jeudi 28 mars 2024

CD, compte rendu critique. DIANA DAMRAU chante MEYERBEER : « Grand opéra » (1 cd Erato)

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damrau diana grand opera critique cd par classiquenews_4CD, compte-rendu critique. DIANA DAMRAU chante MEYERBEER : « Grand opéra » (1 cd Erato). Et de deux : septembre 2017 voit le grand retour de l’opéra romantique français à l’affiche et dans le répertoire favori des grands chanteurs d’aujourd’hui : après Jonas Kaufmann qui chante lui aussi en français dans un récital édité simultanément (intitulé en français « Opéra » avec la salle Garnier en arrière plan, voici « Grand opera » par une ambassadrice de charme et de haute performance vocale, Diana Damrau… Là aussi, il faut outrepasser ce qui pourrait relever du kitsch ou du grandiose pour atteindre à cette vérité d’un chant subtile et intérieur qui est la grande marque de fabrique de l’opéra romantique français. Voilà pourquoi au XIXè tous les compositeurs veulent être adoubés, reconnus, célébrés par la grande boutique parisienne : Rossini, Bellini, Donizetti, Wagner, Verdi, et tutti quanti… Certes illustrer les grandes scènes de foule à l’échelle de l’histoire ; surtout réussir le profil des individus protagonistes… au diapason de l’acuité d’un Racine. Or Meyerbeer incarne cet idéal. Il serait temps de le reconnaître et de jouer ses opéras, si l’on peut encore distribuer vocalement ses oeuvres.

AMBASSADRICE MEYERBEERIENNE… Telle une tsarine, d’une grâce impériale et comme absente, la soprano pose, en véritable allégorie, muse, héroïne atemporelle, du « grand opéra » c’est à dire du théâtre romantique et français, triomphant en une formule idéalement équilibrée au XIXè, à la fois collective et spectaculaire, et individuellement caractérisée. Giacomo Meyerbeer, toujours trop absent à l’opéra, nous laisse en héritage, un théâtre particulièrement prenant où le souffle de l’épopée (grande fresque épique et collective) emporte la destinée trop précaire de héros tourmentés, éprouvés, définitivement maudits, car l’opéra de Giacomo demeure éminemment … tragique. Contemporain de Rossini, il partage avec l’Italien, le génie du temps théâtral (fusionné avec celui musical), et une passion française qui le hisse au sommet des honneurs de son vivant. Chez Meyerbeer, la lyre opératique au XIXè n’épargne personne. Il faut donc de l’angélisme suave, une sensualité éthérée, des moyens techniques, et surtout, un tempérament dramatique, dont pour beaucoup de chanteurs, la subtilité fait défaut.
Et dans le cas de la soprano jusque là verdienne à la scène (Gilda, Traviata…), Diana Damrau ?

En 11 airs extraits de 10 opéras, parmi les meilleurs (Meyerbeer en composa 17), Diana Damrau réalise un projet vieux de plusieurs décennies, tant l’interprète a la passion de Meyerbeer, de ces héroïnes éprouvées et toujours dignes. Des modèles de loyauté ou de fidélité, d’amour héroïque, en rien sentimentale. Meyerbeer ne connaît pas l’inconsistance et ses opéras sont d’abord furieusement, hautement dramatiques. Le programme mélange les époques et les styles. Du très connu voisine avec des perles absolues qu’il était temps de ressusciter … avec cette finesse d’élocution et cette justesse expressive.

Analysons période par période et de façon chronologique, chaque air retenu, et habilement restitué en une séquence intégrale (avec seconds rôles tous très bien tenus) : l’écriture du dramaturge Meyerbeer s’affirme. Hélas, l’enchaînement des airs ne permet pas de suivre cette évolution du style meyerbérien. A travers ce parcours lyrique qui éprouve les talents dramatiques de la soliste, saluons la probité du chef requis, et surtout l’intelligence de la diva dont la vérité des intentions, auxquelles sont assujetties les performances vocales, gagnent une épaisseur indiscutable en cours de récital. Italienne rossinienne à ses débuts (fin des années 1810), puis de plus en plus dramatiques à mesure qu’il écrit pour Paris, grâce à une très habile association des styles (italiens, allemands, français…) ; chacun exploité à sa juste place et au bon moment pour que le temps musical fusionne avec le temps dramatique. Verdi ne fera pas mieux.

D’abord, l’air d’Irene (Alimelek oder dei beiden kalifen,1814), première mondiale, impose les promesses d’un jeune talent de 22 ans, – encore très wébérien, capable de mélodies irréelles et d’une couleur orchestrale particulièrement raffinée. « La Damrau » précise et sculpte une langueur juvénile concrète associée à une profondeur psychologique qui convainc totalement.

Puis les airs d’Emma di Resburgo (virtuosité affichée et assumée, surtout dans les vocalises et les aigus rayonnants de la cabalette finale, créé à Venise en 1819) et d’Il Crociato in Egitto (1824) offre la claire manifestation de l’influence de Rossini dans l’écriture de Giacomo : envolée mélodique, brio virtuose, mais couleurs et arrière fond harmonique, plus germaniques. Malgré les acrobaties techniciennes requises, Diana Damrau affirme un legato de… rêve.

