vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 mars 2017. Tchaïkovski : Jeanne d’Arc / Bolchoï. Tugan Sokhiev, direction.

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tchaikovski Pyotr+Ilyich+Tchaikovsky-1Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 mars 2017. Tchaïkovski : Jeanne d’Arc. Version de concert. Orchestre et Chœur du Théâtre Bolchoï de Russie. Tugan Sokhiev, direction. C’est à plus d’un titre que les Grands Interprètes peuvent s’enorgueillir d’avoir proposé une soirée d’une ampleur inhabituelle. Sur bien des plans, il s’agit d’un événement exceptionnel, probable joyaux de la saison toulousaine. Tout d’abord l’œuvre choisie est d’une beauté totale, véritable chef-d’œuvre  mésestimé de Tchaïkovski qui s’y révèle à l’aise dans tous les styles et qui développe dans cette partition un art infini.

 

 

 

Splendeur du Bolchoï à Toulouse

 

Cet Opéra est si rare car il est d’une grande difficulté. Le public français tout particulièrement a du mal à accepter les libertés prises par Schiller dont la pièce est à l’origine du livret. Pourtant le fait de donner à Jeanne plus que ce que la figure nationale a réquisitionné n’a rien d’invraisemblable et donne une dimension cornélienne à Jeanne. Cet ouvrage de belle ampleur nécessite un chœur vaillant ; le rôle-titre est écrasant et l’orchestre a des pages symphoniques qui dans une fosse sonnent à l’étroit. La solution de la version de concert est musicalement idéale pour un ouvrage de cette ampleur. Mieux vaut une version de concert avec un engagement dramatique totale qu’une misère visuelle.
L’évènement d’entendre un ouvrage de grande valeur et rarissime a été porté par l’équipe du Bolchoï ce qui était une première à Toulouse. Seul Genève et Zurich ont été concernés par cette tournée et Paris a pu déguster à la Philharmonie cette magnifique Jeanne d’Arc. Il est certain que les forces du Bolchoï sous la direction si inspirée de son chef Tugan Sokhiev, ne vont pas tarder à conquérir le monde entier.
La puissance de cet orchestre est très impressionnante. Les violons sont athlétiques et capables de grande délicatesse dans un son d’une plénitude rare. Les violoncelles ont une chaleur d’une grande profondeur. Les bois ont une fraîcheur plaisante avec une flûte à faire pâlir d’envie tout orchestre. Quelle sonorité impériale et quelle subtilité de nuances ! Hautbois et clarinettes ont une forte présence et une sacrée personnalité. Dans l’ouverture, le passage bucolique évoque une forêt profonde, pleine de vie. Les interventions déterminantes de la harpe sont d’une noblesse remplie de plénitude. Les cuivres sont puissants et l’orchestration de Tchaïkovski leur demande des prouesses.
Les chœurs du Bolchoï sont très impliqués. Les scènes de foules sont  hallucinantes de présence et les anges, surnaturels de  beauté. Le pupitre des basses avec une présence capitale contient des timbres d’une profondeur splendide, octaviant certains accords de manière spectaculaire.
La distribution vocale est russophone ; elle fait honneur à cette exceptionnelle école de chant. Tous sont excellents mais c’est la Jeanne d’Anna Smirnova qui subjugue. Voix de mezzo splendide, claire, fruitée et puissante capable de nuances et de colorisations des plus dramatiques. Elle passe du sublime de ses implorations à une vaillance de chef de guerre sans siller. Les longues phrases lyriques sont développées jusqu’au fond de leur émotion. Dans les finales, elle domine sans soucis. L’Agnès Sorel d’Anna Nechaeva a la volupté de timbre et de phrasé requise. Les hommes sont tous splendides de timbre et leur implication dramatique donne beaucoup de vie à leurs interventions qui restent fondamentales mais sans la grandeur du rôle-titre, particulièrement présent.

 

 

 

sokhiev Tugan-Sokhiev6-credit-Mat-HennekIl nous reste à évoquer le Grand Vainqueur de la soirée. L’audace n’est pas mince. Tugan Sokhiev est chez lui dans cette Halle-aux-Grains depuis 2005. Il a été nommé en 2014 au Bolchoï. Il vient donc en ambassadeur de poids. Mais cela peut aussi provoquer craintes et jalousies. Pourtant il nécessaire d’accepter qu’un artiste de cette trempe, -qui partout où il passe séduit orchestres, critiques et publics, même si un lien profond existe avec son orchestre de Toulouse-, ne peut s’en contenter. Ecouter et voir son engagement avec les forces du Bolchoï est donc un exercice ambivalent. Pour ma part, il confirme ce sentiment d’avoir la chance de pouvoir suivre l’évolution d’un chef qui deviendra l’un des tous premiers dans un avenir proche. L’aisance avec laquelle il empoigne ce grand opéra à la française, avec un coté meyerbérien, voir wagnérien, et même italien tout en restant si admirable dans les équilibres, reste un grand moment. La direction est comme nous savons, un ballet de tout son corps avec des regards profonds. Les gestes anticipés permettent de comprendre chaque instant de cette partition fleuve. Les récitatifs sont mordants, les moments orchestraux splendides, les grands airs tiennent en des arcs infinis, les grandes fresques chorales sont terrifiantes. Les finales des derniers actes sont sensationnels. Cette conception dramatique si intelligemment menée permet de terminer sur un final d’une puissance, d’une violence incroyable. Tugan Sokhiev sait construire le dernier crescendo pour laisser le public haletant devant le supplice et la mort de Jeanne d’Arc. L’orchestration de Tchaïkovski ose pour terminer son chef d’œuvre des audaces d‘écritures particulièrement évocatrices de la cruauté du peuple utilisée par les puissances religieuses et temporelles en assassins associés. Après ce grandiose finale si dramatique le public rend les armes et applaudit à tout rompre une équipe soudée et victorieuse. Tugan Sokhiev offre avec cet opéra si rare un complément de choix aux autres ouvrages lyriques de Tchaïkovski qu’il a déjà dirigés à Toulouse pour le ravissement d’un public conquis.
Le Bolchoï est un géant mondial incontournable et Tugan Sokhiev sait faire la plus belle musique possible avec des forces si difficilement domptables.

 

 

 

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Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 mars 2017. Piotr Illytch Tchaïkovski (1840-1903) : Jeanne d’Arc ou la pucelle d’Orléans, opéra en quatre actes et six tableau d’après la tragédie de Friedrich von Schiller ; Version de concert ; Avec : Anna Smirnova, Jeanne d’Arc ; Oleg Dolgov, Le Roi Charles VII ; Bogdan Volkov, Raymond ; Anna Nechaeva, Agnès Sorel ; Andrii Goniukov, Dunois ; Stanislav Trofimov, L’Archevêque ; Petr Migunov, Thibaut d’Arc ; Igor Golovatenko, Lionel ; Nikolay Kazanskiy, Bertrand ; Andrii Kymach, Le Soldat ; Marta Danusevich, L’Ange ; Orchestre et Chœur du Théâtre Bolchoï de Russie ; Tugan Sokhiev, direction.
Illustration : © Mat Hennek.

 

 

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