samedi 20 avril 2024

Centenaire de la mort de Scriabine 1915-2015

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scriabine_alexandre--centenaire-1915-2015Centenaire de la mort de Scriabine 1915-2015. Tous ses portraits photographiques l’attestent : il était un dandy à fière allure, affichant une moustache aux pointes savamment effilées qui lui donnaient l’aspect d’un prince aventurier d’un autre âge… Russe par sa naissance, Scriabine demeure européen : un musicien qui pense la musique en visions fulgurantes, établit des relations inédites entre poésie et musique (comme Schumann), philosophie (Strauss) et aussi couleurs (avant Messiaen). L’on ne saurait même être incomplet ici sans citer les rapprochement avec la peinture comme l’indique clairement les relations de Scriabine avec Jean Delville (dont l’image du Prométhée a inspiré celui de Scriabine) et aussi Kandinsky ! C’est un moderne qui recycle les grands romantiques avant lui (Liszt, Chopin), dessine à l’époque de Berg, Stravinsky et Szymanowski, les nouvelles frontières et le nouvel horizon de la musique; … en somme, un maître alchimiste qui ouvre le chemin pour Cage et Stockhausen. Scriabine a élevé l’acte musical au niveau du cosmos. Voici son portrait pour le centenaire de sa mort, survenu en avril 1915. Il n’avait que 43 ans.

Né à Moscou en 1872, Alexandre Scriabine est élevé et initié à la musique par sa tante. A 10 ans il intègre le corps des cadets de l’Ecole militaire, tout en suivant déjà l’enseignement de Nicolas Zverev (piano, dans la pension de ce dernier : Rachmaninov est son jeune confrère et ami) et de Sergueï Taneïev (composition). A 16 ans, il retrouve Taneïev au Conservatoire, et entre dans la classe d’Arenski (composition). A l’époque de la composition de la Sonate n°1 – un genre dans lequel il se montre un nouveau maître absolu tant par la concision de l’architecture resserrée, que l’invention harmonique et mélodique d’une irrésistible intensité-, Scriabine comme ce fut le cas de Schumann auparavant (autre compositeur pianiste) subit une paralysie de la main droite qui le fait basculer dans une profonde dépression.  Il n’a que 20 ans (1893), mais très vite, une splendide carrière de pianiste virtuose, tenant à la fois de Liszt pour la bravoure électrique et spirituelle, et Chopin, pour l’incandescence introspective (tournée vers l’ivresse, l’extase, toujours la sublimation de l’acte musical) s’affirme peu à peu, comme en témoigne ses premières tournées européennes (Allemagne, Suisse, Italie : 1895) et aussi ses récitals à Moscou et Saint-Petersbourg. Sur les traces de Chopin (mais aussi « concurrencé » par Rachmaninov), Scriabine rassemble d’anciennes partitions, en écrit de nouvelles : ce sont les fameux sublimes 24 Préludes opus 11 de 1896.
Avec son Concerto pour piano en fa dièse majeur opus 20, Scriabine devient lui-même, suscitant la jalousie du corps professoral et aussi ceux qui ardents partisans du folklore russe et usant et abusant de références slaves, tels Rimski, ne comprennent pas que Scriabine affecte d’être plus occidental que russe, sans jamais développer une mélodie russe ou slave dans sa musique.  A 26 ans (1898), le jeune pianiste compositeur devient néanmoins professeur au Conservatoire de Moscou (piano).

 

 

 

les cimes du romantisme

 

delville prometheeHabité par la forme pure et le langage d’une musique surtout spirituelle, elle-même porteuse d’un idéal philosophique où le créateur démiurge rend audible l’harmonie cosmique, Scriabine s’intéresse en 1900 à l’écriture symphonique. Sa Symphonie n°1 puis n°2 (1901) marque l’ampleur d’une pensée musicale inédite ; Scriabine se passionne alors pour Nietzsche. Il a toujours été un lecteur et un poète assidu (ses Carnets tenus sa vie durant offrent aujourd’hui une idée exacte et précise de sa pensée : ils témoignent dès le début d’un goût affûté pour l’écriture et la quête de correspondances littéraires et musicale).

