CD, compte rendu critique. DVORAK : STABAT MATER (Belohlavek, Prague mars 2016, 1 cd Decca). Etrangement la Philharmonie TchĂšque / Czech Philharmonic sonne dĂ©mesurĂ©e dans une prise de son Ă la rĂ©verbĂ©ration couvrante qui tant Ă diluer et Ă noyer le dĂ©tail des timbres, comme le relief des parties : orchestre, solistes, choeur (Prague Philharmonic Choir). Heureusement, la direction tendre du chef Jiri Belohlavek (rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ© : il sâest Ă©teint le 31 mai 2017) Ă©vite dâĂ©craser et dâĂ©paissir, malgrĂ© lâimportance des effectifs et le traitement sonore plutĂŽt rond et indistinct. Câest presque un contresens pour une partition qui plonge dans lâaffliction la plus dĂ©chirante, celle dâun pĂšre (Dvorak) encore saisi par la perte de ses enfants Josefa en septembre 1875, puis ses ainĂ©es : Ruzenka et Ottokar.
Fini en 1877, créé Ă Prague en 1880, le Stabat Mater imposa un tempĂ©rament puissant, Ă la fois naĂŻf et grandiose, qui alors, confirmait lâenthousiasme de Brahms (trĂšs admiratif la Symphonie n°3 de Dvorak). LâĂ©tonnante franchise et sincĂ©ritĂ© de la paritition valurent partout oĂč elle fut créée, un triomphe Ă son auteur (dont Ă Londres oĂč il dirigea lui-mĂȘme la fresque bouleversante en 1884). Comme le Requiem de Verdi, aux dimensions elles aussi colossales, le Stabat Mater de Dovrak nâen oublie pas lâhumanitĂ© et lâintimitĂ© de son sujet : la ferveur Ă la Vierge de compassion et de douleur ne pourrait sâexprimer sans pudeur et dĂ©licatesse.
Câest pourquoi lâoeuvre alterne constamment entre le dĂ©sir de paix et dâacceptation, et la profonde dĂ©chirure de la douleur et du sentiment immense, irrĂ©pressible dâimpuissance comme dâinjustice. TrĂšs libre quant Ă la liturgie, – comme Brahms et lâĂ©laboration de son Requiem Allemand, Dvorak façonne son Stabat Mater comme un hymne personnel Ă la Vierge douloureuse, rĂ©confortante, admirable.
LâAmpleur et lâĂ©paisseur brahmsienne sâinvitent ainsi dans la tenue de lâorchestre du cd2 – parfois trop solennelle, Ă©crasante mĂȘme, particuliĂšrement dans lâintro pour lâair de tĂ©nor (avec choeur) : « Fac me vere tecum flere », dâune attĂ©nuation plus tendre grĂące au timbre hĂ©roĂŻque et trĂšs rond du tĂ©nor amĂ©ricain Michael Spyres ; air de compassion, aux cĂŽtĂ©s de la mĂšre endeuillĂ©e, face au Fils crucifiĂ©, rempli de recueillement et aussi de volontĂ© parfois colĂ©reuse⊠LĂ encore, le chanteur amĂ©ricain soigne sa ligne, arrondit les angles, caresse et rassĂ©rĂšneâŠ
AprĂšs la sĂ©quence purement chorale (tendresse souple du choeur Ă©voquant Marie / plage 2, cd2), le duo soprano et tĂ©nor (VIII. Fac ut portem Christi mortem / Fais que supporte la mort du Christ) affirme la trĂšs forte caractĂ©risation des parties solistes (lumineuse et fragile vorie sĂ©raphique Eri Nakamura) ; leur duo exprime le dĂ©sir des solistes : supporter lâaffliction nĂ©e du deuil et de la perte, emportant tout l âeffectif. Les deux voix sâengouffrent dans la peine divine et la souffrance du Fils. Soprano et tĂ©nor trouvent lâintonation juste, entre dĂ©ploration et pudique exhortation, mais elles sont souvent noyĂ©es dans le magma orchestral (la prise de son est vraiment indigne).
Plus Ă©nergique et presque conquĂ©rant, lâair de lâalto Elisabeth Kulman (Inflammatus), prenant Ă tĂ©moin aussi la Vierge courageuse et compatissante affirme le beau tempĂ©rament de la chanteuse au timbre noble et rond, trĂšs respectueuse de lâintĂ©rioritĂ© mesurĂ©e de cet andante maestoso : la voix Ă©carte toute solennitĂ©, elle intensifie la priĂšre individuelle dâune fervente « rĂ©chauffĂ©e par la grĂące », adoratrice apaisĂ©e de Marie, dans lâattĂ©nuation finale dâune douleur enfin mieux vĂ©cue.
Le chef trouve des accents plus pointillistes Ă lâorchestre et idĂ©alement accordĂ©s au quatuor vocal, Ă la fois attendri et sincĂšre dans des accents plus francs et directs ; toujours, le geste semble mesurer lâampleur du dolorisme que la mort implacable et injuste suscite (vague du collectif renforcĂ© par le choeur grandiose), alternĂ© par une priĂšre fervente trĂšs incarnĂ©e, soudainement lumineuse Ă lâĂ©noncĂ© du Paradis promis Ă lâĂąme Ă©plorĂ©e.
Jiri Belohlavek force le trait dans la solennité, conférant à la fresque de Dvorak, une épaisseur majestueuse, quasi beethovénienne (Missa Solemnis) et une trÚs forte charge introspective (Brahmsienne).
Le finale est une arche plus impressionnante et spectaculaire (de surcroĂźt dans un espace trĂšs rĂ©verbĂ©rĂ©) que retenue ; et le chef joue sur le grandiose des effectifs en nombre. MalgrĂ© la spatialisation large et la prise de son diluĂ©e, Belholavek trouve lâintonation juste dans les derniĂšres mesures aux cordes qui dessinent lâespoir dâune aube nouvelle, rĂ©solvant la charge de tant de ferveur antĂ©rieure.
Dans la salle Dvorak au Rudolfinum de Prague, le cĂ©rĂ©moniel lâemporte sur la vĂ©ritable intimitĂ© de la ferveur. La fresque parfois dĂ©mesurĂ©e, dĂ©borde du sentiment individuel pourtant contenu dans une partition Ă la trĂšs forte coloration autobiographique. Autour du maestro, les Ă©quipes rĂ©unies : chĆur (rendu ainsi confus par la prise de son indistincte et pĂąteuse), orchestre, solistes⊠cĂ©lĂšbrent surtout un monument national, et aussi assurĂ©ment lâengagement dâun chef alors ĂągĂ©, reconnu pour sa dĂ©fense du rĂ©pertoire national. Pour les versions alternatives, avec solistes aussi impliquĂ©s et sobres, et surtout choeur enfin dĂ©taillĂ©, voyez du cĂŽtĂ© des chefs Herreweghe, Kubelik et Sinopoli (les deux derniers chez DG). RĂ©alisĂ© quelques semaines avant sa mort, ce Stabat Mater prend des allures de testament artistique du chef principal, dĂ©tenteur de toute une tradition esthĂ©tique que lâon ne peut dĂ©sormais ignorer.
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CD, compte rendu critique. DVORAK : STABAT MATER (Belohlavek, Prague mars 2016, 1 cd Decca)