vendredi 19 avril 2024

CD, compte rendu critique. HENRI DUTILLEUX : Orchestre national de Lille. Darell Ang (1 cd Naxos, 2015)

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dutilleux-symphonie le double timbres espace mouvement mystere de l'instant darelle ang critique cd cd review dutilleuxCD, compte rendu critique. HENRI DUTILLEUX : Orchestre national de Lille. Darell Ang (1 cd Naxos, 2015). Dans sa Symphonie « Le Double » (n°2), Dutilleux se joue de la forme baroque du Concerto grosso, non pas pour opposer en contrastes et rythmes confrontés, les deux parties constitutives du genre (« concertino » de solistes, et reste de l’orchestre en « ripieno » pour les tutti), mais plutôt en variant leur jeu, parfois opposés et alternés, mais aussi assemblés, croisés, fusionnés : il y a donc relecture très personnelle de la tradition baroque (citée ici par la présence énigmatique, dansante, arachnénenne du clavecin, comme posé sur la voile orchestrale). Dutilleux joue de l’exposé et sa réponse, comme deux pans d’un miroir dont les facettes explicitées (en jeu de polyphonie et de polytonalité), – scintillantes-, renvoient séparément à une seule et même entité : le double se réfère et renvoie à l’être et à la source unique, première dont il découle; soit les deux faces d’un même personnage. L’Animato ma misterioso (mouvement I) allie pulsion trépidante et caractère d’ivresse murmurée ; le second mouvement – Andantino sostenuto -, exprime une gravité plus sourde, une profondeur viscéralement mystérieuse, dont la vérité se dérobe à mesure qu’elle résiste aux tentatives (habiles, élégantes) pour la démasquer ; la forme y revêt une robe de plus en plus sensuelle et magique (trompette scintillante, incisive), qui se précise en marche funambulique, jusqu’à son ultime souffle (aux cordes). Fidèle à la sensibilité introspective de Dutilleux, le caché demeure caché.
Détaillée, imaginative, – bien que parfois trop explicite dans le mouvement lent, la palette des nuances de l’Orchestre Lillois surprend / saisit par sa verve intériorisée ; s’affirme une attention constante à l’indicible, au ténu lové entre chaque repli d’une partition qui semble ouvrir mille portes à mesure de son déroulement.

L’Orchestre national de Lille réussit une superbe album Dutilleux

Dutilleux : aux confins du mystère

dutilleux henri Cormier-photo-3Plus construit, d’une claire autodétermination, l’Allegro fuocoso est porté par un feu trépidant et dansant, dont les micros séquences, en timbres, en rythmes, façonnent une constellation qui doit éblouir par sa cohésion apparemment éclatée. A l’ivresse du pulsionnel, surgissent de superbes vagues suspendues laissant s’épanouir des aubes nouvelles, au climat extatique et conclusifs, là encore languissants envisageant des horizons purement mystérieux (atmosphère sacrificielle hallucinée dans le sillon du Sacre de Stravinsky). Disposant de solistes virtuoses, le jeune chef lauréat du 50è Concours de Besançon, Darell Ang, analyse, fragmente, caractérise, l’une des sections les plus envoûtantes et impressionnantes jamais écrites alors (créé à Boston en 1959 par Charles Munch).

Tout aussi suspendu, mystérieux, telle la porte ouverte sur un ciel infini, – et lui aussi placé dans l’ombre de Charles Munch (dédicataire avec Rostropovitch qui en passe commande en 1978), le clim

CD, compte rendu critique. HENRI DUTILLEUX : Orchestre national de Lille. Darell Ang (1 cd Naxos, 2015)

at de « Timbres, Espace, Mouvement » fait la part belle à l’intensité suspendue du timbre, comme l’expressivité ardente, dansante, envoûtante de la couleur, telle que le défend Van Gogh dans son tableau, nocturne suggestif « La Nuit étoilée ». Dutilleux invoque là encore l’ivresse sensorielle suscitée entre peinture et musique, dans une forme orchestrale davantage invocatoire, atmosphérique. Ici le langage symphonique se fait chant halluciné en résonances avec les vibrations cosmiques ; l’orchestre devenant acteur et sujet d’une nouvelle dimension à la fois spatiale et temporelle inédite. Le geste du chef et des instrumentistes semble vouloir percer le mystère sacré d’un instant dont le déroulé fait corps avec l’espace qu’il occupe : la direction affirme une conception plus précise ici, dévoilant l’ombre épaisse du mystère qui semble s’amplifier, s’élargir, comme l’expansion de l’espace lui-même.

C’est justement  » Mystère de l’Instant  » qui referme la boucle de ce programme parfaitement conçu : soit 10 sections, conçues en 1989, désormais indépendantes, renfermant leur propre vision du mystère, comme autant d’Haikus, énigmatiques. A chaque instant ainsi sacralisé par leur enveloppe orchestrale singulière et spécifique, sa propre autonomie, son identité, son propre drame où scintille comme toujours le jeu de timbres précisément caractérisé (le cymbalum de François Rivalland, par exemple surgissant dans le 3è Instant : « Prismes »). qu’il s’agisse des clusters miroitants d’Echos, les registres extrêmes contrastés d’Espaces lointains (4) ; des glissandos subtilement superposés de Rumeurs (7),… Dutilleux offre une étonnante diversité de possibilités à partir des 24 cordes associées au cymbalum et aux percus. Jeu de résonance, d’échos, de traces, de réponses, de dilution du son, de la perte de précision caractérisée, au profit d’un voile harmoniquement riche et indistinct (révélation ultime du mystère matriciel et final ?), l’esthétique d’Henri Dutilleux ne cesse d’interroger la forme et le sens de l’écriture orchestrale, et aussi la question même du déroulement / développement musical. Chef et orchestre atteignent une cohésion à la fois critique et sensuellement aboutie qui confirme la grande réussite de cet album monographique dédié à Henri Dutilleux. Très convaincant.

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CLIC D'OR macaron 200CD, compte rendu critique. HENRI DUTILLEUX : Symphonie n°2 « Le Double », « Timbres, espace, mouvement », Mystère de l’Instant. Orchestre national de Lille. Darell Ang (1 cd Naxos 8.573596, enregistré à l’Auditorium Le Nouveau Siècle à Lille début septembre 2015). CLIC de CLASSIQUENEWS d’avril 2017.

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