jeudi 28 mars 2024

COMPTE-RENDU CRITIQUE RÉCITAL Denis MATSUEV, piano, THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES, Paris, 27 septembre 2019. Beethoven, Rachmaninov, Tchaïkovski, Liszt.

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COMPTE-RENDU critique, piano. PARIS, TCE, le 27 septembre 2019. RÉCITAL Denis MATSUEV, piano. Beethoven, Rachmaninov, Tchaïkovski, Liszt. Il y a les pianistes russes, et il y a les autres. C’est une idée qui persiste encore dans les esprits des mélomanes. Et pour qu’elle persiste il faut qu’elle soit incarnée. Qui mieux que Denis Matsuev aujourd’hui peut représenter, dans sa génération, la grande tradition du piano russe, dont l’image, non parfois sans clichés, s’est cristallisée en une poignée de décennies? Denis Matsuev, grand vainqueur du 11ème concours Tchaïkovski en 1988, président du jury piano du tout dernier concours, qui attribua la distinction suprême à Alexandre Kantorow, donnait un récital au Théâtre des Champs Élysées le 27 septembre dernier, devant un public manifestement tout acquis à sa condition et à son talent.

 

 

 

LE PIANO GÉNÉREUX DE DENIS MATSUEV

 

 

 

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Il arrive sur scène d’un pas rapide qui démontre une grande assurance, et ni une ni deux plante le décor de l’Appassionata. La sonate n°23 opus 57 de Beethoven sera suivie de sa 32ème opus 111, puis en seconde partie, de la Sonate en si mineur de Liszt après un intermède russe. Les premières mesures nous disent déjà qu’il va jouer « monumental ». Certes il a du son, c’est le moins qu’on puisse dire, mais ériger un monument musical (ici trois) ne consiste pas en réalité à saturer les tympans, à pousser le moteur du piano à plusieurs milliers de tours/minute, et c’est ce qu’il va nous démontrer. Matsuev prend la mesure acoustique de la salle, et projette un jeu contrasté et orchestral, symphonique même. L’accentuation de l’Appassionata est grossie, le premier mouvement est torrentiel, dans une vision maîtrisée et construite; l’articulation qui pourrait être sous d’autres doigts complètement engloutie, est présente, même sous les grands coups de pédale. Matsuev est démonstratif à tous les niveaux, la plupart du temps dans le bon sens du terme: il est dans l’énergie beethovenienne, incontestablement, ses accès, et ses excès, mais aussi dans sa délicatesse. Son toucher sait se faire impalpable et miraculeusement scintillant, comme dans ce passage un peu avant la coda piu allegro du premier mouvement. Il accroche des timbres sublimes au second, andante con moto, chanté dans des nuances decrescendo vers un « dolce » à faire fondre le marbre, qui conduit à la déferlante du dernier mouvement. L’ouverture qui caractérise le premier mouvement Maestoso de l’opus 111 est avec lui massive et compacte. Le battement grave et sombre s’ébranle progressivement jusqu’à l’allegro con brio d’une grande autorité à l’architecture solidement édifiée, fondée sur des basses lourdes et puissantes. Son jeu est ancré, tellurique, les registres caractérisés à l’extrême. Doit-on dire qu’il sur-joue, tant sa volonté d’appuyer les contrastes se fait sentir à tous moments? C’est ce que donne à penser l’Arietta, qu’il étire un peu trop, retardant l’arrivée de certaines notes, dans une expression affectée, lui ôtant le dépouillement, le « molto semplice » voulu par le compositeur. Mais les variations qui suivent feront oublier cette afféterie. La jubilation rythmique de la troisième puis les impalpables triples croches de la quatrième captivent. À écouter de près et de l’intérieur ces petites notes suspendues au firmament du clavier, elles n’apparaissent pas égales, éthérées et hors du temps, mais évoluent dans un doux et sensible phrasé, comme une promenade dans la voie lactée où chaque étoile a sa propre brillance. Les longs trilles qui se multiplient ensuite sont d’une splendide égalité et continuité, et la magie opère. Matsuev ne porte pas forcément cette œuvre dans ce qu’elle aurait de purement métaphysique, élevé spirituellement, mais nous en livre un contenu humain sublimé dans le spectacle de ses sons.
Vient après l’entracte l’intermède russe. Là Matsuev est chez lui. Ces deux Études-tableaux de Rachmaninov, (opus 39, n°2 et 6), sont des paysages: paysages intérieurs, comme habités du souvenir de lointaines images. L’un apaisé mais mélancolique, l’autre fantasmagorique et aux accès de violence. Pas d’intériorité repliée dans la Méditation opus 72 n°5 de Tchaikovski: Matsuev la chante à pleines mains, dans un son très projeté, au point qu’il semble avoir convoqué un chœur au complet. Son jeu est chaleureux et gorgé de bons sentiments. Il ne joue pas à part lui, mais avec conviction et pour son public qui accueille cette offrande à cœur ouvert.
Dernier monument de la soirée, la Sonate en si mineur de Liszt l’est indéniablement entre les mains de Matsuev. Le pianiste, à l’instar du compositeur, ne retient rien d’une générosité de jeu qui, fort de ses moyens phénoménaux, transforme le piano en orchestre symphonique. La construction impeccable ne souffre pas, bien au contraire, d’un lyrisme poussé et passionné. Ses épisodes apaisés, suspendus, sont d’une très belle esthétique sonore et expressive, et séduisent. On ne s’ennuie pas une seconde et cette œuvre mythique – tentation de bien des pianistes qui veulent s’en démontrer, plonger dès l’orée de leur carrière dans ses profondeurs, mais se noient pour bon nombre dans son fleuve – à ce point dominée, rondement menée, prend une dimension qui subjugue. Matsuev extirpe du ventre du piano des ressources insoupçonnées, tant dans la taille du son, que dans sa texture et sa couleur. Alors oui, c’est spectaculairement époustouflant, plein d’effets et pas si mystique que ça, mais quel transport! Quelle énergie communicative! Pas un instant la Sonate ne tombe à plat. Le public qui s’exclame et applaudit à tout rompre, est galvanisé par une telle interprétation, et il y a de quoi! Si Matsuev s’inscrit dans la lignée d’une tradition légendaire, il n’en demeure ainsi pas moins un musicien d’aujourd’hui, un artiste accompli qui voit les choses en grand et qui n’a de goût ni pour l’eau tiède, ni pour les dés à coudre. Crédit photo: © Pavel Antonov

 

 

 

 

 

 

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COMPTE-RENDU CRITIQUE , PARIS, TCE, le 27 septembre 2019. RÉCITAL Denis MATSUEV, piano. Beethoven, Rachmaninov, Tchaïkovski, Liszt. 

 

 

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