CD. Schubert : Valses nobles, Sentimentales Sonate D 537 (Guillaume Coppola, 1 cd Eloquentia). En s’attachant principalement aux œuvres méconnues ou moins jouées de Schubert, Guillaume Coppola souligne la finesse suggestive, onirique, radicale, ce bouillonnment de l’intime qui fait la séduction irrésistible des partitions ici choisies… Valses nobles, Valses sentimentales, le pianiste Guillaume Coppola délivre le message d’une secrète intériorité d’un Schubert qui tout en s’enivrant de ses propres divagations, approfondit en réalité une quête intérieure, tissée sur la durée, dans la pudeur et la suggestivité. L’arche tendue d’un long parcours qui se lit à travers les deux cycles dansants, soit 12 puis 34 Valses caractérisées, dessine une perspective dont l’interprète sait restituer la secrète unité organique.
Miniatures – la plus longue est la 3ème des Nobles (plus de 2mn), quand la plupart avoisine, 30, 40 ou 50 secondes, – majoritairement sur le rythme syncopé balançant et donc hypnotique dit » anapestique » (2 croches/ 1 noire)-, il s’agit d’esquisses – bambochades dirions nous en contexte pictural-, d’un trait d’humeur rapidement esquissé qui suscite surtout une part de liberté et de fine légèreté proche de l’esquisse ou de l’improvisation. Le pianiste les aborde moins comme des passades sans enjeu que, de séquence en séquence, une même course vers des épisodes d’un seul et unique paysage : aliment de base des fameuses schubertiades, chaque valse enchaînée avec la suivante compose un miroitement sensible où triomphe toujours sous les doigts agiles et conteurs du pianiste, la vitalité de l’instant, l’énergie mais aussi une multitudes de colorations plus ténues et subtiles : entre la tension d’un galop grande école et le geste fugace d’une caresse échevelée, libre, fantaisiste. L’ivresse et l’insouciance qui s’en dégagent, réalisent merveilleusement cet abandon désiré par les participants proches de Schubert, alors que sévit dehors dans les rues de la Vienne d’alors, la police répressive de Metternich. Nous sommes bien dans le rêve d’une Arcadie humaine, désireuse de paix, d’harmonie, du sérénité du songe.
Paysages et mondes oubliés d’un Schubert enchanté
Des Sentimentales, si bien nommées mais sans effusion ni voyeurisme aucun, tout l’art du toucher est là-, on retient la 13ème évidemment pour son rayonnement tendre et caressant, d’une douceur fraternelle si enveloppante… et comme éternellement tournante comme un perpetuum mobile… , mais aussi la 18è et sa cadence racée pleine de fierté comme d’élégance. C’est une série de séquences qui frappe par leur nervosité comme leur souplesse mélodique : acuité, précision, versatilité dynamique, Guillaume Coppola envisage chaque épisode comme un mini drame d’une mordante vivacité. Un appétit de vivre qui contraste évidemment avec la gravité des pièces complémentaires : la Sonate D 537 de mars 1817. Le premier mouvement semble habité par une détermination parfois véhémente (accords premiers d’un marcato beethovénien), que contrepointent des facettes plus enivrées elles aussi mais caractérisées avec une profondeur mystérieuse : rêverie, abandon ou élan conquérant, le clavier balance constamment entre les deux aspirations. Net, franc, nuancé, le jeu de Guillaume Coppola (y compris dans le second mouvement et son allegretto staccato guilleret en forme de marche errance) restitue à la Sonate son questionnement permanent voire son mouvement de course frénétique, de volonté éperdue qui colore l’ensemble d’une vélocité souvent irrésistible.
Enfin, superbe conclusion en forme de miniature elle aussi, la mélodie hongroise D 817, composée à la fin de l’été 1817 chez les Esterhazy, saisit par sa grâce nerveuse élégantissime, une synthèse de style viennois : son allure plus tzigane qu’hongroise, inspirée directement d’un air chanté par une domestique de la maison, précipite tout l’art d’un Schubert, génies des enchaînements, passant du mineur au majeur, sans faiblir, et là aussi avec cet aplomb enchanté qu’ont les interprètes les mieux inspirés. Caressant les notes pointées d’un chef d’œuvre concis, condensé, de moins de 4mn, – au développement minimal-, Guillaume Coppola à la fois agile et percutant, sait basculer dans le rêve le plus tendre et le plus intime, arrêter le temps, suspendre la note… ouvrir les mondes invisibles, donner matière à la pure rêverie, en une marche errance devenue rituel enchanté. Récital d’un immense Schubertien, poète arpenteur et conteur habité.
Franz Schubert (1797-1828) : Valses nobles D969, Sonate en la mineur D537, Valses Sentimentales D779, Mélodie hongroises D817. Guillaume Coppola, piano. 1 cd Eloquentia EL 1445.