mardi 19 mars 2024

CD, critique. ELSA DREISIG, sop. MORGEN. STRAUSS (1 cd ERATO, 2019)

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DREISIG elsa cd morgen strauss critique cd classiquenewsCD, critique. ELSA DREISIG, sop. STRAUSS (1 cd ERATO, 2019). Le cheminement de ce récital est contrarié ; il débute pour le dire simplement, instable et timide ; puis à partir du second Rachmaninov, pose plus franchement les options de l’interprète, et dans les Strauss, une maîtrise texte et legato, plus affirmée dans le 4è lied. Ainsi la voix sonne petite, serrée, aigus tendus, sans cette chair onctueuse qui doit faire les délices des Rachmaninov ; son Duparc (L’invitation au voyage) reste étriqué aussi, avec une articulation parfois inintelligible ; même constat pour Phidylé bien que l’intonation et la ligne soient mieux maîtrisées.
Les Strauss sont les plus attendus dont les quatre (faux) derniers lieder ; ici on préfère l’entente intimiste, personnelle, diaphane et filigranée chant / piano, aux équilibres ténus qui expose tout autant la voix : Frühling manque de respiration éperdue, de souffle, de grandeur dans ses évocations climatiques ; voilà qui nous rappelle une autre diva, Anna Netrebko qui se risquait elle aussi dans les Quatre derniers lieder sous la direction de Barenboim, récital et cd vite oubliés qui montraient cependant une force dramatique correspondant exactement aux ressources réelles de la diva austro-russe. Concernant Elsa Dreisig, il est évident que le choix vient d’une affection personnelle pour le répertoire, mais la tessiture de la soprano française est-elle réellement celle pour les lieder straussiens ?

Duparc, Rachmaninov, Strauss…
ELSA DREISIG, le goût du risque…

Par contre saluons la tendresse allusive du piano de Jonathan Ware (Phidylé). Quelque chose se produit, articulation plus percutante, plus de texte et d’accents, de précision et d’éclat dans le second Rachmaninov, vraie petite scène opératique par ses humeurs contrastés, volubiles (Krysolov)… on espère que la soliste poursuive ainsi sur cette lancée, dans cette justesse expressive.
September et ses harmonies miroitantes doit enivrer, mais ici reste terre à terre en lignes frêles et fragiles presqu’incertaines. Les tempos sont adaptés, ralentis pour mieux enchâsser la voix dans les notes du piano. Et justement, la partie pour piano, à défaut des ors orchestraux, captive elle véritablement (confirmation dans le piano solo : « Aux étoiles » où le pianiste fait chanter son instrument en se souciant de tous les plans sonores, distinguant la ligne mélodique principale, des colorations sonores qui l’enveloppent).
On se demande s’il était bien justifié de morceler ainsi les Quatre Vier lieder, au risque d’en disperser l’unité organique.

Les Rachmaninov qui exigent moins de legato et de souffle infini, jouant plus sur les couleurs et la rupture de la ligne, vont mieux à la voix, curieusement plus à son aise (très textuelle Romance n°1, opus 38 : fugace, mieux réussie).
Meilleure houle maîtrisée (et crépusculaire) dans Chanson triste, mais les aigus sont courts et durs, à peine tenus ; Extase est un pur instant poétique et mordoré, fusion indiscutable entre le clavier souverain et le chant comme enseveli (mais qui perd l’acuité du texte).

On reste surpris par le tempo étiré, dilué, – suspendu extatique de « Beim Schlafengehen » / En s’endormant – nouveau jalon des Strauss, de loin celui qui affirme le parti de lenteur des interprètes : le renoncement, la volonté d’anéantissement et de disparition, dans la mort et aussi le rêve justifient des séries de séquences ralenties, morcelées au risque de la perte de l’unité : la palette des couleurs, et les intervalles requis par la partition forcent la diva à sortir du bois et affirmer cette fois une caractérisation vocale déterminée, tranchante, indiscutable. Dans la mort et l’oubli, le chant s’affine : affûté, percutant, il frappe directement. Bravo Elsa.

Le récital se referme avec le dernier des Quatre Lieder de Strauss : « Im Abdendrot » ; puis « Morgen » (qui donne aussi son titre au cd). Pâle et lugubre, aux couleurs d’une tendresse triste, le chant rayonne dans le premier, posé comme une interrogation sans réponse et dans un tempi très étiré (trop ?) ; mais les couleurs du piano sont superbes. Il est emblématique de terminer le récital avec « Morgen » / Demain (Et demain le soleil brillera encore) : hymne éperdu lui aussi au miracle d’une Nature toujours sublimée, renouvelée grâce à la caresse du soleil : chant de langueur, legato maîtrisé, aux nuances épanouies, Elsa Dreisig finit ce récital dans l’extase suave la plus convaincante. Voilà qui se termine mieux qu’au début. Ouf. Quoiqu’il en soit, et malgré les petites réserves émises, le courage et ce goût du risque doivent être encouragés. A suivre.

D’une façon générale, son précédent cd MIROIRS, « CLIC de Classiquenews » nous a paru mieux convenir à la voix, à sa tessiture (1 cd Erato, sept 2018).
https://www.classiquenews.com/cd-critique-miroirs-elsa-dreisig-soprano-1-cd-erato/

On attend et suivra la diva sur scène au fur et à mesure de ses prochains engagements, surtout au Staatsoper de Berlin (Musetta, janv 2020 ; Dircé dans Médée de Cherubini à Berlin fev 2020 ; puis Fiordiligi et Pamina en avril 2020 ; avant Paris où Bastille l’annonce en Gilda (juin 2020)

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CD, critique. ELSA DREISIG, sop. MORGEN : STRAUSS, DUPARC, RACHMANINOV (1 cd ERATO, 2019)  –  Enregistré en juillet 2019, Paris.

 

 

 

 

 

 

APPROFONDIR

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Découvrir la version originale pour orchestre, des Vier Letzte Lieder de Richard Strauss par Jessye Norman et Kurt Masur. La voix de Jessye Norman qui nous a quitté en septembre 2019, perce, embrase, saisit littéralement…. par sa puissance naturelle, ses couleurs, ses nuances :

https://www.youtube.com/watch?v=SDoqnjB7Um4

MORGEN de STRAUSS par Jessye Norman :
https://www.youtube.com/watch?v=z3r9ifssLZQ

SEPTEMBER de STRAUSS par Jessye Norman
https://www.youtube.com/watch?v=qtmEjXZx340
(1991, Salisbury Festival)

 

 

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AGENDA

Le programme du cd MORGEN tourne en Europe

PARIS, mardi 28 janvier 2020, 20h.
TCE, cycle Grandes Voix

BORDEAUX, Gd Théâtre, le 30 janvier 2020

LONDON, le 2 fév 2020
Wigmore Hall

COLOGNE, le 4 fév 2020
Deutschlandfunk, Kammermusiksaal

BERLIN, le 10 fév 2020
Staatsoper, Apollosaal

TOULOUSE, le 27 avril 2020
Capitole

Voir toutes les dates de la tournée sur le site d’Elsa Dreisig
https://www.elsadreisig.fr

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