CD. Grands Motets français. Desmaret, Campra, Rameau, Mondonville par Les Arts Florissants, William Christie. Le coffret Erato tombe à pic : fleuron de l’année Rameau 2014, récapitulatif d’un legs discographique majeur, et tout autant, focus remarquablement persuasif sur un pan entier de notre répertoire musical qui était bien oublié jusqu’au début des années 1990… jusqu’à ce que William Christie ne s’en empare en défricheur visionnaire et si justement inspiré : le fondateur et directeur musical des Arts Florissants révèle l’humanité et la splendeur des Grands Motets français. Il en dévoile même l’exceptionnelle fortune après les Lully et Lalande qui au XVIIème en avaient porté les fruits à leur sommet expressif pour le faste de la Cour versaillaise de Louis XIV. Le début du règne du Roi Soleil comme l’apparat quotidien de sa Chapelle s’expriment évidemment dans l’essor du genre : le motet « à grand choeur » – selon la terminologie d’époque, incarne la solennité et la sincérité d’un règne qui se voyait universel et central. Or le coffret que (re)publie aujourd’hui ERATO, met en lumière la permanence voire l’évolution du genre qui dépasse après Louis XIV son cadre strictement versaillais.
C’est toute la pertinence du regard et du geste de William Christie et de ses flamboyants Arts Florissants, chœur (si articulés et puissants) et instrumentistes (équilibre sonore somptueux) : le grand Motet suscite un intérêt croissant du public, il est liturgique certes mais bientôt joué pour les événements religieux mais pas que (dynastiques et militaires…), applaudi surtout partout dans le royaume au Concert Spirituel et dans les académies en Province.
De plus orchestral, italianisant, et même symphonique, le Grand Motet souligne l’ambition des auteurs inspirés par son langage et sa syntaxe : de la fin du règne de Louis XIV aux Lumières, les enregistrements réalisés par William Christie illustre l’essor singulier de la forme tout au long du XVIIIème : Campra, Desmaret, Rameau, Mondonville s’illustrent chacun dans sa propre écriture, spectaculaire, sincère, fervente.
William Christie dévoile le souffle irrésistible des Grands Motets
Il y faut comme à l’opéra, une maîtrise remarquable des grands effectifs. Nés en 1660, quinquas à la mort de Louis XIV, Desmaret et Campra insufflent au genre une couleur très personnelle ; d’autant plus dans le cas de Desmaret qui adresse en 1708 ses oeuvres depuis son exil à Nancy, telle une formidable supplique au Souverain… geste implorant et subtilement démonstratif comme Monteverdi lorsqu’ en 1611, il adressait ses Vêpres de la Vierge pour susciter l’intérêt et la protection du Pape… Pas de meilleur cadre fertile et à fort potentiel, pour faire la preuve de ses capacités. De fait, Louis XIV les apprécia et Desmarets put être fier de gagner cette épreuve musicale.
Campra, mort en 1744 succède à Lalande comme sous-maître de chapelle à Versailles en … 1723. Il est déjà sexagénaire : il recycle alors nombre de grands motets initialement écrits pour les Cathédrales d’Aix et de Paris.
Né en 1683, décédé il y a 250 ans en 1764, l’infatigable et réformateur Rameau, en son génie expérimental, « ose » le genre Motet avant l’opéra : de fait, ses Grands Motets, probablement composés pour Dijon, Lyon ou Clermont et pour les salles de concert ou des événements encore imprécis, attestent de sa maestrià alors même qu’il est jeune et qu’il ne s’est pas encore fixé à Paris (1722) : harmonie audacieuse, écriture chorale époustouflante, airs italianisants d’une virtuosité jamais vue jusque là, les Grands Motets de Rameau étonnent et saisissent toujours par leur exceptionnelle et flamboyante originalité.
Sur les traces du moderne Rameau, Mondonville né en 1711 et mort en 1772, de la même génération que Louis XV, affirme comme Rameau, lequel est a lors engagé sur le terrain de l’opéra, l’essor intact du genre Motet comme un cadre spectaculaire, propice au merveilleux et à l’inédit. L’In exitu Israel, le De profundis – pourtant conçus pour la voûte sacrée-, affirment l’éclat d’un nouveau génie du genre, miraculeux en 1750 ; ils sont applaudis au concert, hors du contexte religieux : au Concert Spirituel, au Concert de Lille (le Dominus regnavit est d’ailleurs écrit pour la salle lilloise), jamais les grands motets n’ont été aussi célébrés par un large public de nouveaux mélomanes. La syntaxe des Grands Motets atteint un raffinement inouï, une caractérisation précise de chaque verset comme le ferait un peintre d’histoire ; tout y est proche du texte, la musique en articule le souffle narratif, la suggestion spectaculaire (le reflux du Jourdain dans l’In exigu Israel vaut bien tempêtes et tremblements de terre décrits exprimés par Rameau dans ses opéras). L’orchestre, à partir de Rameau y gagne comme à l’opéra, une ampleur progressive, souvent aux couleurs et accents irrésistibles.
Ardent défenseur de ce répertoire, quasiment oublié avant qu’il ne s’y soit penché, William Christie saisit ici par la cohérence d’une regard qui s’étend sur des décennies et que le coffret dans son exhaustivité recouvrée met en lumière : à partir des années 1990, le fondateur des Arts Florissant se dévoue de toute son âme à la restitution complète des Motets à grand choeur, avec une ivresse sensuelle et un dramatise théâtral qui sait aussi préserver la profondeur voire l’humaine sincérité des partitions. Dès 1994, ses Grands Motets de Rameau étonnent par leur démesure flamboyante, leur autorité harmonique, leur audace formelle servies par un plateau de solistes indiscutables et des choeurs articulés, cohérents, déclamatoires… saisissants. Même réussite totale en 1996 pour un autre choc : Mondonville … dont alors on ne connaissait pas jusqu’au nom, et encore moins, au sein du grand public, les œuvres pourtant frappantes par leur imagination : un sens de la grandeur et de la caractérisation qui ne dépare pas aux côtés de l’immense Rameau. C’est dire. Puis comme remontant le temps et le fil d’une source impressionnante par la qualité des écritures révélées, Bill l’enchanteur ressuscite ce théâtre fervent de Desmaret (Grands Motets Lorrains de 1708 donc) en 1999, et les pièces non moins prenantes de Campra en 2002. Les 4 cd de ce coffret incontournable expriment l’œuvre décisive d’un chef de premier plan, sachant réunir autour de lui, une équipe inspirée, habitée, convaincante de bout en bout. Outre la majesté, les Arts Florissants ici à leur meilleur, ont la grâce et l’humanité : une offrande interprétative qui éblouit encore. Coffret événement.
CD. Grands Motets français. Desmaret, Campra, Rameau, Mondonville. Les Arts Florissants. William Christie (4 cd ERATO, 1994-2002).
agenda
Les Arts Florissants et William Christie sont en tournée en 2014 dans un programme mêlant Grands Motets de Rameau et de Mondonville (avec une distribution prometteuse là encore comprenant quelques uns des derniers lauréats du Jardin de Voix, l’académie vocale fondée par William Christie et qui en résidence tous les deux ans au Théâtre de Caen) : le 2 octobre à la Cité de la musique à Paris, le 7 octobre à la Chapelle royal de Versailles…