CD. John Adams : The Gospel according to the Other Mary (Dudamel, 2013). Alors que l’Opéra du Rhin s’apprête à produire en création française son opéra antimilitariste Doctor Atomic (2-9 mai 2014), Deutsche Grammophon publie au disque en première mondiale, le drame sacré que John Adams a composé pour le Philharmonic de Los Angeles et qui a été créé en 2012, puis repris comme ce live en témoigne, en mars 2013.
John Adams retrouvait en 2012 et 2013, ici pour la création américaine du Gospel, son complice le scénographe Peter Sellars mettant en espace l’action spirituelle (comme les deux avaient collaboré pour El Niño en 2000). A l’origine, pour l’auteur d’opéras (au génie déjà reconnu grâce à ses ouvrages lyriques précédents The death of Klinghoffer et Nixon in China entre autres), il s’agit surtout d’exploiter le contraste de tempéraments entre Marie la passionné voire la suicidaire et Marthe plus sereine voire maîtrisée malgré les événements éprouvants qui les accablent. En dépit d’une partition dramatiquement et musicalement hétérogène, le chef parvient à préserver une certaine cohérence de ton et de style.
La Partition dont Dudamel sait par tempérament latin, magnifiquement exprimer les aspirations sauvages, la violence viscérale du drame vécu par un choeur souvent halluciné ou en transe (choeur compassionnel des femmes en particulier)… est une passion – oratorio moderne qui assume pleinement le registre populaire et plébéien de son traitement. Son registre est même naturaliste (choeur des grenouilles juste après la mise en bière) ….
L’orchestre pour lequel a été commandé l’œuvre, rugit souvent en tension et spasmes fortement caractérisés, dignes du Stravinsky du Sacre du Printemps (partie solistes des clarinettes ivres dans l’épisode du Golgotha).
La part des voix solistes se révèle aussi bouleversante : premiers cris paniques et foudroyants de Marie (« … blessed, blessed »… ») en un lamento poignant qui prend des allures d’errance désespérée puis suspendue, crépusculaire dans la sublime scène de la nuit, précédée par le choeur des contre-ténors, lui aussi d’un pathétique extatique très réussi : … « Mary, behold thy son ! »…
Le long aria de Mary : « when the rain began to fall »… est un désert de solitude, un gouffre de souffrance. Le point culminant de la partition. Et comme un miroir révélateur, le portrait le plus juste de l’héroïne de ce drame sacré.
La réussite de la partition tient à l’alternance entre accents collectifs impressionnants, les séquences à 1,2,3 voix, sur le plan dramatique, incantations pathétiques déploratives (solos de Marthe) et stances surexpressives plus rageuses (Lazarus)… Le rapport des parties poétiques et l’architecture globale du poème tient aussi au choix des textes sélectionnés : Passions selon saint Jean, Marc, Luc, Mathieu et pour les interventions plus individualisées : poèmes issus du recueil Baptism on desire de Louise Erdrich.
L’écriture d’Adams tour à tour lyrique, sauvage, syncopée mêle éclairs et suspensions énigmatiques, gouffres et tremblements de terre … tout concourt à une dramatisation souvent passionnante des actes de la Passion. Sublime.
John Adams : The Gospel according to the other Mary. Los Angeles Philharmonic. Los Angeles Master chorale. Gustavo Dudamel, direction. 2 cd Deutsche Grammophon 00289 479 2243. Enregistrement réalisé à Los Angeles en mars 2014.
