jeudi 28 mars 2024

Compte rendu critique, oratorio. TOURCOING, le 26 novembre 2017. Théodore DUBOIS : Le Paradis Perdu (recréation 2017). Atelier lyrique de Tourcoing. Jean-Claude Malgoire

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TOURCOING : Jean-Claude Malgoire recrée l'oratorio Le PARADIS PERDU de DUBOISCompte rendu critique, oratorio. TOURCOING, le 26 novembre 2017. Théodore DUBOIS : Le Paradis Perdu (recréation 2017). Atelier lyrique de Tourcoing. Jean-Claude Malgoire, direction. Création de la version pour orchestre. Si Dieu mit quelques jours pour venir à bout de sa Création, la partition sur le même thème de Théodore Dubois a mis davantage de temps pour émerger de la nuit de l’oubli ; mieux, la genèse de la création dans sa version pour orchestre relève d’un roman à rebondissements. Songez qu’en 2012, lorsque l’on pensait tout savoir de la partition, alors que la version pour orchestre semblait avoir disparu, une première réalisation fut alors pilotée dans une version « allégée » : volet d’un festival Théodore Dubois orchestré depuis Venise. Mais déjà, la BNF possédait la version complète pour orchestre… sans le savoir. Car c’est grâce aux descendants actuels du compositeur que fut retrouvée la preuve qu’il existait bien la partition complète pour solistes, choeur et orchestre … en France, et de surcroît… à la BN. Voilà qui en dit long sur les trésors cachés dans les collections nationales, ignorés de l’Administration elle-même : car c’est bien ici une initiative extérieure qui démontre l’existence d’un manuscrit pourtant recherché depuis des années. Le Festival canadien Classica en juin dernier a donné déjà sous la direction du fondateur de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, une première approche orchestrale mais pas aussi complète que celle qui nous occupe ce soir. En terme d’événement lyrique, au rayon prometteur du romantisme français, il s’agit bien d’une recréation lyrique d’envergure. Nouveau jalon pour une meilleure estimation de l’art si controversé de Théodore Dubois.

 

 

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Saluons ainsi l’intelligence astucieusement orchestrée entre Jean-Claude Malgoire et les descendants de Théodore, mais aussi le baryton Marc Boucher, directeur du Festival CLASSICA de Montreal (Canada), – interprète ce soir du personnage si captivant de Satan : tous nous offrent à Tourcoing la création de l’oratorio de Dubois, créé certes en 1878, mais élaboré depuis bien avant, … dès 1874. Le compositeur profitant d’un Concours de la Ville de Paris, pour proposer l’une de ses œuvres les plus abouties, offrant ce que tout le monde attendait, espérait : un bain orchestral riche en références et trouvailles, capables de spatialisation étonnante, agençant les choeurs avec l’aplomb d’un véritable dramaturge. En bien des séquences, l’ouvrage et ses 4 parties nettement identifiées, s’apparente à un opéra sacré où perce le génie du mélodiste, la sensibilité de l’orchestrateur, surtout l’efficacité dramatique et la grande franchise de l’architecte. Or on connaissait surtout le chambriste (dont l’excellent et sublime Quintette pour piano demeure la plus grande révélation récente du romantisme français).
Jean-Claude Malgoire jamais en reste d’une exhumation heureuse, dévoile avec quelle finesse Dubois sait citer l’orchestre de Berlioz (celui de la Symphonie Fantastique précisément), tout en se souvenant pour le début du drame – grave, mystérieux, profond, de la Création du monde, version Haydn dans son oratorio éponyme de 1801. Quand l’Académique et professoral Dubois compose un drame biblique, convoquant les héros de la Genèse et donc du Paradis perdu, le théoricien adoucit et enrichit tout ce que sa culture pourrait produire de sec et de démonstratif : il en résulte des tableaux à la fois construits (au métier sûr), finement caractérisés (la cohorte des anges rebelles : « laissez passer Satan »), et une tentation emblématique pour la volupté suspendue, un sentiment d’extase et de plénitude qui, pour nous, inspire à l’auteur ses meilleures pages : béatitude cotoneuse et ouatée au tout début du drame après la Création du monde, dans le premier chœur des anges bienheureux (féminin).

 

 

