Compte rendu, CD. Piazzolla et Ginastera transcrits pour deux clavecins. Mireille Podeur et Orlando Bass (1 cd, Maguelone 2017). Le duo de clavecinistes formé par Mireille Podeur et Orlando Bass nous a habitués aux heureuses surprises : on se souvient de leurs versions des Pièces de clavecin en concerts de Rameau (2013), puis des Concerti grossi, opus 6 de Haendel (2015). Les transcriptions s’inscrivaient alors naturellement dans l’art du XVIIIe S et nous révélaient, ou nous permettaient de retrouver, les œuvres sous un éclairage renouvelé. Et voici qu’ils récidivent, avec une audace singulière, puisque ce sont des œuvres de Piazzolla et de Ginastera qu’ils nous offrent, dont le langage est évidemment beaucoup plus proche, sinon contemporain.
Les clavecins flamboient
Dès les premières secondes, on pense à l’âpreté du concerto de Falla, avant qu’on reconnaisse les accents du tango qui irrigue l’œuvre de Piazzolla. Ses Cuatro Estaciones Porteñas , ou Quatre saisons, se prêtent tout particulièrement à l’exercice : on oublie le bandonéon pour ces timbres inaccoutumés. Les rythmes y prennent un élan singulier : les références permanentes à la danse, et les clins d’œil au baroque sont un pur bonheur, loin des nombreuses adaptations – parfois fort vulgaires – de ces pièces. La joie est permanente, lumineuse, avec ses passages lyriques, poétiques. Ces Piazzolla, propres à séduire, voire à réconcilier avec l’œuvre de l’inclassable musicien argentin, sont à déguster, sans modération.
Moins populaire, une autre musique de ballet, « Estancia », d’Alberto Ginastera, nous permet de poursuivre notre évasion dans la pampa. Rêverie, danse fébrile aux métriques irrégulières, harmonies recherchées, mélodies de saveur populaire, poésie étrange, rythmes captivants, c’est tout un univers que nous révèlent les deux clavecinistes. Les numéros chantés par Didier Henry (Triste pampeano, et Nocturno), avec un superbe accompagnement, apportent une note de diversité bienvenue : le lyrisme en est d’autant plus puissant que la ligne est austère.
Gageons qu’Antoinette Vischer, comme la regrettée et flamboyante Elisabeth Chojnacka, n’auraient pas renié cette lecture inspirée, dont la prise de son très proche souligne le caractère incisif, percussif, âpre et incandescent de ces œuvres séduisantes.
Une belle plaquette réalisée avec soin, trilingue (français-anglais-espagnol), comportant la traduction des mélodies, accompagne l’enregistrement.
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CD, compte-rendu, critique. Piazzolla / Ginastera, transcrits pour deux clavecins. Mireille Podeur / Orlando Bass – 1 CD Maguelone, MAG 358.417, 61 mn.