vendredi 19 avril 2024

Compte-rendu : Nantes. Théâtre Graslin, le 2 juin 2013. Verdi : La Traviata, 1853. Mirella Bunoaica, Tassis Christoyannis … Roberto Rizzi Brignoli, direction. Emmanuelle Bastet, mise en scène.

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La traviata emmanuelle bastet nantesNouvelle Traviata, raffinée, féminine et fragile pour le bicentenaire Verdi. Prochaines représentations les 5  (Nantes) puis 16 et 18 juin 2013 (Angers). Lolita en tutu rose fuchsia (ou plutôt rose camélia, fleur omniprésente dans cette nouvelle production) et chaussures à hauts talons vernis et lacets (la chaussure et ce fétichisme ostentatoire dont elle est l’objet, sont eux aussi très présents), la Violetta imaginée par Emmanuelle Bastet tient de la poupée manipulée, autant idolâtrée que maltraitée. C’est un objet sexuel ritualisé dans une société inhumaine qui peu à peu (ouverture et dépouillement progressif du décor, au cours des actes I, II et III) réussit un chemin initiatique au terme duquel la courtisane retrouve sa dignité d’être humain : l’amour d’Alfredo qui la désire pour ce qu’elle est et non ce qu’elle fait, lui restitue cette vérité et cette essence qui au début lui sont refusées. La mise en scène rend clairement ce voyage de l’artifice à la vérité : individu social instrumentalisé, Violetta devient une âme accomplie, expiatoire certes, mais par son sacrifice et son renoncement ultimes, libérée de ses chaînes et de sa souillure.

 

 

Courtisane en déclin

 

Au I, c’est d’abord la collectionneuse de chaussures (une armoire entière haute jusqu’aux cintres !) qui s’affiche sans pudeur … Comme prise au piège, asphyxiée dans un écrin fermé, ceint de murs en miroirs, la jeune femme s’enivre en s’affaissant prise de vertiges. L’ouverture l’indique clairement : La Traviata est surtout un opéra intimiste et son ouverture est davantage qu’un lever de rideau: les cordes pleurent; elles indiquent l’état d’exténuation totale d’une jeune femme usée qui va bientôt expirer. Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit bien du combat d’une femme contre la société puritaine et bourgeoise à l’époque de Verdi (soit 1853, date de la création) ; la violence s’y invite ; elle est même terrifiante car surtout psychologique ; en noir et rouge ou rose, tout le travail d’Emmanuelle Bastet renforce et suit ce périple intérieur ou ce sont la finesse et la fragilité, et finalement la résistance d’un être terrassé mais libre, qui se dévoilent devant nous.
Si les miroirs sont un poncif éculé vu et revu dans nombre de productions lyriques, les perspectives qu’ils dessinent au I, s’avèrent géniales : l’image démultipliée de l’héroïne souligne les vertiges d’une existence creuse et factice dont tous les gestes exhibés en public, singent une mécanique écœurante ; le miroir permet aussi autre chose : il offre  ensuite une scène collective (le brindisi) à la dramaturgie millimétrée : nous rappelant certaines scènes cinématographiques (les Enfants du Paradis ? …), ou les futurs amants à peine présentés, se perdent au sein de la foule des parasites jouisseurs, pour mieux  … se reconnaitre l’un à l’autre : regards croisés, instants suspendus essentiels … complicité silencieuse au sein d’un tumulte démonstratif de rires et de bluf social… La direction d’acteurs est prodigieuse; d’une intelligence saisissante : merci pour cet instant de pure finesse théâtrale qui rétablit la justesse des gestes simples mais si puissants et suggestifs… Du grand art. On croit soudainement au pur amour, à ce miracle inouï …  qui se glisse dans la vie artificielle d’une Violetta déjà condamnée.

Dans ce portrait tout en sensibilité et fragilité, la mise en scène plonge dans l’esprit de  l’héroïne, au point qu’après le sacrifice exigé par Germont père au II, la scène exprime les visions déformées d’une vie exténuante : chez Flora où Violetta objet sexuel sur son lit d’exposition dévoilée face à la foule, retrouve son ancien amant Alfredo qui l’humilie… Plus intéressantes encore, ces voix du Carnaval parisien au III sont de vrais chanteurs en fond de scène, masse indistincte qui concrétise ainsi les hallucinations d’une Violetta mourante, abandonnée, seule à Paris… Les choristes prennent ici des risques méritants pour une séquence qui se chante normalement en coulisses. Mais l’idée est géniale et se justifie pleinement dans le portrait d’une femme oppressée délirante qui revendique son droit à la liberté et l’apaisement … En énumérant avec ô combien de finesse, l’espace mental de l’héroïne, – ses vertiges, ses espoirs, ses  vaines espérances-,  la mise en scène touche au plus juste, la vérité d’un être multiple : un portrait de femme admirablement brossé dont seule la Lulu de Berg, au regard de sa complexité, serait l’héritière plus tardive.

