vendredi 19 avril 2024

Brahms via Hambourg: festival au CNSMD Lyon, CNSMD. Du 24 novembre au 18 décembre 2009

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Brahms
via
Hambourg

Lyon (69) CNSMD

Du 24 novembre au 18 décembre 2009

Le CNSMD de Lyon est « jumelé » avec la Hochschule de Hambourg : excellente raison pour composer une série (sur trois semaines) de célébration brahmsienne… Dans la programmation où enseignants et élèves portent une attention particulière – outre la 4e Symphonie et le Concerto pour violon – sur les œuvres chorales et les partitions de clavier (piano, mais aussi orgue), figurent aussi des rappels de musique ancienne et des échos du XXe.

Les Trois B et le paysan de l’Elbe
Tiens pour une fois il ne semble pas s’agir d’un anniversaire (naissance, mort, composition majeure, mariage, que sais-je), et avec Johannes Brahms, 2009 n’a rien de particulièrement significatif. Quant à la question « Aimez-vous Brahms ? », les jeunes n’en savent sans doute même plus guère la référence littéraire… Non, en novembre-décembre, le CNSMD accroche plutôt avec la géographie musicale européenne, et parce qu’il est en partenariat avec la Hochschule de Hambourg, et parce que Brahms vit le jour brouillardeux en ce port, et pour d’autres motifs plus contemporains qu’on lira ensuite. Bref, tout un événement thématique centrant pendant trois semaines les activités internes et publiques du Quai Chauveau, avec coup de projecteurs sur la figure du 3e B – à côté de Bach et Beethoven, comme l’inventa en une formule très médiatique Hans de Bulow , ci-devant guère fanatique du B de Hambourg -, une figure au demeurant contradictoire, physiquement et compositionnellement. Quand en 1853, Schumann note à la première visite de Johannes : « Brahms, un génie », le grand jeune homme blond a tout pour « conquérir » les cœurs romantiques, même s’il sort des basses classes du port, où son père – musicien ambulant – l’emmenait pour la tournée des bouges. Et il finira – gourmandise aidant – à prendre son allure d’image pour la joie des caricaturistes : un barbu grassouillet certes toujours amateur de promenades en campagne mais fréquentant avec plaisir la terrasse des cafés et les tavernes, mains derrière le dos et tenant le parapluie bourgeois qui protège des averses. La vraie vie est…ailleurs que dans la sienne, du moins ce qu’il en donne à voir. Son côté – un rien provocateur ? – de paysan du Danube ou plutôt de l’Elbe, son rudiment de culture littéraire et philosophique – un abîme avec son Maître Schumann ! -, le côté peu flamboyant de la personnalité, voire son air de sédentaire bougon qui fuit l’itinérance, intriguent.

