Légende dramatique ou opéra en version de concert ? Berlioz a longtemps hésité entre les deux termes pour définir son opus faustien. Dans tous les cas, il ne semble pas avoir songé à une réalisation scénique, et c’est sous forme concertante que l’Opéra National de Bordeaux a retenu ce titre, donné trois soirées dans le formidable Auditorium dont s’est dotée la ville il y a deux ans.
Dans la partie de Faust, le ténor américain Eric Cutler s’avère – aux côtés de Michael Spyres (qui l’a justement remplacé le 20, Cutler étant souffrant) – le titulaire le plus enthousiasmant actuellement : perfection de la diction, clarté des aigus, raffinement de la ligne, intensité vocale, tout y est. La douceur de son air de la troisième partie, les notes émises en falsetto dans son duo avec Marguerite, le corps à corps avec la houle de l’orchestre dans l’Invocation à la nature, … tous les écueils sont franchis avec une indéniable réussite !
En revanche, la mezzo française Géraldine Chauvet offre une prestation bien lisse face à lui, et se trouve trop souvent à court de souffle, d’articulation et d’influx passionnels pour vraiment convaincre en Marguerite. Par bonheur, le baryton-basse Laurent Alvaro sait lui ce que chanter Berlioz veut dire, et il en traduit magnifiquement le style, colorant chacune de ses interventions de toute l’ambiguïté requise. Nous resterons malheureusement muet sur la prestation de Frédéric Gonçalves (Brander), un « accident de personne » dans le train, entre Toulouse et Bordeaux, nous ayant fait arriver en gare de Bordeaux alors que le concert avait déjà débuté, et en salle après qu’il eût interprété la fameuse « Chanson du rat »…
Habité d’une fougue communicative, le chef britannique Paul Daniel confère à l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine – dont il est le directeur musical depuis septembre 2013 -, une chaleur, une jubilation et une précision enthousiasmantes. Sous sa battue, l’orchestre vit, les cordes chantent, les bois se distinguent et les mille et un détails qui innervent la partition sont magnifiquement ciselés. Cependant, les choristes lui voleraient presque la vedette : par leur cohésion et leur articulation parfaitement naturelle du français, les membres des Choeurs conjugués de l’Opéra de Bordeaux et de l’Armée française forment une seule et même grande voix qui se plie à toutes les nuances voulues par le compositeur. Quand on pense à la manière dont Berlioz les sollicite dans cet ouvrage, on ne peut qu’applaudir pareille réussite. L’apothéose de Marguerite – avec l’arrivée légère et galopante des jeunes chanteurs de la Jeune Académie vocale d’Aquitaine – est d’ailleurs le radieux couronnement de cette superbe soirée.
Compte-rendu, concert. Bordeaux. Auditorium de Bordeaux. A l’affiche les 18, 20, 22 février 2015. Hector Berlioz : La Damnation de Faust (Version de concert). Eric Cutler, Géraldine Chauvet, Laurent Alvaro, Frédéric Gonçalves. Paul Daniel, direction.
Illustrations : Eric Cutler et Paul Daniel (DR)