mardi 19 mars 2024

CD, événement, critique. Grétry : RAOUL Barbe Bleue, 1789, recréation – Orkester Nord / Martin Wåhlberg (2 cd  –  Aparté nov 2018)

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grétry portraitCD, événement, critique. Grétry : RAOUL Barbe Bleue, 1789, recréation – Orkester Nord / Martin Wåhlberg (2 cd  –  Aparté nov 2018). Grétry, maître de l’opéra-comique entre 1770 et 1790, demeure le plus grand génie musical et dramatique de l’Ancien Régime ; dans Raoul, il mêle les genres merveilleux voire terrifiant sur un arrière fond médiéval dans cette intrigue qui comme La Belle et la Bête est inspiré de Perrault, mais un Perrault comme rationalisé et plus contrasté encore par Sedaine. L’ouvrage n’a rien de « comique », sinon ses dialogues parlés empruntés au théâtre (y compris la gouaille bouffe efféminée, délirante d’Osman le serviteur de Raoul qui tempère le tragique horrifié d’Isaure, épouse séquestrée, confrontée à l’indicible horreur).

 

 

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Grétry en Norvège…

Orkester Nord / Martin Wåhlberg
jouent Raoul de 1789 :
Saisissante vitalité de l’orkester Nord

 

 

 

gretry raoul barbe bleue opera critique classiquenews cd aparte 3149028133691Le génie de Grétry s’affirme dans l’intelligence de séquences dont la situation dramatique lui inspire des tableaux admirablement orchestrés (le pastoralisme ramélien de la bergère qui conclut l’acte II, -divertissement des bergers-, après que Isaure dans la scène précédente, horrifiée par ce qu’elle découverte – dans le cabinet des têtes coupées, ne s’épanche sur l’épaule de Vergy travesti en demoiselle Anne-, et d’Osman surtout qui compatit à sa douleur). L’intensité expressive révèle surtout l’imagination exemplaire voire superlative du chef, vrai tempérament qui caractérise, sculpte le relief orchestral, apporte la vie, le nerf à une partition qui sur le papier pourrait sonner décorative et maniérée. Rien de tel : Martin Wåhlberg apporte une palpitation frémissante à chaque tableau, … amorçant loin des chefs français pourtant plus connus en France, et souvent « incontournables » dans ce répertoires, une route interprétative qu’il faut désormais suivre.

La verve des instrumentistes est époustouflante du début à la fin. Le chef comprend combien Grétry souffle un vent vivifiant, incessamment renouvelé : la sincérité des sentiments, de nouveaux héros tirés de la fable amoureuse ou fantastique (loin des sorcières, démons et rois mythologiques et royaux) captivent; cette science exprime la couleur déjà romantique de l’orchestre (les cors somptueusement mordants annoncent Weber). Le maestro nordique imprimant à la partition une vitalité étonnante, – absente en France actuellement parmi les chefs les plus aguerris et pourtant régulièrement invités à « défendre » les opéras de la période révolutionnaire et postérieurs (néoclassiques et préromantiques). Ce parti pris d’articulation et du nuances expressives permanentes se justifiant par la genèse même de l’ouvrage, créé par la troupe des comédiens italiens « ordinaires ». Il y a de fait un plaisir à jouer pour les musiciens et pour certains chanteurs, proche de la Commedia dell’Arte.

Voici le Grétry de la maturité ; de toute évidence, vrai, profond – sincère, délicat et grave à la fois (proche du Requiem d’un certain Mozart). Il est vrai que représenté devant le Roi en mars 1789 et sur le livret de Sedaine, Raoul Barbe Bleue sous son masque de galanterie médiévale horrifique a tout d’un drame à multiples entrées qui contient la très mature inspiration de Grétry, comme perméable aux évolutions de son temps, l’année 1789 restant marquante dans l’histoire française à juste titre.
L’enregistrement réalisé en Norvège en nov 2018 apporte la preuve que Grétry n’a aucun mal à renouveler sa manière : à 48 ans, – il mourra en 1813, le compositeur maîtrise parfaitement tous les rouages et les possibilités offerts par le genre opéra-comique.

 

 

LES CHANTEURS PLUTÔT QUE LES CHANTEUSES… Parmi les solistes d’une distribution inégale, regrettons le choix de la soprano française Chantal Santon qui omniprésente dans le rôle d’Isaure, finit par agacer par son maniérisme expressif en commande automatique ; par ses aigus vibrés monotones et souvent tendus, avec cerise sur le gâteau un français inexistant, constamment inintelligible, en particulier dans son fameux air des bijoux (Acte I, scène 8) où la coquette se révèle alors, trop faible, cœur vénal, perméable à l’or et aux pierreries… – mais sans la présence du texte, l’écoute perd beaucoup de la finesse réelle de cette séquence ; même déception de la part d’Eugénie Lefebvre (bergère lisse et sans relief, elle aussi inintelligible et de surcroît fatiguée dans le dit divertissement de la fin du II). Dommage. Ici les chanteuses ont perdu tout éclat.

CLIC D'OR macaron 200Par contre saluons la prestance des hommes, tous mieux articulés et plus nuancés car il n’oublient jamais le texte… Mathieu Lécroart (sombre Raoul), très présent et vocalement coloré François Rougier (Vergy, l’amoureux défenseur de la belle Isaure), comme la verve théâtrale du pétillant Manuel Nuñez Camelino et son accent hilarant (Osman) ; les deux nobles, frères d’Isaure Enguerrand de Hys et Jérôme Boutillier (Carabi et Carabas). A nouveau, on s’étonne qu’il ne soit pas proposé cette production en France. L’opéra comique français ressuscite à l’étranger, affirme ses vertus à travers le disque. Une vertu de défrichement qui accrédite cette version malgré les déficiences évidentes du plateau. L’orchestre, lui, rend justice au style mozartien et préoffenbachien de Grétry, génie de l’opéra comique.

 
 
 

 
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CD, événement, critique. Grétry : RAOUL Barbe Bleue, 1789, recréation – Orkester Nord / Martin Wåhlberg (2 cd  –  Aparté nov 2018). Durée totale : 1h27mn  –  Parution le 15 nov 2019.

 

 

 

André E M Grétry (1741 – 1813) : Raoul Barbe Bleue, opéra-comique en 3 actes, livret de Michel Sedaine – Créé à l’Opéra-Comique, le 2 mars 1789

Isaure : Chantal Santon-Jeffery
Vergi : François Rougier
Raoul : Matthieu Lécroart
Osman : Manuel Nuñez Camelino
Jeanne / Une Bergère : Eugénie Lefebvre
Jacques : Maine Lafdal-Franc
Le vicomte de Carabi : Enguerrand de Hys
Le marquis de Carabas : Jérôme Boutillier

Orkester Nord – Martin Wåhlberg, direction.

 
  

 

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