vendredi 29 mars 2024

Claude Debussy: l’oeuvre pour piano. IntégralePhilippe Cassard, piano (4 cd Decca)

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cd, critique
Claude Debussy:

l’oeuvre pour piano


Philippe Cassard
, piano
Coffret de 4 cd Decca

Philippe Cassard qui accompagne l’oeuvre et l’écriture de Debussy depuis des années présente en cette année anniversaire tout l’oeuvre pour piano de Claude; les gravures remontent à divers enregistrements datés entre 1990 et 2011 (pour les plus récents apports dont le sublime et presque inédit Les soirs illuminés et Pour le vêtement du blessé du cd 4). Parmi quelques coups de coeur retenons certains accomplissements qui font toute la valeur du présent coffret Decca de 4 cd incontournables…
CD1. Dans les Préludes du Premier Livre (hiver 1909-1910), le pianiste qui marque un point d’honneur à ciseler au plus juste l’harmonisation, la couleur, la palette des dynamiques, éclaire tout ce que ce premier cycle révolutionnaire a d’audace liquide (Voiles), de tempérament trempé vers l’indicible (ouverture allusive et secrète des Danseuses de Delphes: le cycle devrait il se déchiffrer comme un relief antique?), de modernité formelle et structurelle (phobie du développement prévisible et classique); c’est un jeu permanent qui parle autant à l’esprit qu’aux sens et toujours, l’imaginaire comme l’au-delà de la musique et des notes, y sont sollicités vers un atmosphérisme environnant, libre, sans finitude, une conception de l’espace qui prend sa pleine dimension dans le Livre II. Le choix du Bechstein de 1898 apporte aussi une couleur historique qui n’est pas sans étayer avec force l’intensité de l’approche.
La franchise et l’immédiateté du jeu (soulignées/renforcées par le choix du piano) précisent les affinités du jeune Debussy avec les courants esthétiques picturaux contemporains: moins les impressionnistes que le jeune Picasso, comme Rouault et ses irisations colorées, sans omettre la vitalité d’un exotisme, proche et extrême oriental, qui activité filigranée dans l’écriture, colorent eux aussi si fortement la texture debussyste dès ses débuts. Distanciation mystérieuse, désenchantement solitaire… (Des pas sur la neige, Ce qu’a vu le vent de l’Ouest…), certes, mais aussi culture de l’hypersensibilité agile et recréatrice d’un monde présent présent et tout autant inaccessible.. Outre l’évocation attristée, émergent souveraine les figures d’une candeur retrouvée et dansante (La Danse de Puck), voire l’affirmation d’une paix contemplative (zénitude pionnière) qui relie entre les deux Livres, La Fille aux cheveux de lin (I) et Bruyères (II). En somme une lecture qui s’impose par sa finesse et son sens de la continuité; le toucher précis, aux hagogiques travaillées autant que naturelles, illumine la profonde cohérence des mondes debussystes avec une clarté chatoyante.

Créées par Ricardo Viñes en 1904, les Estampes, premier triptyque des 5 ici réunis dans une intégrale majeure, souffle ce vent de découvertes et d’exotismes préservés: l’imagination si fertile recompose paysages, sensations du motif, traversée des éléments; le pianiste compositeur ne fait pas que peindre des extérieurs: il place le piano au centre de l’espace convoqué; il nous en faut partager le sens comme une expérience concrète. Cloches balinaises de Pagodes, ciselure harmonique nocturne dans Soirée dans Grenade… le filtre du sentiment et les couleurs foudroyantes d’une sensibilité à l’écoute se libèrent grâce au jeu tout en transparence et détails de Philippe Cassard. Ce feu qui dévore la nuit, qui nourrit l’interrogation voire l’inquiétude (D’un Cahier d’esquisses, créé par Ravel)), ou suscite des visions cyniques et grimaçantes (Masques), se développe tout aussi librement et souplement dans l’ambivalence et le trouble: Philippe Cassard ajoute également toute la sensualité ondulante et cyclique qui imprime D’un cahier d’esquisses dont la date, 1904, indique le grand génie musicien parvenu à sa maturité.