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UN VERITABLE OPERA SACRÉ ET NOIR… Ce qui frappe et saisit ici demeure la figure de Satan : admirable emploi pour un baryton dont l’écriture évite bien des caricatures, et renouvelle alors en 1878, toute une tradition noire, celle méphistophélienne, des cyniques et manipulateurs, agents de l’ombre et démons actifs, qui offre aux compositeurs de remarquables prétextes dramatiques. C’est assurément le cas dans les deux premières parties, la Révolte (des anges rebelles), puis L’Enfer, où règne la grand démiurge autoproclamé, rival de Dieu lui-même, jaloux de Jésus auquel comme « premier des Archanges », il s’estimait supérieur. Tout l’oratorio cible la finesse et l’intelligence, très mesurée du Diable incarné, son esprit indirect (superbe jeu allusif de Marc Boucher), sa vocalité de négociateur d’habile trompeur, toute en suggestion : et sa première victime, Eve, succombe évidemment à la tentation qu’il lui réserve (3è parie : La Tentation).
L’oeuvre machiavélique est d’autant plus troublante qu’elle s’accomplit quand Dubois imagine au début de la séquence, l’un des duos les plus extatiques que nous ayons écouté ; entre Adam et Eve (« aimons nous mieux »), action de grâce d’une ineffable tendresse, et davantage encore, d’une sincérité saisissante dont les deux interprètes, Magali Simard-Galdès et surtout le ténor Antonio Figueroa font un sommet de la soirée ; ils électrisent l’association naturelle de leurs timbres : belle respiration et belle écoute en partage de la part des deux jeunes chanteurs ; Eve rayonne ainsi par l’angélisme lumineux, éclatant de son chant agile et joliment timbré ; Adam (même enroué), s’impose par la subtilité de son émission, une finesse de style qui le fait d’emblée belcantiste : phrasés soyeux et tenus, projection claire, surtout, qualité si rare aujourd’hui, articulation exemplaire : le voici ce chant français romantique, à la fois incarné, intelligible, incandescent, raffiné, ténu mais redoutablement expressif ; Jean-Claude Malgoire a réuni 3 interprètes irrésistibles, qui assurent aux côtés de l’orchestre complet, la grande réussite de cette création. Du reste c’est bien ce duo amoureux, d’une rare puissance émotionnelle qui demeure la clé de voûte de l’ouvrage, fusion originale entre le style de Gounod et de Massenet à leur sommet. C’est dire.
Distinguons le Chœur de chambre de Namur (préparé par l’excellent Thibaut Lenaerts), précis, vivant qui exprime tour à tour toutes les facettes d’une partition vive et très colorée : les étagements, les réponses entre les pupitres de chanteurs ; et ce jeu très juste qui place les choristes en une armée prête à en découdre, déployée derrière l’orchestre, assure leur totale intégration au drame qui s’accomplit entre l’orchestre et les solistes : séraphins primordiaux, anges rebelles, damnés plaintifs, esprits paradisiaques, chœur final … L’oratorio de Dubois est un véritable opéra nécessitant un chœur d’une présence exceptionnelle. Si l’on pense à Berlioz dans l’ivresse libérée de l’écriture orchestrale, c’est Rameau et ses tableaux infernaux (ceux d’Hippolyte de 1733) qui s’affirment ici : d’ailleurs, les 3 archanges rebelles (Uriel, Belial, Molock) réactivent dans la partie II (L’Enfer), le trio des parques en leur chant halluciné, mordant, lugubre.
Enfin voici l’orchestre de Dubois, propre à la fin des années 1870 en France, dévoilant le métier du compositeur. Bassons, trompettes et cors par 4, trombones par 3, harpe (doublant l’Archange glorieux), sans omettre l’ophicléide… toutes les couleurs berlioziennes s’invitent au banquet cynique, barbare de Satan manipulateur. Et l’on comprend qu’à travers la flamboyance efficace qui structure les quatre parties, c’est la Paradis qui est perdu ; agissements et manipulation fourbe de Satan inspirent à Dubois, une pièce maîtresse de son œuvre lyrique.
Aérée et précise, la direction souligne toutes les vertus expressives d’une partition caractérisée qui sait varier ses effets. Finalement Théodore Dubois, Prix de Rome, académicien, professeur puis directeur du Conservatoire, théoricien enfin, a toujours souffert de n’être pas estimé comme… compositeur. La création mondiale défendue à Tourcoing par les équipes du défricheur Jean-Claude Malgoire renverse la tendance : nous voilà bien confronté à un ouvrage dramatiquement incontestable.

 

 

Le mérite en revient à Jean-Claude Malgoire qui, pilote précédent de la recréation d’ABEN HAMET (opéra créé en 1884, révision de 1888, d’après Le dernier Abencérage de Chateaubriand) paraît de fait comme le défenseur constant de Théodore Dubois. Tourcoing est bien ce centre de création lyrique à l’indéfectible ardeur : Aben Hamet hier, Le Paradis Perdu aujourd’hui… pour tous les amateurs d’opéra comme de romantisme français, ce qui se passe à Tourcoing, sous l’aile visionnaire de Jean-Claude Malgoire est plus que jamais, incontournable. Illustrations : © Antonio Figueroa 2017 (répétition du Paradis Perdu de Théodore Dubois, recréation mondiale à Tourcoing / novembre 2017).

 

 

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Approfondir :

 

Théodore DUBOIS par classiquenews.com

 

 

LIRE notre critique du cd Aben Hamet par Jean-Claude Malgoire , mars 2014 / CLIC de classiquenews.com d’avril 2015
http://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-dubois-aben-hamet-malgoire-2-cd-alt-mars-2014/

VOIR le clip vidéo Aben Hamet par Jean-Claude Malgoire, mars 2014 / nouvelle production, récréation, à l’affiche les 14, 16 et 18 mars 2017
http://www.classiquenews.com/video-tourcoing-jean-claude-malgoire-ressuscite-aben-hamet-de-theodore-dubois-clip-video/

VOIR notre reportage vidéo complet : Aben Hamet par Jean-Claude Malgoire, mars 2014 / nouvelle production (12mn)
https://vimeo.com/91733532

 

 

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