vendredi 29 mars 2024

CD critique. ANGELA GHEORGHIU : ETERNAMENTE ( 1 cd Warner classics)

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GHEORGHIU cd critique cd review soprano critique par classiquenews Angela-Gheorghiu-Eternamente_actu-imageCD critique. ANGELA GHEORGHIU : ETERNAMENTE ( 1 cd Warner classics). Les habits véristes vont-ils bien à Angela Gheorghiu ? Celle qui a chanté Adriana Lecouvreur avec le tact et l’instinct que l’on sait ne seront pas déçus dans ce nouvel album qui doit sa réussite à l’engagement expressif de la chanteuse et aussi (surtout) complicité et apport de plus en plus rare dans ce type de projet, la coopération toute en finesse du chef, aussi détaillé que mesuré dans ses effets (et dieu sait que dans le registre vériste il faut avoir de la mesure, au risque de sombrer dans la guimauve superfétatoire) : l’excellent Emmanuel Villaume dirigeant le PKF Prague Philharmonia. De surcroît la prise de son est fine et précise; magnifiquement réverbérée (plage 3 : 3è séquence de Cavalleria Rusticana, avec un partenaire de luxe, le ténor maltais Joseph Calleja). On sait que la diva n’est pas belcantiste : aucun agilité, aucune virtuosité technique dans les vocalises,… MAIS un velours vocal, une fragilité incandescente qui s’affirme dès les deux premiers airs du même Cavalleria : sur le fil, dans une articulation qui n’est pas toujours parfaite, la couleur du chant, sa tendresse et ses aigus toujours admirablement couverts rendent idéale son incarnation des héroïnes amoureuses, ivres de leur propre passion, sacrifiées, radicales. Voilà pourquoi sa Traviata (comme sa Manon puccinienne) dont elle fait une femme très incarnée, – avec ce ruban miellé à la douceur d’une extrême pudeur dans l’émission, a toujours séduit. Une conception hyperféminine, d’une infinie tendresse, dans le sillon d’une Renée Fleming mais en plus fragile encore.
Ici, donc d’abord sa Santuzza bouleverse par la justesse d’émission si humaine et pourtant radicale : bien dans le respect de la rage jusqu’au boutiste du drame génial conçu par Mascagni en 1890. Véritable manifeste de la nouvelle école lyrique italienne en cette fin du XIXè.

Gioconda saisissante, LA GHEORGHIU
cultive et embrase sa fibre de tragédienne vériste

Plus contournée et moins sobre dans ses « effets », le Donaudy (O bel mio amato ben) ne laisse pas un souvenir impérissable : l’écriture est boursouflée et la ligne prévisible, sans les harmonies audacieuses ou les intervalles parfois surprenants des plus grands véristes.

En 1900, Puccini étonne, saisit dans sa Tosca, d’une ivresse inquiète et ici, filigranée, presque en panique, … celle d’une âme toujours fervente, pieuse qui ne comprends pas comment Dieu la récompense ainsi, en lui refusant le bonheur. La vibration nuancée là encore, cette extrême tendresse fragile s’avèrent particulièrement justes et troublantes pour cette séquence qui demeure la grande prière de Tosca. Les sons filés, les piani soutenus avec une force caressante, la gestion parfaite du souffle et la richesse dynamique de l’intention sont la signature d’une exceptionnelle diva, chanteuse et actrice. Comme Callas. Rien de moins.

Belle découverte que celle de l’extrait de Mefistofele d’Arrigo Boito : « Spunta l’aurora pallida »… à l’acte III, dans ce second air de Marguerite, « La Gheorghiu » dévoile son incandescence versatile, capable de passer d’un sentiment à l’autre, d’autant que l’orchestre, voile fantastique et surnaturelle (Boito comme personne après Berlioz n’a su mieux comprendre le surnaturel glaçant du Faust de Goethe), suit la même voie harmoniquement insidieuse et ascendante ; sacrifiée, ardente, Marguerite prête à mourir, supplie Dieu de la pardonner. L’efficacité dramatique, la sidération et le vertige dans les contrastes d’atmosphères sont très réussis, de la part de la soliste comme du chef là encore.

Minaudant et d’une fausse candeur, « Eternamente » d’Angelo Mascheroni qui donne le titre à ce récital très impliqué, est comme le Donaudy : il ne laisse pas un caractère immortel, en dépit de l’intensité que sait lui apporter la diva surpersensible.

Plus touchante, car plus dépouillée, la prière inscrite dans la pudeur intime, « Ombra di nube » de Licinio Refice touche autrement que les minauderies précitées (qualité et tenue du vibrato : peu de divas savent contrôler ainsi mezza voce et bouche fermée).
On gagne un degré dans ce réalisme à la fois noir et brutal avec Ponchielli : « Suicidio » de La Gioconda idéalement campée, avec un orchestre sobre, précis, parfaitement calibré (bravo au chef là encore) ; radicale, tendre, Angela Gheorghiu ajoute les couleurs qui lui sont chères, celles de l’hallucination au diapason d’une situation littéralement insupportable. Jamais les graves chantés, énoncés n’ont paru aussi chargés de dégoût, de rancoeur impuissante… celle de l’héroïne condamnée, piégée par son bourreau auquel elle doit se donner (comme Tosca d’ailleurs, vis à vis de l’infect Scarpia). Situation insupportable, crapuleuse… la soprano s’y montre irrésistible.

Dans un chant quasi parlando, entre prière et imprécation – si favorisé par les véristes, l’air suivant confirme les mêmes qualités d’actrice subtile de la diva roumaine (« No! se un pensier tortura » de Siberia de Giordano). Leoncavallo a écrit aux côtés de celle de Puccini, sa Bohème (piquante), et tout autant moins connu, Zingari dont la cantatrice chante la chanson hongroise de la pulpeuse et ardente Fleana : une sœur de la Carmen de Bizet, car la jeune femme avoue à son protecteur l’aristocrate Radu, qu’elle s’est lassée de lui et en aime déjà un autre. Féline, sensuelle, Angela Gheorghiu séduit dans un air qui appelle la redécouverte intégrale de l’opéra.

CLIC_macaron_2014Enfin parmi les meilleurs épisodes, le dernier extrait d’Andrea Chénier de Giordano (acte I : « Partigi! ») conclut ce récital au constant intérêt. Certes Calleja apporte la séduction tendre lui aussi de son timbre amoureux (quoique parfois instable), mais c’est la Maddalena d’Angela Gheorghiu, son timbre en tension permanente, vibrée sans déformation, sa ligne, son souffle admirable, enfin la finesse de son intonation qui enchantent, et confèrent au duo du poète et de celle qui a décidé de mourir avec lui, son intensité. L’écriture n’est pas aussi raffinée que celle de Puccini et l’on peine à croire qu’il s’agit du plus beau duo vériste de l’histoire de l’opéra, comme on peut le lire dans le livret qui accompagne le cd… mais force est de constater que les deux chanteurs savent exprimer la volonté et le courage des deux amants qui s’apprêtent à mourir. Féroces jusque dans la mort.
Dans le sillon d’une Mirella Freni, de Tebaldi aussi (dans Adriana Lecouvreur), de Callas surtout, Angela Gheorghiu nous montre sans forcer combien elle a l’étoffe d’une tragédienne vériste (Gioconda).

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CD événement, critique. ANGELA GHEORGHIU, soprano : ETERNAMENTE. The Verismo album. PKF Prague Philharmonia – Emmaneul Villaume / 1 cd WARNER classics – enregistré à Prague, en novembre et décembre 2016.

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