Le CD qui réhabilite Meyerbeer

Virtuose et juste, Diana Damrau souligne la force du génie Meyerbeerien…

Meyerbeer_d'après_P._Petit_b_1865Phrasé mesuré et nuancé, élocution de diseuse proche des affects de l’âme éprouvée (ici suppliante), Robert le Diable – premier triomphe parisien de 1831, éclaire l’art bel cantiste de la soprano germanique, dont le français impeccable et habité laisse saisi et admirateur. On tombe alors sous le charme de son incarnation de (Robert, toi que j’aime)…
Aussi pyrotechnique et pourtant investi, émotionnel, habité, l’air de la Reine Marguerite des Huguenots (1836), au caractère rêveur et nostalgique puis d’une virtuosité impressionnante et spectaculaire. Là encore parfaitement piloté par la soprano.
Favorisé par le nouveau souverain de Prusse, Frédéric Guillaume IV, Meyerbeer prend la succession de Spontini comme directeur de la musqiue à Berlin dès 1842 : ainsi naît l’opéra Ein Feldlager in Schliesien (1844) dont le personnage de Vielka tout en requérant d’évidentes prouesses vocales lesquelles ont fait le triomphe de la créatrice à Berlin, Jenny Lind), surprend encore par le feu et la construction dramatique qu’en offre l’interprète. L’ouvrage révisé deviendra pour Paris, l’Etoile du nord (1854).

Même fine actrice pour Berthe du Prophète (1849), autre sommet du grand opéra tragique de Meyerbeer à Paris : le portrait d’une amoureuse échevelée puis sereine, souveraine, éperdue (en réalité la véritable protagoniste de l’ouvrage) s’impose par son intelligence, sa sincérité (et pourtant le français n’est pas des plus précis ni intelligible). A défaut de maîtriser notre langue, Miss Damrau rayonne par la véracité de son expressivité.
De 1859, Dinorah ou le Pardon de Ploërmel, Diana Damrau a l’intelligence de restituer le souffle de la scène entière (pas d’air seul isolé de son contexte dramatique et des enjeux de la situation d’alors)… et donc d’inscrire la folie de l’héroïne, qui passe par des cascades de notes en passages inouïes (et aigus redoutables jusqu’au ut dièse) – mixte entre la vocalité éperdue, ivre de Lucia di Lamermoor et l’euphorie délirante de La Traviata…-, en une sincérité qui affirme une sûreté dramatique indiscutable.
On passe de la sombre et inquiète interrogation : « Sais-tu bien qu’Hoël m’aime » à la valse «  Ombre légère », plus éthérée… en une continuité poétique d’une rare cohérence. La diva subjugue par son intelligence d’actrice. Tout pour réussir ce récital Meyerbeer : en jouant la carte de la haute technicité et de l’intelligence expressive, Diana Damrau emporte tous les suffrages. Avec elle, sans artifices outrageusement placés, la voix rayonne par son intériorité nuancée, et des pianis étincelants, phrasés avec une intention toujours idéalement défendue. Le texte et la situation dramatique, le caractère de la scène, ses enjeux souterrains motivent une tension toujours excellemment présente ; cette qualité fait de la soprano coloratoure une excellente interprète et pas seulement une chanteuse au timbre suave et séduisant, à l’agilité technique indéniable. Cet angélisme fulgurant a fait le charme de sa Gilda (bouleversante dans Rigoletto de Verdi). Et si nous la trouvions un rien trop artificielle dans les coloratoure de sa Constanze dans l’Enlèvement au sérail de Mozart, l’intériorité et l’épaisseur psychologique de chaque héroïne affirment ici la grande interprète et l’actrice raffinée.
N’omettons pas non plus la maîtrise non moins convaincante de son Inès dans L’Africaine (1865) grâce à la séduction indiscutable de la romance « Adieu mon doux rivage » suivi par l’arioso (très rare sur les scènes lyriques) : « Fleurs nouvelles »… A l’origine avait ému et triomphé elle aussi Marie Battu. Dans son sillon, Diana Damrau éblouit par la séduction de son timbre dramatique, la grande finesse de son instinct dramatique. Voilà qui nuance l’image du « grand opéra » à la française : plus portrait subtil d’héroïnes tragiques que peplums romantiques aux boursouflures déclamatoires. On sait qu’à l’opéra, tout est affaire de chanteurs et ici de chanteuse. Une Maria Callas avait révolutionné le genre par sa recherche de caractérisation individuelle. En 2017, 40 ans après la mort de la superdiva, Diana Damrau semble suivre avec bonheur son exemple : l’intelligence et le sens du texte, plutôt que la performance. Eblouissant. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2017.

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CLIC D'OR macaron 200CD, compte rendu critique. «  GRAND OPERA ». DIANA DAMRAU chante MEYERBEER : extraits de Robert le diable, Le Prophète, Alimelek, l’Etoile du nord, L’Africaine, Dinorah, Emma di Resburgo, Les Huguenots… Orch de l’Opéra de Lyon / Emmanuel Villaume, direction. (1 cd Erato).

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Approfondir
LIRE aussi notre compte rendu critique du livre édité par Bleu Nuit éditeur : MEYERBEER par Violaine Anger (CLIC de classiquenews de mars et avril 2017)
http://www.classiquenews.com/livres-compte-rendu-critique-giacomo-meyerbeer-par-violaine-anger-bleu-nuit-editeur/

 

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