vendredi 29 mars 2024

CD, critique. JONAS KAUFMANN : AN ITALIAN NIGHT (1 cd SONY classical, 2018)

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italian night jonas kaufmann sonu classical cd critique par classiquenewsCD, critique. JONAS KAUFMANN : AN ITALIAN NIGHT (1 cd SONY classical, 2018). Timbre d’airain, contrôlé sur toute la tessiture, avec ce medium désormais presque barytonant (en particulier dans Cielo e mar de La Gioconda de Ponchielli, abordé avec une couleur fauve et sombre d’une irrépressible langueur blessée radicale), … la prestation vocale du bavarois Jonas Kaufmann répond à nos attentes. Saluons cette ivresse éperdue des héros marqués par le destin, promis à vivre les élans extatiques amoureux d’une irrépressible passion… De toute évidence Jonas Kaufmann affirme ici dans cet exercice de plein air et immergé parmi un public très nombreux, qui l’acclame à chaque passage vers l’aigu en général très bien négocié. La présence des spectateurs dans le théâtre à ciel ouvert de la Waldbuhne de Berlin conditionne tout le dispositif d’un spectacle qui évidemment heurtera les plus pointus, habitués, nantis des salles fermées de l’opéra.
Mais le genre a besoin de ses grandes messes populaires et très grand public, pour renforcer ce lien vital entre un artiste et son public, pour régénérer aussi l’opéra qui sans cela, serait réservé à une poignée de pseudo spécialistes arrogants et constipés.
D’où la valeur de ce type d’expérience qui a toute sa place aujourd’hui. D’ailleurs, Jonas Kaufmann n’invente rien : avant lui, le légendaire Luciano Pavarotti savait élargir l’horizon lyrique, métissant ses récitals en mêlant les genres et les catégories. Et cela ne bouleverse personne. Et le succès fut au rendez-vous.
Kaufmann prolonge donc un exercice qui se cultive en marge du lyrique en salle (et avec mise en scène), sans empiéter sur ses frontières.

kaufmann jonas berlin waldbuhne recital liveAprès ce Ponchielli solistique d’un lyrisme embrasé a voce sola, voici tout un cycle théâtral, extrait de la dramaturgie la plus tendue, âpre de Cavalleria Rusticana de Mascagni, opposant Santuzza et Turiddu, ex amants ici affrontés car elle ne l’aime plus désormais, ce qu’il n’accepte pas : un duo mordant, félin là encore, qui se termine comme chez Bizet (Carmen) par l’assassinat de la jeune femme : pour exprimer toutes les nuances de cette passion refroidie qui pourtant suscite la colère hallucinée du ténor, Jonas Kaufmann invite le mezzo onctueux et charnel de la diva Anita Rachvelishvili, cantatrice qui a précédemment réalisé un passionnant et inégal récital chez le même éditeur. Les 3 seynettes ainsi restituées, rappellent combien le vérisme est une écriture chambriste qui met en lumière les affects les plus enfouies des protagonistes, en général comme ici, des amants éprouvés, détruits (Turiddu) ou exacerbés, volontaires, libertaires (Santuzza). Bel épisode de tragédie amoureuse dont Mascagni a le génie et que servent avec une passion mesurée les deux chanteurs présents à la Waldbuhne de Berlin.
Evidemment, hors de la scène d’un théâtre, et ici en plein air, on demande des chanteurs de se dépasser, d’oser une nouvelle palette de sentiments qui se projettent vers le public massé en foule compacte… le dernier épisode qui commence par le solo Mamma, quel vino è genero, affirme la qualité du timbre de Kaufmann, brûlé, dévasté, avec ces richesses harmoniques dont il seul aujourd’hui à posséder l’intensité musicale. Aucun ténor n’atteint tel prodige expressif : écoutez l’air 14 : « Parla più piano », version du Parrain par Nino Rota, énoncé avec une finesse d’intonation d’une … diseur acteur de premier plan. Bluffant.
Ensuite suivent plusieurs tubes et standards déjà enregistrés dans son précédent récital Dolce vita, de quoi illustrer et coller à sujet de la thématique de la soirée : An italien evening / une soirée italienne. Et de passion comme d’italianità, le ténor n’en manque pas (comme Anita dans le célébrissime air Caruso de Lucio Dalla).
Chacun mesurera leur latinité passionnelle, – la faculté du ténor en crooner et séducteur rugissant, envoûtant, captivant…, son charisme halluciné, fauve là encore, aux couleurs souvent très sombres : se succèdent parfois sirupeuses les mélodies de Ernesto de Curtis, Giovanni d’Anzi, Nino Rota… Avouons que dans ces terres pas vraiment lyriques, mais qui mettent en lumière une voix taillée pour l’incarnation la plus pathétique, voire théâtreuse, – qui sait – heureusement demeurée musicale, sensible, presque subtile;, la reprise de l’inusable VOLARE de Domenico Modugno, avec la soprano Rachvelishvili, est piloté avec tact et finesse : un très beau duo, tout en complicité, et en empathie avec le public.
CLIC_macaron_2014Et pour finir, le sublime Nessun dorma chanté par le prince Calaf dans Turandot de Puccini conclut cette soirée grand public sous la voûte berlinoise du théâtre en plein air de la Waldbuhne. Le charme opère, grâce à la généreuse musicalité du plus grand ténor actuel.
Jochen Rieder pilote le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, avec efficacité. Et oeillades, effets de manche… car ici, exercice oblige, c’est la démonstration et la théâtralité qui comptent essentiellement. Les puristes évidemment crieront au blasphème. Mais cela fonctionne. Indéniablement.

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Programme :
« Cielo e mar », La Gioconda, Ponchielli
« Tu qui, Santuzza », Cavalleria Rusticana, Mascagni
« Mamma, quel vino e generoso », Cavalleria Rusticana, Mascagni
Ti voglio tanto bene »
Voglio vivere cosi
Mattinata
Rondine al nido
Caruso
Parlami d’amore, Mariù
Tornar a Surriento
Il Canto
Non ti scordar di me
Parla piu piano
Un amore cosi grande
Musica proibita
Passione
Catari, Catari
Volare
« Nessun dorma », Turandot (Puccini)

Jonas Kaufmann, ténor
Avec Anita Rachvelishvili, mezzo-soprano

Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin
Jochen Rieder, direction

Enregitstré au Waldbühne Berlin le 13 juillet 2018
CD Sony Classical 19075879332

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