jeudi 28 mars 2024

COMPTE RENDU, concert piano. PARIS, le 12 juin 2018. Récital YUJA WANG, piano.

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WAng_yuja_piano_rachmaninov_prokofiev_dudamel_cd_deutsche_grammophonCOMPTE RENDU, concert piano. PARIS, le 12 juin 2018. Récital YUJA WANG, piano / RACHMANINOV, SCRIABIN…. La pianiste d’origine chinoise Yuja Wang donnait un récital le 12 juin, salle Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris. Un évènement qu’il ne fallait pas manquer.  Force est de constater qu’à 31 ans Yuja Wang a fait un chemin considérable, tant sur le plan de la technique pianistique, dont elle n’avait pourtant pas à rougir à ses débuts, qu’en matière de maturité musicale, et surtout d’étendue de répertoire. Dotée d’une personnalité singulière, elle irradie, subjugue et électrise son public, par sa technique époustouflante bien sûr, mais aussi par son énergie qui n’a de cessé de croître de la première seconde de son entrée en scène jusqu’à l’ultime jet d’accords du dernier bis. Et des bis, il y en eut pas moins de sept, ce soir-là!

Yuja Wang enflamme la Philharmonie de Paris

Elle arrive sur scène telle un rayon de soleil, moulée dans une longue robe d’un beau jaune tendre et lumineux, salue rapidement, et ajuste son assise. Là, le dos droit, dans un alignement parfait du corps et de l’esprit, elle se met à jouer. Elle tiendra cette posture au fil du concert sans jamais y déroger, centrée, la tête commandant les bras, libres et agiles, les doigts, précis et infaillibles. Pas un geste superflu. Pas de cinéma. Yuja Wang est plus sérieuse qu’on ne pourrait le penser. Elle est professionnelle. Aujourd’hui elle joue à peu près tout, et rares sont les pianistes capables du programme audacieux qu’elle a choisi de présenter: sélection de Préludes et Études-tableaux de Rachmaninov, la sonate n°10 opus 70 de Scriabin, 3 études de Ligeti, et rien moins que la huitième sonate de Prokofiev.

Tout étant relatif, Rachmaninov, par lequel elle commence son récital, avec deux préludes (opus 23 n°5 et opus 32 n° 10) et 5 études-tableaux des opus 33 et 39, est certainement le moins investi. Certes le son est beau, clair, mais la polyphonie est parfois troublée et le jeu volubile manque souvent de consistance et de poids dans les nuances piano, où l’on attendrai moins d’effleurement et davantage de timbre. La palette dynamique est en revanche fort étendue et rend l’interprétation vivante et très captivante. Son Rachmaninov respire la santé: il est plutôt rayonnant, et même parfois d’une légèreté incongrue. Le Prélude opus 32 n° 10 est sans doute la pièce la plus réussie: elle parvient à y rendre l’ atmosphère de profonde désolation, d’intime nostalgie, de sombre tristesse qui lui est propre.

La sonate n°10 de Scriabin apparaît d’une grande modernité: esthétiquement très aboutie, elle offre de beaux effets vibratiles. Les trilles très finement ciselés s’évaporent, volent d’un registre à l’autre, dans une subtile ubiquité, dans un impalpable éther, sans jamais brûler leurs ailes. L’effet plastique est indéniable et Yuja Wang contrôle absolument tout des timbres aux intensités, faisant de cette sonate un superbe « objet sonore », d’un fini proche de la perfection.

C’est assurément dans Ligeti qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Elle en interprète deux études: Touches bloquées et Désordre. Elle se meut comme un poisson dans l’eau dans ces pièces redoutables de difficultés, parfaitement à son aise avec leur rythmicité, leur motorisme, leur profusion harmonique et sonore jusqu’à saturation. Son énergie et la lumière de son jeu, en même temps qu’une construction intellectuelle sans faille, une conscience de tous les instants, servent cette musique et ces pièces en particulier, d’une façon exceptionnelle.

Tout est à sa place également dans la 8ème sonate de Prokofiev, impeccablement construite, dans une bonne définition sonore. il y a une forme d’objectivité « enthousiaste » dans l’interprétation de la pianiste, aux doigts toujours flamboyants, et à l’énergie décuplée, mais néanmoins dans le contrôle et une forme de réserve émotionnelle. Rien ne perce, rien ne dépasse, si ce n’est que l’on est transporté, subjugué par la vitalité du jeu, la personnalité hors du commun de l’artiste, attachante dans sa jubilation virtuose, comme dans la douceur candide de son Andante sognando.

Ce même plaisir est palpable dans l’éventail de bis qu’elle offre à un public qui n’a de cesse d’en redemander: la Romance sans paroles opus 67 n°2 de Mendelssohn, pour commencer, suivie des Variations Carmen d’Horowitz, de Marguerite au Rouet de Schubert/Liszt, de Rachmaninov le finale de la 7ème sonate et l’opus 11, de la valse en do dièse mineur de Chopin, et pour rassasier enfin l’auditoire en surchauffe, la marche Turque de Mozart version Fazil Say! Un programme à part entière!

S’il semble que les touches du piano soient cousues aux doigts de Yuja Wang, on ne retiendra pas seulement qu’elle est une virtuose incomparable, et comme il en existe peu: la musicienne qu’elle est dans toute sa singularité a une place d’exception dans le paysage musical. Un large chemin est ouvert devant elle, et gageons qu’elle nous surprendra encore, peut-être en rajoutant ce petit supplément d’âme que la vie et l’épreuve du temps peuvent à la longue révéler.

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COMPTE RENDU, concert piano. PARIS, le 12 juin 2018. Récital YUJA WANG, piano / RACHMANINOV, SCRIABIN…. Illustration : cover du cd Yuja Wang / Gustavo Dudamel : Rachmaninov et Prokofiev 1 cd DG 2013, critique sur classiquenews.

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