mardi 16 avril 2024

Christian Zacharias, piano. ONLLyon, Auditorium. Les 15, 17 et 18 mars 2012

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Christian Zacharias, piano

Lyon, Auditorium
Les 15, 17 et 18 mars 2012. O.N.L
.
, Christian Zacharias, direction et piano : Nicolai, Schumann, Brahms

Un concerto du romantisme, et pour certains, le concerto de piano romantique par essence : l’op.54 de Schumann subjugue par son double visage Florestan-Eusebius. « En face », la symphonie majestueusement classique (4e) d’un Brahms assagi mais non sans mystère. Pour une fusion du piano et de l’orchestre comme pour une exaltation symphonique, le « double rôle » d’un Christian Zacharias – un familier de l’O.N.L. – doit éclairer d’une frémissante lumière deux partitions capitales du XIXe.


Deux âmes habitent en mon sein

N’est-ce pas Le concerto de piano romantique par excellence ? Puisque Schubert n’en a écrit aucun, puisque chez Mendelssohn, les deux pour clavier n’atteignent pas à la perfection du concerto pour violon, que les deux de Chopin, dans leur séduction, n’y sont pas l’essentiel, que les deux de Liszt ont plus de brillant que de profondeur… Alors peut-être, les deux – tiens, « toutes ces bonnes choses vont par deux » ! – de Brahms ? Soit, mais ils sont légèrement « décalés » vers la fin de la chronologie. Donc, Schumann, avec son vrai concerto – il y a aussi en 1849 un Konzerstück, op.92, mais c’est seulement Introduction et Allegro -, nous paraît, à chaque écoute, saisir l’âme, l’envelopper, la rendre prisonnière de sortilèges… L’appel initial, si énergique, entraîne l’énonciation d’une merveilleuse phrase de tendresse, « microcosme musical achevé, dit André Boucourechliev, où se cristallise l’esprit de l’oeuvre entière : méditatif, il s’élève en modulations vers son point culminant pour enfin retrouver, dans une lente chute, son origine ». Il est ensuite passionnant de suivre ce qu’en termes scolastiques on appellerait un développement et procédant –au delà de mots d’ailleurs exacts, tel : conception cyclique – de cette dialectique permanente du double chez un Schumann qui dès son adolescence se nommait doppelgänger, et voyait en son « moi » un Florestan – ardeur, élan, parfois agressivité – et un Eusebius – équilibre, harmonie, compréhension -… Tout comme, rappelle Rémy Stricker, sans qu’il soit besoin d’ajouter un « hélas » à la plainte de Faust chez Goethe : « Deux âmes, hélas, habitent en mon sein. »


Je t’aime aussi

Car en 1841, quand Robert écrit sa Fantaisie – « je suis tenté d’écraser mon piano, il devient trop étroit pour contenir mes idées » – , il sait qu’après le mariage il peut entrer dans la voie de la musique de chambre, de l’orchestre et même de l’opéra (« ma prière du matin »)….Le jeune marié heureux, qui vient de terminer sa 1ère Symphonie, ne paraphrase-t-il pas l’inlassable dialogue amoureux qui deviendra chez Debussy : « Je t’aime » – « Je t’aime aussi » ? Tous ceux qui sont si touchés par cette partition unique seront en accord avec ce qu’en écrivait l’esthéticien Marcel Beaufils (1899-1985) : « Ce sentiment d’unité dans le calme, en dépit d’épisodes passionnés, cette idylle de rêve dans la joie, de couleur jusque dans l’harmonie, ce qui fait l’éternelle jeunesse et la lumière de l’op.54 ».