Enchantement des Soirs Illuminés…

CD2. Les Préludes du Second Livre (1910-1913, au moment de Jeux et du Martyre de Saint-Sébastien) fait valoir les mêmes affinités entre le pianiste et le répertoire si poétiquement investi. Parmi les Préludes du Livre II, reconnaissons notre totale adhésion pour cet art du croquis savoureux et net, mordant et facétieux même du Général Lavine, britanniquement estampé « excentric » (in texto)…
Grand rêveur, Debussy vagabonde et convoque avec une nostalgie aimante autant qu’attendrie, ses chers modèles du passé: en cela, l’hommage à Rameau est un portrait plein de retenue et de pudeur, qui contraste tant, dans l’esprit et le caractère avec la vitalité chorégraphique du compositeur baroque. De L’isle joyeuse de 1904, qui conclue ce volume 4, Philippe Cassard aime sculpter chaque arête liquide, marquant même un arrêt d’une infime suspension sur les crêtes qui semblent accrocher le soleil et l’éblouissement de cette lumière enfin joyeuse qui porte tout le morceau; les crépitements et micro épisodes qui y frétillent d’une ardeur désirante y développent cette tension du mouvement qui perce dans le dernier chapitre du triptyque précédent, (Images, livre 2): Poissons d’or, eux aussi comme traversés par cette liquidité primitive autant que délicate et juvénile.
Outre les deux Livres de Préludes, totalisant les 24; les 5 triptyques (les Images, Estampes, Les Images oubliées, Pour le piano...), la suite si fantasque et délurée Children’s Corner de 1908 (lire ci après notre présentation du cd4), le pianiste réunit aussi les 12 Etudes; soulignons les nombreuses pièces isolées, véritables joyaux d’un collier si riche en diamants divers, conçus comme des miniatures d’un raffinement secret dont on ne se lasse jamais d’écoute en écoute: aux morceaux non cités, remarquons La plus que lente, Valse romantique, surtout, parmi les pièces les plus tardives, Pour le vêtement du blessé (1915) ou Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon (1917): la première (contribution pour les blessés de la guerre) est une merveille fantasque et rêveuse; la seconde saisit par son caractère d’enchantement nocturne et suspendu entre gravité et tendresse, aux harmoniques baudelairiennes. Quelle révélation d’à peine plus de 2 mn!

Le CD4, aux côtés d’essais de jeunesse (certains vertement et passablement décriés comme c’est le cas de la Danse Bohémienne par Tchaïkovski, qui en prit connaissance par la comtesse Meck, protectrice des deux compositeurs), vaut surtout grâce aux 6 facettes atypiques dans tout l’oeuvre et totalement à part dans l’intégrale, qui composent la suite Children’s Corner, cycle des plus allusifs composé en 1908 pour sa fille, l’adorable Chouchou… Jeu plein d’espièglerie, d’innocence active, de candeur tendre et exaltée (dès le premier volet: Doctor Gradus…), évocation libre d’un paysage de neige et là encore d’une sensibilité atmosphérique (The snow is dancing), sans omettre cette culture parodique et experte qui cite, avec un entrain plein de panache et d’enfance triomphante, dans le dernier et si génial Golliwogg’s cake-walk, et Wagner et la transe jazzy; plein d’astuces, de clarté simple, de subtiles épanchements, Philippe Cassard ne cesse de réjouir dans cette alliance rêvée, et ici réalisée de l’ivresse et de la méditation. Intégrale événement, et première offrande plus que recommandable pour l’année Debussy 2012.

Claude Debussy: l’oeuvre pour piano, the piano works. Intégrale. Philippe Cassard, piano. 4 cd Decca ref. 476 4770.

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