L’année 1903 qui est celle de ses 31 ans marque une rupture : il démissionne du Conservatoire, pour ne s’exercer qu’à la composition. En outre il rencontre une nouvelle élève Tatiana de Schlœzer, qui sera sa seconde épouse, la compagne qui le comprend à la perfection… certainement mieux que sa première épouse Vera Ivanovna Isakovitch (épousée en 1897 à 25 ans!). En 1903, le musicien compose aussi sa Symphonie n°3 opus 43, dite « le divin poème ».

 

 

 

Dernière décennie (1905-1910)

 

scriabine alexandre_scriabineScriabine quitte Vera en 1905 et s’installe avec Tatiana à Bagliosco. Dès lors, pendant les 10 dernières années de sa vie (son décès survient  le 14 avril 1915), Scriabine approfondit encore son travail sur la forme et le sens de l’art musical : chef d’oeuvre prométhéen et lisztéen (- Prométhée inspirera un prochain sommet orchestral en 1911…-), le Poème de l’extase opus 54, contemporain de la Sonate n°5 opus 53, date de 1907.  L’œuvre oscille constamment entre poison et enchantement, ivresse, extase, danse et transe… De près de 25 mn (selon les versions), c’est définitivement sa 4ème Symphonie et le prolongement de ses recherches déjà inouïes dans le genre symphonique : une synthèse d’un flamboiement sonore qui exige couleurs, transparence, précision arachnénenne ; Scriabine comme le jeune Stravinsky (celui tout aussi génial qui conçoit L’Oiseau de Feu, et Petrouckha avant l’implosion du Sacre) impose une maestrià d’orchestrateur irrésistible. Mais au delà du sujet, l’écriture semble porter l’orchestre vers un point de fusion toujours plus élevé : la sublime fanfare céleste finale tempère le tissu outrageusement sensuel qui s’est développé auparavant, préludant à l’éblouissement conclusif énoncé comme l’aube d’un monde à naître En 1908, son éditeur exclusif, le chef d’orchestre hyper dynamique, Serge Koussevitsky lui alloue une rente annuelle contre de nouvelles compositions : l’auteur peut donc vivre de sa principale activité.
Dès 1909, Moscou et Saint-Petersbourg reconnaissent la valeur du Poème de l’extase. En 1911, à Moscou, il fait créer son Prométhée avec un immense succès; plusieurs tournées en Allemagne, Hollande (1912) et aussi à Londres (1913) couronnent le génie de Scriabine comme pianiste et compositeur (les Sonates n°8, 9 et 10 datent de la même année 1913). Vers la flamme, poème opus 72 est l’aboutissement de toute la carrière.
Marqué par la pensée du musicien et philosophe soufi Inayat Khan, Scriabine quelques temps avant de mourir, songeait à construire un temple en Inde à Madras pour la création de sa nouvelle partition Mystère (dans le parc de la Société de Théosophie). La partition est son testament et demeure inachevée à ce jour.

Malgré son caractère subliminale et hautement intellectuelle, d’une virtuosité cependant essentielle (car millimétrée selon un schéma de développement souvent concis et synthétique : même dans ses Symphonies, le compositeur n’aime pas s’étendre), l’écriture d’Alexandre Scriabine séduit toujours par son originalité harmonique et surtout sa profonde sensualité. De l’ivresse à l’extase et aux vertiges conscients, toujours parfaitement calibrés, chaque partition de Scriabine relève d’une transfiguration: l’indice d’une quête coûte que coûte préservée, menant de la danse à la transe.
Jamais dogmatique ni démonstrative, l’écriture de Scriabine sait devenir pure poésie a contrario de l’ambition spirituelle qui la soustend. Les titres de ses œuvres majeures (Le divin poème, le Poème de l’extase, vers la flamme, Prométhée…) disent assez l’absolue exigence de celui qui vécut la musique tel le couronnement des disciplines spirituelles.

 

 

Illustrations : Portraits de Scriabine (1872-1915) ; Prométhée de Jean Delville (DR)

 

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