Quelque chose de plus proche de nous

Et même si les ouvrages d’extrême qualité sur Schumann ne manquent pas et sont aujourd’hui facilement accessibles, on a envie de citer ceci, devenu quasiment inédit : « Florestan s’est dressé avec sa claironnante allégresse qui chevauche motif et figures, leur imprime son agitation et les surmène. Là, c’est Eusebius qui tente de les faire rentrer dans leur orbite, qui jette sur eux ses fleurs de pieuse tendresse, si bien que la mélodie jaillit avec une inspiration double, et que les figures qui l’élaborent ont la trouble luxuriance de végétation appartenant à des climats différents… Œuvre étrangement composite, musique si tendre, si délicate, nous effleurant d’une caresse si légère qu’on dirait d’une fleur qui expire, et si âpre et rude, d’une fièvre si tumultueuse qu’on croit être emporté dans une tempête qui fait courber jusqu’à terre les arbres centenaires. La musique de Schumann est toute musique et cependant autre chose encore que de la musique….Quelque chose y est plus proche de nous, qui par tant d’indissolubles liens, sommes attachés à cette terre. » Ces lignes viennent d’un article écrit en 1935 pour la Revue Musicale par Victor Basch, dont on espère que l’année prochaine ne sera pas oublié le 150e anniversaire de la naissance (1863-1944) et dont on ferait bien de rééditer , entre autres, les ouvrages sur Schumann.


La noblesse du courage

Cet « esthéticien général » (qui écrivit aussi sur Le Titien, la poésie anglaise, la philosophie allemande, la pensée anarchiste) fut professeur d’université, philosophe engagé qui co-fonda la Ligue de Défense des Droits de l’Homme au moment de l’affaire Dreyfus, dénonça la montée du nazisme, puis soutint la formation du Front Populaire…. A 80 ans, il fut arrêté par la Milice Lyonnaise (dont Touvier était le chef), puis abattu au révolver dans les environs nord de Lyon en même que sa femme Hélène. En unje époque de réhabilitation plus ou moins sournoise d’artistes et créateurs collaborationnistes-racistes (« d’un côté il y a les actes, certes condamnables, mais de l’autre, les œuvres, et ça ne communique pas » ; ou tout simplement : « en fin de compte, l’art doit rester au dessus de la politique »), songeons à ceux qui mirent en harmonie leur pensée, leur imaginaire et la noblesse du courage en face d’une Histoire un temps gouvernée par l’idéologie des crimes contre l’humanité.


Monsieur, vous vous intéressez à la musique ?

En 1845, Schumann complète sa Fantaisie par un Intermezzo et un Finale. Clara crée ce qui est devenu un Concerto ; elle est la virtuose fêtée mais les maternités rapprochées et l’égotisme de son compositeur de mari (il s’approprie l’usage de l’unique piano, l’interprète passera ensuite) la frustrent ; « de même », Robert est brimé quand en tournée à l’étranger avec sa femme, on lui demande : « Et vous, Monsieur, vous vous intéressez à la musique ? ». En 1845, ce Concerto reçoit un accueil assez frais de la critique. Clara est déçue de ne pas trouver dans les nouveaux mouvements ce qui la mettrait mieux en valeur. A tel point qu’en 1857 – trois ans après la mort de Robert -, elle demandera à leur ami le violoniste Joachim de réviser un Finale qui ne lui plaît guère. Sans succès, Dieu merci !


Brahms le nordique

Tiens, continuons un peu l’Histoire. Quand Brahms écrit en 1885 sa 4e Symphonie, il vient de passer la cinquantaine. L’unification allemande a progressé, mais sous la férule d’un système dominé par la Prusse, qui après avoir infligé une rude leçon à l’Empire autrichien (Sadowa, 1866) et puni l’orgueil de la France (1870-71), l’humiliant au point de proclamer à Versailles occupé un Empire Allemand. Ce sera l’Empire du chancelier Bismarck (jusqu’en 1888), puis celui de Guillaume II, appuyé sur l’essor moderniste d’un capitalisme industriel qui tente même de prolonger sa victoire en partage colonial des terres africaines. Cette domination du nord sur le sud n’a-t-elle pas aussi son symbole – une « musique de l’avenir » – dans le wagnérisme ? Adoubé par Schumann saluant en ce jeune homme génial le continuateur d’un romantisme qui s’attarde, Brahms le nordique s’en viendra certes dix ans plus tard habiter Vienne dont les charmes le conquièrent, mais il aura évolué (hors piano et musique de chambre) vers une organisation rigoureuse, appuyée sur la stabilité de formes à leur façon traditionnelles, qui le fera choisir – un peu malgré lui, il n’a pas le tempérament d’un idéologue – comme chef d’une école antimoderniste par Hans de Bulow, inventant pour son nouvel ami le slogan fédérateur des 3 B, Bach-Beethoven-Brahms.