Brahmines et progressistes
D’autant que l’histoire amoureuse du « jeune génie » se place au bord d’un tourbillon tragique. Quelques mois après la rencontre de 1853, Robert et Clara vont être cruellement séparés par la tentative de suicide, l’entrée à l’asile d’Endenich et la mort trois ans plus tard. Veuve irrémédiable, Clara, cessant de composer, se consacrera aux tournées pianistiques – qui propageront le message de son mari disparu -,et à l’éducation des sept enfants. Brahms sera toujours auprès d’elle – plus encore que leur ami violoniste Joachim – et du noyau familial : soupirant inlassable et vain (même si les restes de la correspondance échangée témoigne de tendres sentiments, il faut faire la part de l’exaltation amoureuse des écrits en ce temps post-romantique), recevant même le conseil de mettre un terme à sa vie d’éternel célibataire en se soumettant aux liens du mariage. Et là, réitération de l’acte manqué, puisqu’à plusieurs reprises il ira jusqu’au bord des fiançailles… pour mieux rompre de lui-même sur des prétextes fallacieux. Sauf avec Julie…Schumann, la fille de Robert et Clara, « substitut » idéal mais tout de même un peu « déplacé » de sa maman, et qui ne tardera pas à se choisir un autre destin. Embellies et temps gris se succèderont dans la relation affective si complexe avec Clara, dont symboliquement Johannes manqua… de manquer l’enterrement en 1896 (les biographies semblent diverger sur son heure d’arrivée à la cérémonie après un interminable voyage ferroviaire), mais à laquelle il ne survécut que d’un an. On s’interrogera évidemment de façon (plus ?) fructueuse sur sa place dans l’histoire de la musique du second XIXe. Et là il faut dépasser l’apparence du tumulte qui en fit – à son corps défendant ? ce n’est pas certain ni surtout entier – le héraut des tenants d’une musique du passé-présent contre ceux (Liszt, Wagner et son adorateur Bruckner) d’une musique de l’avenir, « brahmines » contre « incendiaires ». N’a-t-on déjà pas bien de la peine à le qualifier synthétiquement : « le dernier des romantiques » ? « le mainteneur de la tradition architecturale » ? voire « le progressiste » (comme l’écrivit un jour Schoenberg en humeur d’absolution paradoxale) ? La connaissance acquise des « musiques anciennes » (aux yeux de son époque : Renaissance, « Baroque » au sens large) renforça ses croyances en la nécessité d’une Forme rigoureuse. Mais aujourd’hui ne sommes nous pas surtout fascinés par les partitions de ses dernières années, quand il pressent que devant passer de l’autre côté du miroir il s’adonne à la mémoire dispersée, au désenchantement, à la nostalgie de l’insaisissable, à quelque chose qui s’effiloche dans le brouillard de l’hiver baltique ?

En lisière des forêts germaniques
Le concert qui ouvre la série souligne aussi combien les romantiques « allemands » furent à la fois sensibles à ce ressourcement sévère, collectif mais parfois épris d’un ailleurs libertaire que constitue la musique chorale. La classe de direction de chœurs (préparée par Nicole Corti) se tourne d’abord vers « l’ancêtre » (et voyant) Schubert, qui en 1828 sut aussi aller vers les grands modèles du contrepoint (Haendel, Bach) dans un Chant de Victoire de Miriam (la sœur de Moïse criant sa joie pour son peuple « traversant » la Mer Rouge) : musique de soliste lyrique jubilant au milieu des voix, si opposée à d’autres partitions où Schubert traduit les chants de l’ombre et de la métaphysique… Puis ce seront les rares Romances et Ballades pour chœur mixte, où Schumann en 1849 – l’année fertile avant les tourments ultimes – dit sa foi dans cet art « en lisière des forêts germaniques ». En pleine lumière aussi, celle du peuple libre des Tziganes : les 11 pièces op.183, où un Brahms de 1887 s’exalte et se réjouit en traduisant les chants d’amour des errants : « Le ciel resplendit dans son incandescence, et je rêve jour et nuit de mon doux petit amour ». Alors pourront se succéder les évocations « autour de » Brahms. Avant lui, dans le nord-ouest allemand de Lübeck et de Hambourg, ce sont les Abendmusiken (veillées musicales de l’Avent) de Buxtehude prolongé par Reinecken, Berhnard, Becker ou Weckman : classes d’orgue et de musique ancienne. Un récital d’orgue de François Ménissier en sera l’écho terminal, avec J.S.Bach si passionnément interrogé par Brahms, (continuateur en esprit de Schumann déclarant que le Clavier Bien Tempéré devrait être le pain quotidien des musiciens), et qui après la mort de Clara écrivit des Préludes de Choral (op.122) aux allures de testament avant d’entrer dans la nuit…

