samedi 20 avril 2024

COMPTE RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 14 nov 2019. RAVEL : L’enfant et les sortilèges. T ENGEL / G PONT.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

POITIERS : grand concert RAVEL au TAPCompte-rendu critique. Opéra. LYON, RAVEL, L’enfant et les sortilèges, 14 novembre 2019. Orchestre et chœur de l’opéra de Lyon, Titus Engel (direction), Grégoire Pont (concept et vidéo), James Bonas (mise en espace), Thibault Vancraenenbroeck (décors et costumes), Christophe Chaupin (lumières), Philip White (chef des chœurs). Reprise de la très belle production de 2016, avec direction et distribution différentes, si la magie sur scène opère toujours, la distribution a quelque peu déçu.

Un Ravel scéniquement enchanteur,
mais vocalement décevant

Cette reprise était très attendue, tant le spectacle avait ravi les oreilles et les yeux. La même équipe avait depuis produit l’Heure espagnole, atteignant une virtuosité visuelle encore plus aboutie. L’orchestre est toujours au fond de la scène, masqué par un écran géant qui occupe tout l’encadrement de l’espace scénique, tandis que les personnages prennent leur rôle des traits blancs s’animent comme par magie et dessinent la bergère, la théière, ou encore, dans la scène de la forêt, les nombreuses espèces animales qui peuplent le conte de
Colette.

S’offre à la vue des spectateurs un véritable tableau magique où évoluent d’éphémères arabesques qui agissent comme autant de pulsations rythmiques d’une densité rare qui contraste avec la brièveté de l’œuvre. Ainsi, de la maman, on ne voit qu’une main géante, en conformité avec la didascalie du livret, la Princesse fait jaillir de sa baguette le chevalier au cimier couleur d’Aurore, l’instituteur vomit des chiffres, la chauve-souris projette contre l’enfant des centaines de ses congénères, tandis que le duo des chats est illustré par une
animation cartoonesque qui s’achève de façon presque horrifique. On est toujours sous le charme du remarquable travail de Grégoire Pont et de son ingéniosité technique qui colle admirablement à la vérité du texte et de la musique. Jamais une lecture du chef-d’œuvre de Ravel n’avait mieux révélé et respecté ce que la fantasmagorie de la pièce voulait dire. Jamais le mot « sortilèges » n’avait été aussi bien incarné.

L’univers graphique flamboyant et toujours inattendu se fait ici l’écho
idéal de la richesse musicale de la partition ravélienne. La technique
est d’abord au service de l’œuvre et ne se sert pas de celle-ci comme
prétexte. Il en résulte un travail d’orfèvre où le dispositif scénique
montre parfois des détails inattendus, comme dans la très belle scène
poétique des pâtres où les couleurs chatoyantes, cuivré de l’orchestre,
font penser à un impressionniste champ de blé derrière les personnages
en noir et blanc dessinés de façon très poétique sur l’écran.
Face à ce déluge d’images qui mériterait pour chacune un commentaire,
la distribution semble encore plus en retrait qu’il y a trois ans, comme
absorbée par l’enchantement visuel sans répit. Les solistes du Studio
opéra sont pourtant loin de démériter, amis on peine à trouver
l’homogénéité qui contribuait jadis à la réussite de l’ensemble. Dans le
rôle de l’enfant, la mezzo Clémence Poussin, se démarque par sa
vaillance, un timbre bien projeté et une androgynie vocale des plus
efficace. Mais Beth Moxon ne fait guère oublier Alix Le Saux dans les
rôles de la chouette et la bergère : si le timbre est là, la voix est
excessivement poussive et manque de clarté dans les registres aigus ;
Claire Gascoin est en revanche impériale dans le rôle de la Maman, de la
Tasse chinoise ou de la libellule, tandis que le baryton Christophe
Engel séduit à son tour dans ses miaulements félins et sa métronomique
plainte de l’Horloge comtoise. Et les graves onctueux de Matthew Buswell
passent sans encombre du Fauteuil à l’Arbre. Prestations plus en
retrait, sans démériter, de Eira Huse, à la fois Pâtre, Chatte et
Écureuil, de Kaëlig Boché, théière, Petit Vieillard et Rainette tout
aussi crédibles. En revanche, on regrettera les timbres un peu verts de
Margot Chenet (le Feu, le Rossignol et la Princesse) et de Erika Baikoff
(la Pastourelle et la Chauve-souris), elles aussi pourtant techniquement
impeccables.
Dans la fosse, Titus Engel remplace Martyn Brabbins, mais dirige l’’orchestre de l’Opéra de Lyon avec un brin de raffinement en moins, même si la précision de sa direction n’est jamais prise en défaut. Les Chœurs de l’Opéra, très bien préparés par Karine Locatelli, déclament toujours avec la même impeccable diction, et participent dignement à l’extraordinaire réussite de cette production interactive unique en son
genre.

Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Ravel, L’enfant et les sortilèges, 14
novembre 2019. Clémence Poussin (L’enfant), Beth Moxon (Bergère,
Chouette), Erika Baïkoff (Pastourelle, Chauve-Souris), Margot Genet
(Feu, Rossignol, Princesse), Claire Gascoin (Maman, Tasse chinoise,
Libellule), Eira Huse (Pâtre, Chatte, Écureuil), Kaëlig Boché (Théière,
Petit vieillard, Rainette), Christophe Engel (Horloge comtoise, Chat),
Matthew Buswell (Fauteuil, Arbre), Karine Locatelli (Cheffe des chœurs),
Grégoire Pont (concept et vidéo), James Bonas (mise en espace), Thibault
Vancraenenbroeck (décors et costumes), Christophe Chaupin (lumières),
Orchestre et chœur de l’Opéra de Lyon, Titus Engel (direction).

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