a su favoriser et cultiver le directeur général d’Angers Nantes Opéra, Jean-Paul Davois. Les spectateurs à Nantes et à Angers peuvent être fiers ainsi de suivre l’un des cycles mozartiens les plus passionnants vus récemment.

 

VIOLENCE DES SOLITAIRES. Comme dans sa mise en scène précédemment réalisée pour Angers Nantes Opéra (Don Giovanni, il y a un an déjà : LIRE notre compte rendu critique de mars 2016), le duo Caurier et Leiser creuse la profonde solitude des êtres, met à jour leur impuissance solitaire qui produit une violence rarement exprimée avec autant d’acuité acide. Ici emblème d’un théâtre électrique et violent (déjà observé dans leur Tosca comme dans leur Don Giovanni), une lumière blanche, d’interrogatoire quasiment dans tous les airs solistes, qui éblouit et souligne l’intensité et la blessure des solos, scrutant comme un éclair radiographique puis dans le cliché qu’il produit, la barbare exaspération de l’âme en souffrance. Où a t-on vu un couple d’aristos aussi dévoré par une jalouse haine, l’un à l’autre opposé ? Lui s’exaspère, tempête et brutalise, – il est autant volage que furieusement jaloux de sa femme ; hanté par le doute et le poison du soupçon, ce séducteur fragile trépigne de ne pas être aimé pour lui-même, sautant sur toutes les proies soumises qu’il flatte et séduit comme un chaton égaré ; la charge contre ce despote domestique est violente : sur les traces de Beaumarchais, le duo Da Ponte et Mozart ne l’a pas épargné. Et le tableau de séducteurs et de séductrices (car la comtesse toute délaissée par son mari n’est donc pas en reste, comme on l’a dit…) offre un portrait particulièrement incisif de la nature humaine, de ce que peut être la déroute des relations conjugales et des relations tout court quand règnent déloyauté, manipulations, quiproquos, infidélités.

Et c’est justement Chérubin, âme encore tendre qui fait les frais de ces écarts tempétueux propres à la Folle journée. Sadiquement fessé par le comte au I ; objet de toutes les caresses et baisers les plus chauds dans les bras de la comtesse cougar quelques minutes plus tard (II), le page en aurait à raconter dans cette école de la folie ordinaire, dans ce tunnel du dérèglement des sens.

 

EXPÉRIENCE DE LUCIDITÉ. Chacun croit exister et aimer mais ils possèdent et accumulent dans un rapport de conquête et de domination illusoire. Voilà ce que tend à nous dire la mise en scène particulièrement fouillée, et de ce point de vue tout à fait cohérente avec ce que l’on a déjà vu du duo Caurier / Leiser (en particulier pour Angers Nantes Opéra : aux Tosca et Don Giovanni déjà cités, saluons aussi la réussite de L’Affaire Makropoulos et de Falstaff). Ce réalisme sans fard, vraie expérience de lucidité demeure réjouissant quand il est à ce point réussi et juste. Car c’est bien l’éloquente musique de Mozart qui en sort gagnante, en particulier dans la continuité des finales de chaque acte, – performances inouïes sur le plan de l’écriture vocale, expression directe et combien inspirée qui révèle la sincérité des êtres, à la fois victimes et bourreaux (le Comte particulièrement). D’ailleurs les ensembles, si délicat à régler sont abordés avec une justesse impeccable (cf. le trio dans les appartements de la Comtesse : Comte / Comtesse / Susanna).

 

 

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La palme de ce portrait du mal-être se concentre sur le comte, figure déjantée, viscéralement déstructurée, en migraine au début du III : l’air pour baryton « Hai già vinta la causa… » dépeint la violence et l’impuissance du petit tyran Almaviva, dévoré de l’intérieur, un despote de pacotille dont la psyché s’effondre : là encore dans un jeu d’acteur âpre et taillé au scalpel, le formidable baryton Andrè Schuen rayonne, éblouit par une rageuse désespérance (articulation, phrasé, élégance totalement maîtrisée…) une présence et une finesse comme une franchise expressive que l’on avait pas écoutée ni suivie depuis longtemps. Autre accomplissement entre chant naturel et jeu d’actrice, la pétillante et profonde Susanna d’Hélène Guilmette qui possède le caractère du personnage. Le Figaro du baryton-basse hongrois Peter Kàlmàn affirme à l’inverse une rusticité de jeu parfois rustre, mais l’interprète habitué aux rôles bouffons, réussit scéniquement dans toutes les séquences comiques ou interactives… quand il prend à témoin l’audience, confrontée à ce qu’il croit être une nouvelle espièglerie de sa future épouse, fustigeant la perfidie des femmes (« Aprite un po’ quegl’occhi… », au IV).
Tous les autres personnages sont honnêtement incarnés ; évidemment on nous reprochera notre dureté critique en regrettant que le soprano de Nicole Cabell, – certes doué de velours et d’onctuosité, affirme un organe plus verdien que mozartien – l’élégance et la subtilité d’intonation de la Comtesse s’en trouvent parfois dénaturées).

Dans la fosse, le chef Mark Shanahan, opte parfois pour des tempi étirés, ralentis assez déroutants (le premier air de Cherubino, celui de la Comtesse…), mais saluons l’intensité et le continuum, la motricité ardente de ses ensembles, dirigés avec l’énergie et le sens du détail requis. Vite, à l’année prochaine, pour découvrir la nouvelle production du duo Caurier / Leiser, d’autant qu’il s’agira de l’ultime saison de Jean-Paul Davois. Si les spéculations diverses n’annoncent pas un autre Mozart, les spectateurs d’Angers Nantes Opéra ne perdront rien au change : il n’existe nul par ailleurs en France, un tel travail entre chant et théâtre. Ce Mozart cru, toujours époustouflant par sa vérité scénique, sa pétillance musicale fonctionne à merveille. Encore une seule et dernière date pour applaudir cette production prenante : demain, dimanche 9 avril 2017, au Grand Théâtre d’Angers, à 14h30. Illustrations : © Les Noces de Figaro, Angers Nantes Opéra / Jef Rabillon.

 

 

 

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Compte rendu, opéra. Angers, Grand Théâtre, le 7 avril 2017. Mozart : Les Noces de Figaro. Andrè Schuen, Nicole Cabell, Peter Kàlmàn, Hélène Guilmette… Choeur d’Angers Nantes Opéra. Xavier Ribes, chef des choeurs. Orchestre National des Pays de la Loire, Mark Shanahan, direction. Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène.

 

 

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