mardi 16 avril 2024

CD. Clemens Krauss : Richard Strauss, The complete Decca recordings (5 cd Decca)

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krauss-strauss-complete-decca-recordings-cd-coffret-clemens-krauss-richard-straussClemens Krauss : Richard Strauss, The complete Decca recordings (5 cd Decca). Pour célébrer le 150ème anniversaire de la naissance de Richard Strauss, Decca réédite le legs de l’un de ses plus fervents interprètes, unanimement reconnu sur le plan artistique … mais politiquement bien contestable : Clemens Krauss. Le chef viennois profita concrètement de l’essor du régime nazi pour développer sa carrière, en dehors de toute rigueur morale, se défendant (trop facilement) de ne jamais  » mêler art et politique « . Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il avait un sens de l’éthique plutôt élastique. Même s’il fut dénazifié en 1947 (comme Strauss), le débat quant à sa participation au sein de l’Allemagne culturelle à l’époque hitlérienne est loin d’être clos. C’est pourquoi, avant de critiquer sur le plan musical les 5 cd de ce coffret nouveau,  il nous paraît important de brosser un court portrait de Clemens Krauss qui fut un proche de Richard Strauss.

Contradiction viennoise

Né en 1893, Clemens Krauss appartient à la race des seigneurs, s’affirmant dans la première moitié du XXème comme un chef d’envergure et de vision captivante, dont la génération est celle des Victor de Sabata ou Karl Böhm…

Comme Kleiber et Böhm, Krauss incarne l’élégance viennoise, ayant  inventé -mérite non négligeable quand on en sait la réussite jamais démentie jusqu’à nos jours-, le Concert du Nouvel An (et ce dès 1939 soit en pleine apogée nazie), rite depuis lors célébré avec les Wiener Philharmoniker au Konzerthaus de Vienne…

Clemens est le fils d’une danseuse de 15 ans, elle-même nièce de Gabriele Krauss, soprano estimée par Verdi. Le père de Clemens était cavalier virtuose à la Cour de l’Empereur François-Joseph. Le futur chef est l’enfant d’une famille artiste : dans son sang coule le pur esprit viennois, tissé de joyaux et de contradictions parfois effrayantes… La sensibilité, le goût, le style du jeune Krauss lui permettent de se faire remarquer par Franz Schalk alors directeur de l’Opéra de Vienne dont il nomme Krauss, en 1922, premier Kapellmeister. Clemens a 29 ans. Sa sublime et fine direction (d’après les témoignages) du Chevalier à la rose de Richard Strauss lui vaut tous les honneurs dont l’amitié inéluctable du compositeur soi-même dont il devient un proche et un collaborateur désormais régulier. Après la direction de l’Opéra de Frankfort (1924-1929), Krauss devient en 1929, directeur de l’Opéra de Vienne. Exigeant de ses musiciens, jusqu’à des limites insoutenables en répétition, le chef laisse ses musiciens du Wiener Philharmoniker jouer en liberté au moment des représentations publiques : après la sueur, le plaisir partagé et parfois la grâce de concerts inoubliables.

Un génie de la  baguette proche des nazis

L’essor des nazis lui est profitable (et sa collusion avec les décisionnaires nazis lui vaudra une réputation très entachée), qu’on en  juge : Krauss prend la direction de l’Opéra de Berlin en 1935 après la démission de l’humaniste Erich Kleiber (le père de Carlos) ; puis celle de l’Opéra de Munich en 1937 après le départ de Knappertsbuch… et en 1939, après l’Anschluss, la direction du festival de Salzbourg. Opportuniste et vorace, Krauss devient la personnalité incontournable de l’Allemagne hitlérienne. Les années les plus noires de l’Allemagne et de l’Autriche correspondent à l’âge d’or de la carrière de Krauss désormais champion de la cause straussienne : c’est Clemens Krauss qui crée (avec la complicité de son épouse la soprano Viorica Ursuleac) à Dresde Arabella (1933), Jour de Paix à Munich (1938), puis Capriccio également à Munich en 1942 dont il a écrit le livret ! Ce palmarès aurait aussi compté la création de L’Amour de Danaé dont il assure jusqu’à la générale en 1944 à Salzbourg, création avortée à cause de la fermeture de tous les théâtres pour cause de guerre générale. La création n’en sera assurée qu’en 1952, après la guerre et la dénazification de Strauss.