Saisissante Violetta

Cette Violetta étonne a contrario de son image érotisée, par sa … sincérité humaine. Une justesse souvent déchirante qui par un jeu économe dévoile les failles, les doutes, les blessures d’une femme-enfant réellement poignante. C’est peu dire que la jeune soprano roumaine, Mirella Bunoaica, donne corps et âme au personnage : elle est Violetta, âme ardente, corps déchiré, accablé … jusqu’à sa libération finale ; et sa jeunesse, outre la couleur délectable du timbre, la facilité des aigus toujours magnifiquement couverts et ronds, souligne idéalement la fragilité incandescente de l’héroïne. Quelle révélation ! Elle chante déjà Gilda et Mimi, mais sa Violetta nous touche infiniment ; au contraire de ses consoeurs qui ont parfois attendu toute une carrière pour aborder le rôle, au risque de paraître trop âgées, Mirella Bunoaica saisit par sa pureté dramatique, son innocence naturelle : une rencontre captivante entre un rôle et une interprète qui demain chantera La Sonnambula à l’Opéra de Stuttgart.

A ses côtés, on reste moins convaincus par la santé vocale toujours rien que musclée et tendue, toute en muscles et ressorts de l’indiscutable Edgaras Montvidas : le ténor lituanien montre ses capacités bien chantantes mais le style fait défaut : son Verdi ne sonne jamais intimiste ni intérieur ; manque de nuances, projection systématique et intensité jamais mesurée, le personnage perd de cette vérité émotionnelle, de cette blessure si délectable chez sa partenaire. Pour nous, il n’est pas au même diapason émotionnel que celui de sa partenaire …

Par contre, Tassis Christoyannis incarne un Germont d’une subtilité humaine aussi troublante que Violetta : on a rarement vu et écouté la fragilité et la souffrance du père avec autant de finesse ; s’il est capable au nom de la morale bourgeoise d’exiger de Violetta, l’inacceptable, l’homme se révèle aussi dans le déchirement que lui a causé le départ du fils (hors de sa famille, aux côtés de la jeune courtisane …) ; dans cette compassion nouvelle qui le rend si proche de la Violetta détruite au II ; c’est à la fois un bourreau moralisateur et un père aimant ; deux visages a priori antinomiques, pourtant bien présents dans la partition et que réalise avec un style irréprochable le très subtil baryton né à Athènes. Comme c’est le cas de sa jeune consœur, Tassis Christoyannis captive par ses dons d’acteur comme ses phrasés mielés d’une suavité irrésistible. La performance est d’autant plus remarquable qu’elle rétablit une facette essentielle chez Verdi, la relation du père à sa fille : certes Violetta n’est pas sa fille mais il joue symboliquement ce rôle en particulier chez Flora où il défend la jeune femme des accusations proférées par Alfredo ; puis au chevet de la mourante au III, réalisant sa promesse … Si ce thème éclaire les opéras Rigoletto, Simon Boccanegra et avant, Stiffelio (le rôle de Stankar les anticipe tous), un tel lien se noue aussi dans La Traviata et la mise en scène d’Emmanuelle Bastet a l’immense mérite d’éblouir aussi sur ce point crucial de l’oeuvre. A l’inverse combien de Germont statufiés et raides, souvent caricaturaux dans leur dignité bourgeoise, avons-nous pu voir jusque là …
Restent les chœurs vaillants et présents (parfaits dans l’intervention des masques du Carnaval parisien au III, exposés comme nous l’avons dit hors de la coulisse, en fond de scène), l’orchestre de plus en plus cohérent et juste en cours de représentation, sous la direction vive de Roberto Rizzi Brignoli. Pour son bicentenaire 2013, Verdi ne pouvait espérer meilleure dramaturgie ni réalisation visuelle plus fine et intelligente. La preuve est faite à nouveau qu’Angers Nantes Opéra, grâce à l’exigence artistique de Jean-Paul Davois, son directeur général, réussit en combinaison parfaite, l’union de la musique et du théâtre. Après Son Orphée et Eurydice de Gluck,  présenté également à Nantes et à Angers, Emmanuelle Bastet, ex assistante de Robert Carsen, démontre sa très subtile inspiration. A voir absolument … à l’affiche le 5 juin (dernière représentation à Nantes, Théâtre Graslin) puis les 16 et 18 juin 2013 sur la vaste scène du Quai à Angers.


Nantes. Théâtre Graslin, le 2 juin 2013. Verdi : La Traviata,
1853. Mirella Bunoaica, Violetta Valéry. Edgaras Montvidas, Alfredo. Tassis Christoyannis, Germont père … Choeurs d’Angers Nantes Opéra (Sandrine Abello, direction). Orchestre national des Pays de La Loire. Roberto Rizzi Brignoli, direction. Emmanuelle Bastet, mise en scène.

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