CD, compte rendu critique. MOZART : L’idéal maçonnique (Adagio, Nocturnes, Divertimenti / 1 cd KLARTHE). Superbe programme et magistralement interprété par un collectif de « anches » suaves, mordantes, inspirées par le sujet du Mozart maçonnique. Contrairement à de solides préjugés, Mozart jusqu’à la fin de sa vie fut estimé, entouré, apprécié, parfaitement intégré aux milieux viennois les plus actifs (et le plus influents) dont les loges maçonniques, même si sous le règne de l’Empereur Joseph II (édit de 1785), un remaniement important se fit jour à Vienne dans l’organisation et le nombre officiel maximum de loges (3) dans la Capitale impériale.
Chez Klarthe, clarinettes et cors de basset associés… réalisent un miracle sonore : l’idéal maçonnique de Mozart
FRATERNITÉ INSTRUMENTALE
Les instrumentistes font valoir une palette de couleurs et de riches nuances à partir de leurs clarinettes seules, emblèmes, miroirs et sons d’une fraternité affichée (accordées idéalement avec le cor de basset) que le contexte de composition inscrit dans le projet et l’idéal utopique, lui aussi fraternel des francs-maçons à Vienne. Le seul Adagio KV 411 en ouverture du programme (pour 3 clarinettes et 2 cors de basset) rayonne par sa chaleur sombre, sa lumière grave, une tendresse dont la plénitude dit la souveraine sérénité, une sagesse faite musique.
Le disque évoque la carrière du Mozart franc maçon, à Vienne dès 1784, reçu Maître Maçon dans la Loge de La Vraie Concorde (avril 1785). Les oeuvres témoignent de l’esthétisme propre aux colonnes maçonniques, – usitées lors des rituels ou des réunions entre Frères -, alliances où règnent les timbres veloutés, sensuels et graves des clarinettes et cors de basset : Mozart était proche des clarinettistes, tous franc-maçons à Vienne : Anton David, Vincent Springer, Anton Stadler et son frère cadet, Johann. Anton Stadler, membre de la loge de La Charité (laquelle organisa en 1784, l’intégration de Mozart comme Frère), était grand spécialiste du nouvel instrument, grave, et dont le corps coudé faisait penser à l’équerre (symbole hautement maçonnique) : le cor de basset. Anton est aussi le dédicataire du Concerto K 622. Pour l’heure, Mozart s’intéresse activement au nouvel instrument et ses possibilités inédites. Le cor de basset est mis en avant dans son dernier seria : La Clemenza di Tito / la Clémence de Titus, 1791-, accordé avec la voix de Vitellia, au moment de sa métamorphose, – air « Non piu di fiori… », accomplissement des ténèbres haineuses à la lumière du pardon et de la compassion, nouvelle conscience qui permet d’envisager la résurrection de la jeune femme… Tout un symbole.
Au chant des instruments, les interprètes ajoutent le contours de voix; affûtées, taillées pour la même dilection suggestive – en trio : 2 sopranos / 1 baryton, dans une série vocale méconnue. Ici, les 6 Nocturnes écrits vraisemblablement en 1787, témoignent d’une autre fraternité musicale, tout aussi soudée par l’intérêt simultané des clarinettes associées au cor de basset, soit le salon musical du botaniste Nikolaus Jacquin dont les filles et le fils Gottfried étaient très proches de Mozart alors. Sur des thèmes amoureux les paroles italiennes, d’après Métastase, mettent en scène la passion des amants dans une série d’atmosphères qui évoquent le nocturne enchanté de son opéra de maturité, Cosi fan tutti (quintette du premier acte : « Soave sia il vente ») : la légèreté affichée se teinte aussi d’une pleine conscience, d’une gravité bouleversante, celle des amants qui ont le sentiment de la fragilité insaisissable des sentiments et des liens tissés par l’affection…
DIVERTIMENTOS SUBLIMÉS. Le récital maçonnique aborde ensuite les 3 Divertimentos 1, 2, 3 KV 439b : chefs d’œuvres absolus d’élégance et là aussi de sincérité intérieure, de gravité allusive. Chacun des Divertimenti indique une vérité dans l’écriture que les instrumentistes savent exprimer avec un style idéal, entre volubilité agile et raffinement expressif. Le seul Adagio du 1 (plage 10) indique la fine complicité, et davantage : une entente profonde et solide qui douée d’une écoute idéale, fait entendre ce rayonnement fraternel cimentant la concordance des individualités en action, – chacune, pièce motrice d’un fabuleux jeu concertant. La réalisation est superlative par sa subtilité intérieure. Si dans le rituel maçonnique avéré, les « colonnes d’harmonies » ne réunissent que des vents et des bois, – incarnant à juste titre le souffle donc l’air, et le bois donc la terre, l’alliance instrumentale produit une esthétique qui séduit irrésistiblement l’écoute, surtout quand les instrumentistes sont aussi complices et nuancés qu’ici. On y distingue les frères Chabod, Alexandre et Julien ; le chef (créateur de l’Orchestre Victor Hugo) et aussi clarinettiste, Jean-François Verdier, auxquels se joignent le clarinettiste Florent Heau et Nicolas Baldeyrou (cor de basset).
ELEGANCE ET PROFONDEUR… Les 5 instrumentistes offrent une leçon d’élégance et de profondeur, réalisant une véritable conversation instrumentale d’une exquise finesse de ton et de style. La volubilité du Menuetto du 2 (plage 16) déploie les mêmes qualités d’agilité mais sur le registre plus allègre, facétieux, d’une suractivité flexible aux accents et nuances filigranés. Mondains certes, aimables sûrement, mais surtout profonds et souvent terriblement sincères, ces Divertimenti outrepassent la conformité d’un modèle aristocratique (noblesse française des menuets / Menuettos placés dans chaque, à 2 reprises…), ils atteignent dans l’éclat somptueux et voluptueux des instruments, une grâce première insoupçonnable. Ils sont certainement liés au désir de Mozart de plaire, comme de toucher et même bouleverser. L’esprit de Mozart est dans la vérité : c’est ce qui nous touche encore aujourd’hui, ce que révèle les interprètes de ce disque. L’idéal fraternel défendu par les francs-maçons du XVIIIè, et vécu par Mozart en ses années 1780 viennoises, ressuscitent de la plus belle manière dans cet album passionnant. On y repère les virtuoses français actuels de la clarinette, quand de tradition, le hautbois avaient jusque là leur préférence.
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CD, compte rendu critique. L’Idéal maçonnique. Mozart — enregistrement réalisé en juin 2015. 1 cd KLARTHE 029, parution le 4 novembre 2016.
Distribution :
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