CD, critique. « CREATIONS » : QUATUOR VENDOME. Bacri, Beffa, Escaich, Connesson… (1 cd Klarthe records (2011-2016). Fondé en 2002, le Quatuor Vendôme diffuse l’excellence chambriste des clarinettes associées, au service de la musique de chambre et en particulier de l’écriture contemporaine. Ce nouveau jalon de leur discographie en témoigne avec force et éclat. Il s’agit d’un corpus enregistré depuis 2011 et qui s’est conclu en 2016. Commande des Vendôme, la Sonata de Bacri (la plage 1) développe tout d’abord, un épisode sourd et presque inquiétant (Sonata a quattro, juin 2016) qui enchante et captive par la sonorité insidieuse, le timbre galbé et rond des quatre clarinettes. C’est d’emblée un remarquable travail sur le poli du son collectif et par séquence, une caractérisation attentive aux climats enchainés, de plus en plus agitée, électrique même (molto vigoroso débouchant sur un allegro de forme sonate).
Dans « feux d’artifice » de Karol Beffa, les quatre mouvements jouent la surenchère en caractérisation là encore : swing, ténèbres, pulsation, acuité rythmique du dernier (d’une vivacité à la Bernstein). L’agilité et la parfaite synchronicité des quatre instrumentistes s’affirment, dans la technicité bouillonnante et concertée selon la trépidation exigée (virevoltant Swing, ou vitalité de Rythmique). L’accord plus nuancé, la recherche du timbre, sa résonance, sa profondeur, sa couleur s’affichent avec sensibilité dans « Tenébreux »… C’est un jeu formel mais aussi d’une parfaite précision et mise en place, obtenue par les quatre solistes. Beffa exige urgence et ivresse des sensations dans une sorte de retable de la pulsion dont les quatre volets peuvent être joués selon le vœu du compositeur, séparément.
Plus profond, d’une ardente aspiration verticale comme le mouvement arrière d’une séquence rétrodynamique, la première partie de « Ground IV » / Passacaille IV de Thierry Escaich est emblématique de l’écriture de son auteur : celle d’une énergie intérieure d’une activité constante qui avance en une acuité vivace qui combine diversité rythmique et aussi une certaine ironie mélodique. La 2è partie explore comme en sourdine le même univers harmonique mais comme à reculons et plus nuancé encore, comme à distance, mais l’acuité des accents des quatre musiciens restitue cette tapisserie sonore d’une grande variété rythmique, dont l’intonation et la tension, interrogent « la logique et le bouillonnement de la Passacaille » (sujet central de cette séquence), vont crescendo.
Facétieux, d’une culture pleine de références (baroques et pop), l’écriture de Guillaume Connesson, dans « Prélude and Funk » développe un lyrisme ténébreux en noir, languissant, inquiétant à travers des lignes étirées et piano qui convoquent un climat de crépuscule marqué par l’ombre (entre tristesse et désolation). Puis, la pièce se libère dans la lumière et dans une acuité rythmique survoltée (Connesson parle de la joie d’un éclat de rire), dans sa partie finale « Funk » de plus de 6 mn : en une séquence sur une basse obsessionnelle qui semble tourner à vide, à la fois interrogation et transe (vertige final, libératoire).
Enfin plus proche de nous encore, d’un compositeur qui est le plus jeune (en vérité il est de la génération de Karoll Beffa né en 1973), « Face à face » de Bruno Mantovani (né en 1974) est lui aussi un diptyque : fugacité de traits rapides, expédiés, vifs argent comme des flammèches, la première partie exige une synchronicité collective comme émise par un seul souffle. Là encore c’est une approche ciselée du son, sa hauteur, ses limites, – frontière ténue entre le bruit et la note, émission et intention, confrontations, oppositions, conflits étant au coeur de l’écriture. Objectif, brut, franc : le geste collectif recherche surtout la projection directe, d’une intensité primitive en un discours apparemment fragmenté, mais qui prend un relief renouvelé s’il est placé dans une optique séquentielle favorisant l’expression de la syncope, la diversité des effets sonores (l’individualisation plutôt que la cohésion des parties) : l’agilité des instrumentistes confrontés à une batterie d’annotations très différentes, et qui renouvellent totalement l’utilisation de l’instrument, parfois dans une optique rédéfinie du concerto grosso baroque, affirme une étonnante maîtrise.
A travers les 5 écritures ici réunies, toutes contemporaines, toutes totalement différentes et minutieusement caractérisées, toutes françaises, c’est bien la palette de toutes les ressources expressives de chaque instrument qui est sollicitée : éprouvées techniquement, dans une écoute collective à régler au moindre détail et dans la nuance la plus infime, les 4 clarinettes du Quatuor Vendôme démontrent une étonnante complicité qui relève les défis auxquels ils sont confrontés. Impressionnant résultat.
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CD, critique. CREATIONS : QUATUOR VENDOME. Bacri, Beffa, Escaich, Connesson… (1 cd Klarthe records (2011-2016). QUATUOR VENDÔME, Paris / CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2018.
Clarinettes : Franck AMET, Nicolas BALDEYROU, Alexandre CHABOD, Julien CHABOD
http://www.klarthe.com/index.php/fr/enregistrements/creations-detail
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LIRE AUSSI notre entretien portrait avec le QUATUOR VENDÔME, au sujet du cd Créations / ENTRETIEN AVEC LE QUATUOR VENDÔME. En mai 2018, paraissait chez Klarthe records, un programme réjouissant, totalement dédié à la création, mêlant des oeuvres signées Bacri, Beffa, Escaich, Connesson… quatuor de compositeurs vivants répondant au geste explorateur d’un quatuor en connexion avec son époque : http://www.classiquenews.com/entretien-avec-le-quatuor-vendome-creations/
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