mardi 16 avril 2024

COMPTE-RENDU, critique, concert. LILLE, le 3 avril 2019. MAHLER : Symphonie n°3. Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch.

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cycle-mahlerCOMPTE-RENDU, critique, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 3 avril 2019. MAHLER : Symphonie n°3. Christianne Stotijn (mezzo-soprano), Philharmonia Chorus, Choeur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal / ONL Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch (direction). Apres une Symphonie n°1 « Titan », de « lancement », puis une n°2 « Résurrection », tendue, recueillie, incarnée… enfin spiritualisée en sa fin céleste, la 3ème Symphonie de Mahler, jouée ce soir au Nouveau Siècle à Lille, délivre et confirme désormais les qualités du cycle événement que le chef et directeur musical du National de Lille, ALEXANDRE BLOCH, dédie au compositeur (qui fut aussi un grand chef). De l’énergie, une urgence continue, une intelligence des timbres, surtout une attention particulière à l’architecture interne du massif malhérien… A contrario des conceptions plus « droites », objectives de certains chefs, plus extraverti que d’autres (comme les « grands ainés » tels Karajan, Haitink… sans omettre Abbado), Alexandre Bloch lui ne s’économise en rien, dansant sur le podium, habité, exalté par son sujet, avec une intensité qui rappelle … Bernstein.

 

 

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FINALE DE COMPASSION ET D’AMOUR… Ceci nous vaut pour le dernier mouvement, le plus aérien (aux cordes surtout), des jaillissements de lyrisme flexible et amoureusement déployé, un baume pour le cœur et l’esprit, après avoir passé tant d’épisodes si divers et contrastés. On n’oubliera pas ce 6è mouvement final (« Langsam. Ruhevoll. Empfunde ») qui semble comme un choral fraternel et recueilli, embrasser tous les êtres vivants (hommes et animaux) et les couvrir d’un sentiment d’amour, irrépressible et caressant. Dans son intonation, sa pâte transparente, suspendue, le mouvement préfigure l’Adagietto de la 5è, ses amples respirations,sa couleur parsifalienne, sa ligne constante qui appelle et dessine l’infini…

 

 
 

 

La 3è Symphonie de Mahler par
l’Orchestre national de Lille et Alexandre Bloch

Sons et conscience de la Nature

 

 

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Toutes les illustrations : © Ugo Ponte / Orchestre National de Lille 2019

 

 
 

Notre attente était d’autant plus affûtée que la 3è Symphonie de Gustav Mahler (alors âgé de 34 ans) est rarement donnée si on la compare aux autres évidemment; même le chef fondateur de l’Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus, malhérien distingué et reconnu, ne l’a joué avec les musiciens lillois que… trois fois (1996, 1997, puis 2006) quand on compte pas moins de 11 réalisations de la 4ème sous sa baguette !, soit de 1978 à 2017 ; distinguons l’enregistrement que CLASSIQUENEWS avait salué lors de sa parution par un CLIC : la Symphonie n°2 Résurrection de 2017). Voila qui en dit long.

Voilà qui donne du poids aussi à la proposition d’Alexandre Bloch de jouer les 9 symphonies pendant 2019, histoire de renouer avec un répertoire qui a construit et façonné le son de l’Orchestre lillois depuis sa création. Défi aussi puisqu’il s’agit à chaque session de dévoiler la richesse de l’écriture malhérienne, tout en renouvelant encore l’engagement de tous les musiciens. Ce cycle en cours s’affirme donc comme une expérience majeure pour l’auditeur et pour les interprètes, un nouveau jalon de leur aventure musicale.

