vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, danse. Paris. Opéra Bastille, le 10 mai 2014. Le Palais de Cristal, Daphnis et Chloé (première mondiale). Georges Balanchine, Benjamin Millepied, chorégraphes. Marie-Agnès Gillot, Karl Paquette, Aurélie Dupont, Hervé Moreau, François Alu, Ballet de l’Opéra. Choeur et Orchestre de l’Opéra National de Paris. Philippe Jordan, direction musicale.

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millepied benjamin opera paris danse cocteau balanchine daphnis chloeNouvelle production et première mondiale très attendues ce soir à l’Opéra Bastille ! D’abord le Palais de Cristal de Balanchine, crée en 1947 pour la compagnie parisienne et rhabillé aujourd’hui par Christian Lacroix dans une nouvelle production. Ensuite une nouvelle chorégraphie du ballet de Ravel, Daphnis et Chloé par le chorégraphe français Benjamin Millepied, prochain directeur de la Danse. Une salle remplie de balletomanes à la fois crispés et pleins d’espoir, avec des attentes au bout des nerfs, pour la reprise comme pour la création… Un défi et un pari, -malgré les réserves, gagnés !

Les couleurs fantastiques d’un néoclassicisme glorieux

Les adeptes du New York City Ballet seront très surpris de voir leur si cher ballet Symphony in C revenir à ses origines parisiennes. Si le noir et blanc simple et efficace des costumes cède aux vives couleurs de Lacroix dans Le Palais de Cristal (titre originel), les différences les plus pertinentes sont dans la danse, Balanchine ayant remanié et renommé son ballet pour New York. La musique du ballet et celle de la Symphonie en Ut de Bizet, seule du compositeur (et l’une des rares en France au XIXe siècle), est en 4 mouvements ; chacun inspire fantastiquement 4 tableaux chorégraphiques distincts. La danse ici paraît suivre l’aspect formel de la symphonie, avec une exposition, un développement, une récapitulation chaque fois mise en mouvements par un couple de solistes, plusieurs semi-solistes et des danseurs du corps de ballet. Le premier tableaux fait paraître la nouvelle Etoile Amandine Albisson avec Mathieu Ganio. Leur prestance est indéniable et ils sont si beaux sur le plateau (comme un Audric Bezard ou un Vincent Chaillet semi-solistes d’ailleurs)… La danseuse assure de belles pointes (quoi qu’une modeste extension), lui a le charme princier qui lui est propre. Une sagesse immaculée qui pourtant impressionne peu. Ce n’est qu’au 2e mouvement avec Marie-Agnès Gillot et Karl Paquette, tout à fait spectaculaires, que nous ressentons le frisson. Lui, -toujours si bon et solide partenaire, n’est jamais dépourvu de virtuosité dans ses tours et ses sauts, et elle, que nous aimons tant, une … révélation ! L’extension insolite, une expressivité romantique, ses jambes enchanteresses, tout comme la fluidité de leurs échanges sur le plateau ont fait de ce couple le plus beau, les plus équilibré et réussi du ballet. Si nous remarquons le Corps davantage présent et excité au 3ème mouvement, le couple formé par Ludmila Pagliero, Etoile d’une belle et impressionnante technique normalement, et Emmanuel Thibault, Premier Danseur, est sans doute le moins convaincant. Moins naturels et comme dissociés, ils semblent déployer leurs dons séparément, … qu’ensemble, il n’y a que désaccord. Un évident et inconfortable désaccord. Ce malheur s’oublie vite au 4ème mouvement grâce aux sauts virtuoses, la beauté plastique et l’élégance pleine de fraîcheur de Pierre-Arthur Raveau, Premier Danseur, tout à fait à l’aise avec sa partenaire Nolwenn Daniel, d’une grande précision.

Talents concertés

Alu_francois-premier danseurAprès l’entracte vient le moment le plus attendu. Daphnis et Chloè. L’une des meilleures partitions du XXème siècle, avec un choeur sans paroles et un orchestre « impressionniste » géant. D’une richesse musicale pourtant très difficile à chorégraphier, l’ouvrage est tellement difficile qu’on a presque oublié l’existence de la version (originelle) de Fokine ou encore celle (réussie à une époque) de Frederick Ashton. Benjamin Millepied s’attaque au challenge avec de fortes convictions : le futur directeur de la Danse de l’Opéra en fait un ballet néo-classique plein de beauté et d’intérêt, à la fois pluristylistique et fortement personnel. L’équipe artistique comprend l’artiste Daniel Buren pour la scénographie et Holly Hynes et Madjid Hakimi pour les costumes et lumières respectivement. Ils ont décidés d’éviter tout naturalisme et se sont inspirés, avant tout, de l’universalité abstraite du mythe grec si brillamment mise en musique par Ravel. Un spectacle qui ravit et stimule les sens, tous, et ce même avant l’arrivée des danseurs sur l’immense plateau de l’Opéra Bastille. D’abord, le Corps de ballet à une présence importante et Millepied l’utilise intelligemment ; nous sommes d’ailleurs contents de voir des danseurs qu’on voit très peu sur le plateau. Les tableaux collectifs sont particulièrement réussis en l’occurrence. Mais parlons aussi d’inspiration avant de parler des solistes. Pendant la performance, nous avons parfois des flashbacks de Robbins, par la musicalité de quelques pas de deux, mais aussi d’Isadora Duncan, par l’abandon dans quelques mouvements… Mais peut-être aussi un peu de Nijinsky à l’intérieur ? (par une certaine bidimensionalité parfois évoquée). C’est peut-être l’effet hypnotique des formes et des couleurs de la scénographie de Buren. Dans tous les cas, les solistes et le Corps affirment un entrain particulier, une fluidité étonnante, une sensation de complicité et de bonheur rare en ces temps. Aurélie Dupont en Chloé n’est pas une petite fille ingénue, mais elle est une grande danseuse, maestosa dans sa danse jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans les bras d’Hervé Moreau en Daphnis. Lui est au sommet de ses aptitudes : beauté des lignes, des sauts, une musicalité palpitante à laquelle nous ne pouvons pas rester insensibles. Eleonora Abbagnato dans le rôle méchant de Lycénion est, elle, au sommet de la séduction, avec le legato si sensuel qui lui est propre. Son partenaire dans le crime, Dorcon, est interprété par Alessio Carbone, bon danseur, mais à l’occasion éclipsé par les prestations des autres. François Alu en Bryaxis (photo ci dessus) est, lui aussi, au sommet de la virtuosité, avec des enchaînements de pas d’une difficulté redoutable et une présence qui est à la fois sincère, voire décontractée, complètement électrisante.

Remarquons également la direction élégante comme toujours de Philippe Jordan à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris. Ses musiciens semblent aussi en symbiose avec la danse, et ce même pendant le monument instrumental qu’est Daphnis et Chloè. Ce soir les talents si bien concertés ont pour but ultime d’honorer l’art chorégraphique. Pari gagné pour l’équipe artistique, tout à fait à la hauteur de la maison. A voir et revoir sans modération à l’Opéra Bastille, les 14, 15, 18, 21, 25, 26, 28, 29 et 31 mai ainsi que les 3, 4, 6 et 8 juin 2014.

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