vendredi 29 mars 2024

CD. Rival Queens. La Genaux / Bordoni contre La Kermes / Cuzzoni (1 cd Sony classical)

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CD sony rival queens simone kermes vivica genaux Rival QueensCD. Rival Queens. La Genaux / Bordoni contre La Kermes / Cuzzoni (1 cd Sony classical). En gants de boxe, mais robes XVIIIè, les deux divas vedette de l’écurie Sony classical s’offrent comme à l’époque du Haendel Londonien et de Porpora son rival napolitain, une joute lyrique : ces reines rivales, – l’une soprano (Simone Kermes), l’autre mezzo (Vivica Genaux) surenchérissent en performances coloratoure, sur les traces des divas adulées au XVIIIè à Londres entre autres ce 6 juin 1727 dans l’opéra de Bononcini : Astianatte. Francesca  Cuzzoni et Faustina  Bordoni la Vénitienne, de la même génération (nées en 1696 et 1697) s’y révèlent redoutables, déterminées et même agressives, n’hésitant pas à s’injurier et s’empoigner.
Sur le plan strictement musical et artistique, l’enjeu de la joute demeure expressif et technique : l’agilité, mais aussi l’étendue de la tessiture (aigus très haut perchés), l’habilité à colorer et nuancer sa propre expressivité sont de rigueur. Pourtant outre la suprême virtuosité, il faut surtout une justesse de ton, une expressivité et une style qui privilégie la finesse intérieure sur la seule carrure tapageuse et démonstrative. L’idéal aurait assurément été de les écouter dans les mêmes airs, ce qui aurait supposé deux tessitures égales : en réalité la chose aurait pu être réalisée car les deux chanteuses citées (Francesca et Faustina) ont incarné à deux temps différents, le même air dans l’Artaserse de Hasse à Venise en 1730 (l’air :  « Va tra le selve ircane « , créé d’abord par la Cuzzoni, est ensuite repris dans une version différente par la Bordoni à Dresde en 1740). Mais respectant la couleur et le grain du timbre de chacune, le choix des airs prend en compte l’agilité claire de Vivica, le flou dramatique de Simone : osons dire d’emblée que cette joute tourne à l’avantage de Vivica Genaux dont la précision des vocalises, le brillant claire du timbre, la musicalité souple, surtout son souci du verbe et de l’intelligibilité écrasent les capacités (réelles) de sa rivale : comparée souvent à Bartoli, Simone Kermes paraît souvent terne, manquant de fluidité sobre, toujours tournée vers un intensité et une nervosité violente et spectaculaire, qui certes veut en découdre mais manque singulièrement de profondeur comme de poésie, de finesse comme nuances. Naples, Londres, Rome et surtout Venise, les opéras ici ressuscités dont la majorité en « premières mondiales » illustrent l’essor du genre seria acrobatique et rien que virtuose, propre aux années 1720 et 1730 : traitant l’autre de garce et de catin, poussées chacune par leurs partisans particulièrement remontés en ce soir du 6 juin 1727 au Haymarket de Londres, deux divas célèbres, la parmesane Faustina Bordoni (née en 1696) et la Vénitienne Francesca Cuzzoni (née en 1697) que la dignité et l’élégance habituelle tenaient dans la bienséance la plus respectable, se crêpent le chignon sur scène devant un parterre médusé … dont la princesse de Galles.La Genaux / Bordoni contre La Kermes / Cuzzoni
2 divas sur le ring …
L’Astianatte de Bononcini n’espérait pas une telle publicité : un pugilat mémorable dans l’histoire de l’opéra baroque. Leur collaboration pour un même opéra remonte à 1718 à Venise : elles se retrouvent ensuite sur la même affiche en 1719 à Venise et Milan puis 1721 à Venise, également; de 1726 à 1728, la Royal Academy of music de Londres engage les deux divas au risque d’enflammer leur rivalité de plus en plus explicite… de fait, l’événement inconcevable se produit donc en 1727, chacune à peine trentenaire revendiquant le statut de « prima donna ». Si les témoignages (surtout celui de Tosi) fixent dans l’imaginaire, le beau chant d’expression de la Cuzzoni – Orphée (son cantabile amoureux en particulier) et celui de bravoura de la Bordoni – Sirène (agilité coloratoura), ils nous restent pour imaginer concrètement leurs formidables capacités, des airs taillés pour ces machines à vocalises acrobatiques. En réalité les commentaires sur les deux divas sont assez proches, révélant des tempéraments en miroir : les deux étant aussi douées l’une que l’autre pour l’introspection de caractère ou la performance acrobatique : profondeur et virtuosité. De quoi faire rêver les divas modernes.