Le procès en dénazification de Clemens Krauss est réalisé de 1945 à 1947 : s’il s’est révélé très entreprenant auprès des instances nazies, Krauss a cependant sauvé des juifs, n’hésitant pas non plus en moderne provocateur à programmer les  » ennemis  » Debussy et Ravel alors interdits pour cause de guerre. Krauss demeure comme son mentor Richard Strauss, une personnalité contradictoire, troublante, un artiste d’une incontestable séduction dont les actes perturbent.  Séparant l’art de la politique, à torts ou à raisons, Krauss poursuit une carrière éclatante, politiquement et moralement contestable, mais artistiquement inattaquable. Voilà le paradoxe du « cas Krauss », très proche dans ce sens de celui d’un Karajan : les deux chefs auront d’ailleurs le zèle d’obtenir leur carte du parti national-socialiste…

Le retour en grâce, après la guerre et ses accointances avec les nazis, survient quand Wieland Wagner l’appelle en 1953 à Bayreuth pour y diriger Le Ring et Parsifal, provoquant le départ de Knappertsbush qui ne souhaitait pas partager l’affiche avec un « fieffé nazi ». Quoiqu’il en soit, ses versions du Ring et de Parsifal, allégées, vibrantes, dramatiques et fluides à la fois, sont des modèles toujours célébrés qui annoncent nombre de lectures plus modernes. En 1954, Krauss allait reprendre la direction de l’Opéra de Vienne à la demande du ministère de la culture autrichien quand un mécène résolument antinazi menaçant de retirer son important soutien financier, empêcha le Viennois de retrouver son statut d’avant la guerre : Krauss meurt à Mexico le 16 mai 1954 d’une crise cardiaque. Il n’avait que 60 ans.

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Contenu du coffret  Clemens Krauss, Richard Strauss : the complete Decca recordings. De fait les 5 cd Decca regroupent le legs Strauss de Krauss le plus intéressant… ici majoritairement symphonique dont l’attention au flux dramatique recueille évidemment l’intelligence du chef lyrique.  Ce n’est pas pour rien que Krauss fut nommé directeur des Opéras de Vienne,  Francfort et Berlin… en dehors du contexte sulfureux qui le concerne,  ses talents interprétatif sont indiscutables.

Decca capte la direction d’un chef usé et marqué par les événements,  celui des années 1950, c’est à dire 4 ans avant sa disparition soit de 1950 à 1954. Ainsi dans ce cycle surtout symphonique,  la Salomé éruptive incandescente,  vocalement caractérisée de mars 1954 – avec le Wiener Philharmoniker- , fait figure de testament artistique comme son Ring et son Parsifal bayreuthiens de l’année précédente. Christel Goltz (Salomé), Julius Patzak (Herode), Anton Dermota (Narraboth), … entre autres confirment ce travail associant cohérence vocale et dramatisme nerveux dont témoigne aussi à la même époque et comme l’emblème de ce « style viennois » d’après guerre,  Karl Böhm à la même époque puis surtout après la mort de Krauss.

De l’année 1953 datent les incontournables Aus Italien,  Don Quichotte,  …. passionnantes également ses versions de Zarathoustra (1950), et surtout de la symphonie autobiographique de Strauss ici enregistrée en 1952: Ein heldenleben opus 40… autant de lectures ardentes toutes réalisées avec les instrumentistes du Wiener Philharmoniker.

Clemens Krauss : Richard Strauss, The complete Decca recordings (5 cd Decca)

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