De par ses effectifs, l’ONL / Orchestre National de Lille, voit grand et peut aborder des œuvres spectaculaires. Dans ce sens MASS, fresque délirante, inouïe s’inscrivait pour l’année Bernstein 2018 dans cette ambition (fin de saison, juin 2018); la Symphonie des Mille, n°8 sera le prochain volet à ne pas manquer. Sans avoir jamais écrit d’opéras, Mahler, qui comme chef, en dirigea beaucoup (entre autres comme directeur de l’Opéra de Vienne) semble y synthétiser toutes les possibilités orchestrales et lyriques, – en particulier dans sa 2è partie.
 D’opéra, il est aussi question dans la 3è, précisément dans l’épisode IV où sort de l’ombre, à la fois entité maternelle envoûtante et prophétesse d’une ère à venir, la mezzo (convaincante Christianne Stotjin, déjà écoutée dans la Résurrection de février dernier). Son texte emprunté à Nietzsche (Zarathoustra) est une exhortation adressée aux hommes, un appel, à la fois berceuse et prière, une invocation et une alerte pour que chacun s’interroge sur lui-même, sur le sens de sa vie terrestre. Le texte contient la clé de l’œuvre ; sans joie, sans dépassement de la souffrance, l’homme ne peut atteindre l’éternité. Encore faut-il qu’il atteigne cet état de conscience salvateur …auquel nous prépare la musique de Mahler. Dans l’opéra imaginaire du compositeur, ce pourrait être une apparition magique et nocturne dont la couleur est saisissante par sa profondeur, sa justesse, sa couleur de fraternité. Chef, soliste, instrumentistes sculptent la couleur de l’hallucination ; ils en expriment idéalement le caractère d’urgence et d’envoûtement.

  

 

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SPLENDEUR D’UNE NATURE A L’AGONIE… Auparavant, prélude à ce surgissement inédit, Mahler n’a pas ménagé son auditeur. Son orchestre pléthorique embrasse toute la création et le monde, convoque les éléments dans leur primitive splendeur. Mais une splendeur parfois lugubre qui paraît comme en sursis : évidemment l’ample premier mouvement le plus long jamais écrit par Mahler (« I. Kräftig. Entschieden ») développe en une mise en ordre progressive, qui s’apparente peu à peu à une marche, l’évocation d’un monde terrestre tellurique et chtonien, inscrit dans la gravitas la plus caverneuse (rang fourni des contrebasses…), où brillent aussi tous les pupitres des cuivres : cors par 8, trombones, tuba, trompettes… Même s’il s’agit d’une vision panthéiste, le regard que porte Mahler sur la création est froid, analytique, mordant.
Au scalpel, Alexandre Bloch en fait surgir (rugir) toutes les résonances hallucinées et souvent fulgurantes : cris, déflagrations, déchirements, plutôt que célébration bienheureuse ; même si de purs vertiges sensuels, lyriques, d’une tendresse absolue, émergent : ils s’y pressent, précipités, exacerbés jusqu’à la parodie. Le geste est clair, précis, souple : le chef dessine le plus passionnant des orages naturels, à la fois chaos et mécanique cynique singeant une marche militaire, plus ivre que majestueuse.

 

 

Grand concert Mahler par l'Orchestre OSE. Daniel Kawka, directionMAHLER ECOLOGISTE... La richesse des teintes, le creuset des accents et des nuances simultanées forment une matrice orchestrale et un maelström symphonique d’une irrésistible puissance. Pour nous, en écho à notre planète martyrisée et au règne animal sacrifié, agonisant, ce premier mouvement exprime les tensions qui soumettent une terre à l’agonie : et nous voyons clairement dans les éclairs et les fulgurances (appels des trompettes, danse lugubre des bassons, solo du trombone…) que dessinent l’énergie du chef, l’indice d’une conscience visionnaire, celle d’un Mahler plus que panthéiste: animaliste, écologiste… Le chant de son orchestre exprime la conscience doloriste de la Nature, la mise à mort des espèces animales, le cri de la terre qui se convulse, meurt et ressuscite à chaque battement de la grosse caisse, battement sourd et délicat à la fois, (à peine audible mais si présent cependant ce soir) sur lequel s’organise et se déploie toute la mécanique orchestrale, du début à la fin de ce premier acte sidérant. Passionnante lecture.