Dans l’ombre de Ludwig Van
L’Orchestre CNSMD, conduit par son chef titulaire Peter Csaba aborde « le grand répertoire brahmsien » : après l’Ouverture pour une fête académique – pas si académique, un rien « déboutonnée » -, voici l’un des grands concertos romantiques, en moule classique, diablement virtuose aussi, et où en 1879 Johannes célèbre le talent de son ami Joseph Joachim, qui porte l’œuvre au triomphe. Marion Desbruères mettra en lumière la radieuse architecture de l’allegro, la danse Europe Centrale du finale, et l’ardent lyrisme épanché de l’adagio. C’est en face du Semmering – un lieu « où les cerises n’ont jamais un goût sucré » – que fut composée en 1885 la 4e et ultime Symphonie par un Brahms qui avait attendu l’âge de 45 ans pour se risquer dans l’ombre de l’Immense Ludwig Van. Cette fois, le monument est impressionnant de maîtrise, de complexité formelle, de hauteur de vues. La dernière symphonie classico-romantique ? En un temps où travaille Bruckner enfin reconnu et où le jeune Mahler commence ses insolences, la 4e brahmsienne semble plutôt le crépuscule grandiose, non exempt de nostalgie, pour un monde qui s’achève, célébrant le passé en son finale-chaconne, et disant sans trêve le combat solitaire du créateur.

De la Belle Maguelonne à Ligeti
Vers la musique ancienne aussi ? On pourrait le penser, tant La Belle Maguelone vit ses aventures amoureuses dans le cadre l’amour courtois médiéval, et il n’y aurait plus eu pour Brahms qu’à « s’inspirer » de ce qu’il connaissait de l’écriture d’avant la Renaissance. Mais les 15 lieder qu’il compose le sont d’après l’adaptation d’un romantique allemand, compagnon de route pour Novalis, Ludwig Tieck, poète et romancier. Le Comte Pierre de Provence y est devenu un jeune voyageur pour années d’apprentissage, et les poèmes sont romances qui séduisent un Brahms de 35 ans. En écoutant le chanteur Jean-François Rouchon et le pianiste Jamal Moqadem – avec récitation en français et surtitrage à l’écran – , on ne manquera pas d’ouvrir son imaginaire aux souvenirs du merveilleux site languedocien de Maguelone (près de Montpellier) : évêché, cathédrale romane et murmure du vent éternel dans les arbres ou portant le chant marin tout proche… Plus près au sud de l’agglomération (Ecole Normale Supérieure Lettres…), les classes de piano puiseront dans le vaste clavier de Brahms (Variations Haendel, Ballades op.10, Klavierstücke op.76 et 119, Fantaisies op.116, 1ère Sonate…), et au Centre Presqu’île (Amphi Opéra) seront données la 1ère Sonate piano-violon, les troublants Märchenerzählungen op.132 d’un Schumann près de sombrer, et aussi le bouleversant « D’un amour éternel », déclaration à peine cryptée par Brahms en lied-ballade. Des éléments du puzzle pour un autoportrait sont donc dans le jeu, à nous de compléter en nous plongeant dans l’œuvre si vaste du « dernier des romantiques ». Et puis le CNSMD cultive son partenariat du bord de l’Elbe : à la Hochschule de Hambourg le Directeur Erik Lampson compose aussi, ses Drei Klavierstücke seront joués dans un programme de l’ENS ; il y a succédé à Ligeti dans l’enseignement de la composition, un Ligeti qui ne peut donc manquer d’être trois fois présent dans la session, notamment avec son Concerto de chambre. Et là, c’est le Francis Pierre hambourgeois, le chef d’orchestre René Gulikers, qui dirigera l’Atelier XXI lyonnais dans une création de Peter Häublein et des partitions de H.Oehring, W.A.Schultz et A.Schnittke. On continue à être « progressiste »… ou rien, quand on célèbre Johannes Brahms ?

Lyon, CNSM, salle Varèse (et autres lieux). Brahms via Hambourg. Du 24 novembre au 18 décembre 2009. Johannes Brahms (1833-1897). Mardi 24 novembre, 20h30 ; mardi 1er décembre, 20h30 ; jeudi 3 et vendredi 4, 20h30 ; jeudi 10 décembre, vendredi 11, 20h30 ; lundi 14, 30h30 ; mardi 15, 12h30, 15h, 20h ; mercredi 16, 12h30, 20h30 ; jeudi 17, 20h30 ; vendredi 18, 12h30. Information et réservation : T. 04 72 19 26 61 ; www.cnsmd-lyon.fr

Illustrations: Johannes Brahms (DR)

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