31, 32, 33 ?

Obsédé par le génie de Beethoven, Brahms n’avait osé commencer la symphonie qu’à 44 ans, et sa 4e – ultime, triomphalement accueillie – constitue un chef d’œuvre tardif. L’armature de l’allegro initial se réalise autour de trois thèmes principaux – élégiaque, héroïque, ardent – qui sont d’ailleurs « développés » hors des schémas attendus. L’andante fait alterner « une mélopée archaïsante et une noble phrase » ardente, dans un climat de méditation rêveuse. Un allegro giocoso introduit la gaieté d’une danse populaire. Le finale fait recours à une structure « ancienne » – thème de huit notes égales, c’est le principe de la chaconne ou passacaille des temps baroques -, mais les 31 réapparitions du thème (tiens, pas loin des Goldberg de Bach ou des Diabelli de Beethoven…) instaurent un climat envoûtant, quelque peu obsessionnel, où l’imaginaire retrouve sa place mystérieuse par delà les apparences d’une rationalité si maîtrisée.


Joyeuses épouses de Windsor

Il est de coutume, depuis bien longtemps, d’inscrire en ouverture d’un concert symphonie-concerto, une…ouverture d’opéra. Si on vous dit : « Les Joyeuses Commères de Windsor », vous ferez peut-être tilt chez un certain Nicolai, dont ce serait l’oeuvre la plus connue (la seule ?), et vous aurez raison. Le hasard veut que Carl Otto Nicolai ait vécu dans des limites exactement chopiniennes, 1810-1849. Pour le reste, s’instruire en dictionnaire de la musique sur une vie d’ailleurs sans banalité (jeune Berlinois qui s’enfuit de chez son père persécuteur, études avec Zelter – le famulus musical de Goethe -, voyage à Rome comme organiste de l’ambassade prussienne, compositeur à propos de la mort de Bellini, fonctions intermittentes à Vienne, écriture de plusieurs opéras, mais aussi de partitions religieuses et symphoniques…). Ces Joyeuses Commères (ou selon traduction plus exacte : Epouses) viennent évidemment de Shakespeare, et iront ensuite du côté de deux Falstaff célébrissimes, le musical de Verdi, et le filmique d’Orson Welles…


Le poète parle

Bref, ce clin d’œil à la comédie –romantique tempérée par l’italianisme – ressemble bien au chef –et-pianiste qui visite une nouvelle fois l’Auditorium et galvanise l’O.N.L. Christian Zacharias – né en Inde, de parents allemands, mais revenu deux ans plus tard en Europe – garde, à 61 ans, l’allure d’un étudiant perpétuel, vivant de culture générale (les lettres en rapport avec la musique), et grâce à sa « double nationalité artistique, allemande et française », faisant partager à tous ses publics une passion de comprendre, de mettre en relations, de ressentir. Après avoir reçu l’enseignement de la pianiste russe Irène Slavin et de Vlado Perlemuter, obtenu des prix aux Etats Unis, en Suisse et à Paris (tiens, un prix Ravel pour ce disciple de Perlemuter…), Christian Zacharias a mené une carrière magistrale de concertiste, de chambriste puis – à partir de 1990 – de chef d’orchestre(Orchestre de chambre de Lausanne depuis 12 ans). Ses enregistrements des sonates de Schubert et des concertos de Mozart entraînent l’admiration, et ses émissions (Schumann : le poète parle ») font mieux entrer dans les univers qu’il aime, et décrit si bien.

Christian Zacharias, piano et direction. Lyon, Auditorium. Jeudi 15 mars 2012, 20h ; samedi 17, 18h ; dimanche 18, 16h. Orchestre National de Lyon, direction et piano Christian Zacharias. Otto Nicolai (1810-1849), Ouverture des Joyeuses Commères ; Robert Schumann (1810-1856), Concerto op.54 ; Johannes Brahms (1833-1896), 4e Symphonie.
Information et réservation : T. 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

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