On ne passera pas en revue chaque séquence suivante, à la loupe, pourtant l’acuité et l’analyse que sait développer le chef, affirment davantage sa compréhension, sa conception très juste de tous les climats qui sont nés dans l’esprit de Mahler, que l’on aime imaginer, chaque été, dans son cabanon de travail, véritable balcon sur la Nature, miraculeuse, fragile, impérieuse…

Le II est ainsi depuis le premier solo instrumental (hautbois) une claire évocation florale dont l’activité et le chatoiement des couleurs (transparent et détaillé) contrastent avec le tragique tellurique qui a déferlé précédemment. Les combinaisons de timbres préfigurent déjà ce que sera la parure de la 4è (clarinette).
Puis Alexandre Bloch enchaîne le III (« Comodo. Scherzando. Ohne Hast ») : d’abord suractivité instrumentale qui caractérise chaque espèce animale de la forêt ; puis, surprenant rupture de climat avec l’enchantement suspendu du cuivre soliste dans la coulisse, – nouveau surgissement du songe le plus pur et le plus angélique (l’idéal d’innocence et d’insouciance auquel rêve le compositeur) dont la ligne aussi nous évoque le voyage de Siegfried sur le Rhin (Wagner) par son caractère onirique, éperdu, magicien, la distanciation spatiale, le souffle poétique… La souplesse et le tact du musicien soliste affirment ce caractère de nocturne enchanté, et toute la grâce du mystère de la nature. Que n’a t on assez dit de ce troisième mouvement, qu’il était véritable expression d’une conscience enfin accordée aux animaux ?

 

 

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Après le IV, – exhortation nietszchéenne-, l’épisode V fait intervenir le chœur des femmes et la maîtrise des enfants, défenseurs zélés, articulés du salut permis au coupable Pierre (« la joie céleste a été accordée à Pierre / Par Jésus et pour la béatitude de tous. »)

Enfin c’est l’Adagio final, apaisement, réconciliation, acte de pardon et d’amour général dont le chef étire le ruban orchestral avec une tension et une détente qui creusent encore et encore l’unisson voluptueux des cordes : c’est à la fois un choral spirituel et le plus bel acte de fraternité, de compassion, comme de renoncement. L’indice, franc et vertigineux, retenu, suspendu que la lumière est atteinte. Et avec le chef, d’une sensibilité affûtée, entraînante … que la hauteur souhaitée et l’état de conscience qui lui est inhérente, réalisés.
Il n’y a que chez Mahler que l’auditeur peut éprouver telle expérience. Alexandre Bloch s’avère notre guide  inspiré et  communicatif. A suivre. Reprise ce soir à Amiens de la 3è Symphonie. Prochain volet du cycle des 9 symphonies de Mahler avec l’Orchestre National de Lille, samedi 8 juin à 18h30 (Symphonie n°4) ; puis, Symphonie n°5 (et son Adagietto suspendu, aérien.), vendredi 28 juin 2019, 20h (toujours à l’Auditorium du Nouveau siècle de Lille)… RV pris.

 

 
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COMPTE-RENDU, critique, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 3 avril 2019. MAHLER : Symphonie n°3. Christianne Stotijn (mezzo-soprano), Philharmonia Chorus, Choeur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal / ONL Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch (direction).

 

  

 

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VIDEO : replay FRANCE 3 Hauts de Seine
Revoir et récouter la Symphonie n°3 de Gustav Mahler
par l’Orchestre National de Lille et Alexandre Bloch

https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/concert-regardez-direct-symphonie-ndeg3-gustav-mahler-mercredi-3-avril-20h-1648220.html

 

 

ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE
Direction : Alexandre Bloch
Mezzo-soprano : Christianne Stotijn
Philharmonia Chorus
Chef de choeur : Gavin Carr
Choeur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal
Chef de choeur : Pascale Dieval-Wils
Violon solo : Fernand Iaciu

 

  

  

 

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