De fait, le programme de ce disque laisse envisager des qualités spécifiques qui pourraient bien aujourd’hui, selon l’écriture des airs, singulariser l’une par rapport à l’autre. A écouter les airs de Pollarolo, Lucio Papirio (air de Papiria, 1720), de Lucio Vero d’Ariosti (1727), Numa (1741) et Didone abbandonnata (1742)  de Hasse : La Bordoni (ici Vivica Genaux) devait étonner par son souffle illimité. Face à elle : les airs virtuosissimes de Cuzzoni éclatent dans Da tempesta il legno infranto du Cesare de Haendel (en 1724), ou l’air, ici chanté par Kermes,  » Benché l’augel s’asconda  » (Mandane du Ciro riconosciuto de Leonoardo Leo (Turin, 1739) qui renvoie à une esthétique plus intérieure.

L’intérêt du disque est évidemment de distinguer des particularités distinctives voires discriminatoires qui départagent inévitablement les talents. C’est aussi un répertoire passionnant qui révèlent toutes les nuances de la virtuosité : de 1720 à 1739, entre les vénéto émiliens tels Ariosti, Bononcini, Giacomelli, Pollarolo) et les compositeurs passés et très fortement marqués par le moule napolitain : Arena, Hasse, Leo, Poropora, Sarro, Vinci…

Eclat et intériorité de La Genaux / Bordoni

Cuzzoni eut-elle réellement ce cantabile amoureux, douée d’une expressivité poétique à tomber telle que l’incarne ici à sa façon La Kermes ? Malheureusement, l’expressivité courte et sans guère de nuances de son Andromaque dans l’opéra fameux de Bononcini (Astianatte, cadre des affrontements historiques), air  » Svenalto, traditor  » où l’héroïne est prête à mourir, comme hallucinée et au bord de l’évanouissement… laisse un goût d’inachevé. L’air d’agilité du Ciro riconosciuto de Leo ( » Benché l’augel s’asconda  » de Mandane, Turin, 1739) manque de pêche, de brio, de clarté, d’incisivité et la voix fait valoir des usures problématiques… le souffle est court et le style manque singulièrement de finesse comme de réelle et souple implication (même constat pour sa récente Comtesse des Noces de Figaro de Mozart emporté par ailleurs à l’orchestre par Teodor Currentzis : Kermes y paraissait comme le maillon faible).

rivals-queens-genaux-kermes-sony-classical-cd-Préfère-t-on pour autant l’agilité de bravoure de La Genaux, épatante mitraillette mais aussi (et mieux que sa consœur, tant pis pour elle), troublante, enivrante grâce aux couleurs intérieures d’un chant pas que démonstratif ou strictement virtuose ?.. Mais réellement enivré et même enchanté capable de couleurs intérieures convaincantes : la chaleur du timbre outre son agilité, sa claire vibration font la réussite de l’air de Papiria  » Padre amoroso  » (Venise, 1720) : prière sincère d’une fille à son père indécis… Même épanchement pudique et d’une dignité blessée dans Lucio vero d’Ariosti (créé à Londres en 1727 comme l’opéra fameux de Bononcini) : La Genaux / Bordoni exprime au plus juste la douleur mesurée d’un cœur qui s’interdit tout épanchement…  Dans un air nettement plus virtuose enchaînant les cascades de notes et de vocalises comme justement l’opéra de la confrontation malheureuse (Astianatte de Bononcini, Londres 1727 dont elle chante l’air d’Ermione), la musicalité coloratoure de la mezzo canadienne fait… mouche : une assurance déterminée qui exprime la volonté d’un cœur capable de volonté cruelle.

L’affrontement a révélé ses apports et ses enseignements. Insouciante ou bonne joueuse, pariant sur la seule énergie du défi, Simone Kermes savait-elle que son étoile aurait à en pâtir ? Heureuse Vivica Genaux (déjà habituée à l’agilité napolitaine dans un recueil ancien dédié à Farinelli et aux castrats) : la diva de Fairbanks captive de bout en bout par son agilité et son intelligence, sa finesse expressive comme sa précision technique. Reconnaissons que sa rivales Kermes ne partage pas à la même hauteur, la chaleur et la richesse harmonique du timbre, la vitalité précise et construite de la coloratoure… Outre le tonus et l’éclat de La Genaux / Bordoni, saluons l’intérêt du répertoire ici abordé. Les instrumentistes de La Cappella Gabetta manquent parfois cependant de vraie subtilité, faisant basculer l’ensemble vers une stricte nervosité démonstrative… Pas facile décidément d’éviter les effets au détriment de la profondeur. En l’occurrence, la joute ici départage clairement les talents en présence…

 
CD. Rival Queens. La Genaux / Bordoni contre La Kermes / Cuzzoni (1 cd Sony classical)
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